Soirée diabolique [Atara]

On ne résiste pas au Diable. On se plie à mes désirs ou c’est moi qui vous y plie. Défiance et désobéissance m’amusent un temps, la chasse étant un plaisir dont je me prive rarement. Cependant la ligne entre agrément et agacement est d’une extrême finesse et l’Envie se transforme bien vite en Colère. Rage et Destruction deviennent alors mes compagnes favorites, seules capables d’apaiser leurs sœurs ainées, j’ai nommé Frustration et Vengeance.

Pourtant, la rage, tel l’orage, survient brusquement et repart aussitôt. Muée de nouveau, elle se dissipe peu à peu dans les effluves du Désir retrouvé, redoublant ce dernier de l’arrière-goût laissé par la privation première. Jeu dangereux s’il en est, je m’y adonne néanmoins volontiers à condition de trouver partenaire à ma hauteur. Ce que je semble avoir fait en la personne d’Atara Lackey, propriétaire étonnante du non moins remarquable Velvet Dream.

Feu follet éternel, aussi violente que passionnelle, elle a su attirer mon attention par ses charmes ravageurs et son tempérament impétueux dès notre première rencontre. A peine mon regard croisa-t-il le sien lors de mon passage originel au Velvet que je sentis en elle un potentiel quasi inégalé de Luxure et Destruction. Intérêt piqué, il ne me fallut pas longtemps pour l’attirer à moi. Pourtant, tel que je l’avais prévu, sans me résister au premier abord, elle ne tarda pas à m’échapper, voire me préférer une vulgaire sirène. Et pour autant que je lui proposais d’inviter ladite sirène à nos réjouissances communes – je ne suis pas démon à refuser bonne compagnie – ni promesse ni menace ne la fit changer d’avis.

Beauté et Intelligence se côtoyant cependant aisément dans le corps d’Atara, elle a sans difficulté su apaiser l’Ire si prompte à s’emparer de moi en offrant à cette dernière un miroir dans lequel se transformer en Narcissisme. Car s’il est bien un être capable de me faire oublier tous les autres, ce dernier porte un nom et c’est le mien. C’est donc en mon honneur que le Velvet est ouvert ce soir, la soirée « Démons et désirs » ne pouvant m’être plus clairement adressée. Atara ne m’a pourtant rien dit, trop fière pour annoncer ainsi ses intentions, mais celles-ci n’en restent pas moins claires.

C’est donc habillé en conséquence que je passe la porte du club, adressant un sourire de connivence au videur de service, avant qu’une délicieuse créature dont le genre est difficile à déterminer ne s’empare de mon pardessus. Ce dernier laisse place à une tenue idéale pour faire honneur au thème du soir. Ma chemise d’un rouge pétant est suffisamment ouverte pour laisser deviner un pentacle apparemment tatoué sur le haut de mon torse. Mon costume aile de corbeau ne fait, lui, que renforcer le contraste avec la couleur vermillon de mon haut. Enfin, détail difficile à manquer, mes iris flamboyants attirent déjà à eux regards apeurés mais ensorcelés.

-M. Milton, nous vous attendions. Miss Lackey vous a fait préparer une loge VIP pour que vous puissiez profiter au mieux du spectacle. Si vous voulez bien me suivre, vous pourrez vous y installer en attendant sa venue.

Acquiesçant d’un simple hochement de tête, je suis l’androgyne jusqu’à une alcôve que je ne connais que trop bien. Placée stratégiquement pour offrir à la fois discrétion et vue splendide de la scène, c’est ici que j’ai passé l’essentiel de mes soirées au Velvet. Je m’y installe donc tel le maître des lieux que je suis quasiment, commande un Black Devil pour rester dans le ton et m’apprête à recevoir les célébrations qui me sont dues.

Ma sœur Myriam m'avait boudée pendant plusieurs jours en aprenant que le Diable était mon amant. Je franchissais une limite inacceptable, disait-elle. Deborah et moi nous étions bien moquées d'elle dans son dos. Une fois de plus. Ce qu'elle était stupide! Coucher avec le Diable n'avait rien d'odieux. Même des humaines l'avaient fait! Nous étions des créatures liées éternellement au mal. Un peu de sexe interdit n'allait pas changer ma condition.

Elle était finalement venue s'excuser, mais en continuant à me faire la morale. Je l'avais vite fait taire, avec une finesse que je devais aux discussions avec Deborah où j'avais d'abord déversé ma rage. Mon instinct me poussait à la traiter d'hypocrite. Elle avait tué beaucoup de gens; qu'elle ait arrêté par sentiment de culpabilité ne la rendait pas moralement intouchable. Ça faisait juste d'elle une faible. Je m'étais résolue malgré tout à seulement lui demander pourquoi elle ne m'acceptait pas comme j'étais quand j'arrivais à le faire pour elle malgré nos différences. C'était malhonnête de miser sur son éternel sentiment de culpabilité pour la faire reculer, mais je ne voulais pas me justifier auprès d'elle ni avoir ses petits avis de bonne sœur sur tout ce que je faisais.

J'ai créé plusieurs des costumes pour notre soirée Démons et désirs. Deborah est entièrement vêtue de latex rouge: minijupe, bottes cuissardes et bustier incrusté de cristaux. Elle a une perruque noire pour l'occasion. Je suis fan de son look! J'ai préféré le noir pour le mien: escarpins recouverts de petits pics en métal, courte robe de velours décolletée plus loin que le bas de ma poitrine et fin collier ras-du-cou en cuir qui se noue en petite boucle. Comme élément de couleur, j'ai mis mes cheveux roux avec mon pouvoir de métamorphose.

La soirée est secrètement en l'honneur du plus sexy des démons: Satan. Je l'ai encore vexé en lui préférant Jenna, mais il faut qu'il comprenne que j'ai toute une vie en dehors de notre aventure. De toute manière, lui aussi est censé être occupé à diriger sa partie des Enfers, ou à se disputer avec sa femme. Ce que nous avons est intéressant, mais il ne fera jamais de moi sa reine. Si je ne passe pas en premier, lui non plus! Jenna me traite davantage en souveraine, donc je lui donne le maximum. Notre relation n'est pas définie clairement et ça m'arrange. Je n'ai jamais été à l'aise attachée à une seule personne. J'ai besoin d'air pour créer des tornades.

Mon invité prit place tel que prévu dans une loge VIP, celle que je lui réservais toujours quand j'étais prévenue de sa présence. Je restai une dizaine de minutes à m'assurer que mes employés n'avaient pas besoin d'aide. Deborah prendra la relève pendant que je m'occuperai de Satan. Un invité d'honneur de ce niveau, amant ou non, méritait toutes les attentions.

Je montai sur scène pour un numéro musical sexy. J'avais choisi de chanter une version lascive de Devil's Dance de Metallica. J'avais préparé une chorégraphie brûlante, un peu dérangeante. J'accueillis avec régal les regards de mon public enthousiaste de me voir performer. «In your eyes I see a fire that burns…» Je pris soin d'initier plusieurs contacts visuels avec Satan pour lui faire sentir que mon numéro lui était dédié. C'était presque vrai. J'avais pensé à lui pour le thème et pour la musique, mais je montais toujours sur la scène d'abord pour mon propre plaisir d'être le centre d'attention. «It's nice to see you here…» Je terminai mon numéro tournée vers lui, couchée sur la scène dans une position suggestive.

Je me retins de courir à sa loge. Je ne m'attardai pas auprès de mon public: ces petits voyeurs avaient eu tout ce que j'avais envie de leur offrir ce soir. Je pris une bouteille de vodka et marchai lentement vers la loge. La course, ce n'est pas sexy.

-Je sais que je n'ai pas la permission de te dire que tu m'as manqué, comme je suis celle qui était occupée, mais quand même…

Je déposai la bouteille sur la table et me penchai pour embrasser mon amant dans le cou.

-Tu as aimé mon numéro? murmurai-je.

Si je conservais encore le moindre doute sur ma qualité d’invité d’honneur, le morceau qui résonne à l’entrée d’Atara sur scène l’éteint aussi rapidement qu’une bourrasque emporte la flamme d’une bougie. Ma flamme à moi se ravive néanmoins devant le spectacle enivrant de ses hanches en mouvement. Sa voix envoûtante attire à elle les regards que ses formes plantureuses n’auraient pas déjà happés et c’est en véritable transe qu’elle met son public. Maniant son corps comme une arme, elle sait exactement quelle corde pincer pour faire vibrer le cœur de ses amants. Quant à moi, profitant avec délectation du spectacle qui m’est si gracieusement offert, je lui rends un regard ardent lorsque ses yeux cherchent les miens dans la foule, laissant entrevoir la puissance de ma passion alors qu’elle finit allongée sur la scène dans une position à la lascivité patentée.

Excité par ces préliminaires de qualité, je n’ai pas à attendre longtemps avant de passer au plat de résistance alors qu’elle s’avance langoureusement vers ma loge. Provocatrice comme toujours, elle remue le couteau dans la plaie, me rappelant qu’elle s’est refusée à moi jusqu’à me désirer à son tour. Je ne lui en tiens cependant pas rigueur lorsque ses lèvres se posent dans mon cou, réveillant mes envies les plus primaires. Agrippant ses hanches de mon bras, je l’attire violemment contre moi et lui murmure à l’oreille :

-Presque autant que ce que tu as apprécié t’exhiber devant ton troupeau de fans.

Je la relâche aussitôt, l’invitant à s’installer à mes côtés. Mon sourire narquois laisse entendre que je ne suis pas plus gêné que ça par ses tendances exhibitionnistes, bien au contraire. Il est d’autant plus jouissif de savoir que je possède ce que tant d’autres désirent. Dans un étalage volontaire de possessivité, je passe d’ailleurs mon bras autour de ses épaules pour l’amener à se blottir contre moi. Je lance ensuite un clin d’œil complice à la caméra de surveillance que je sais cachée dans un coin de la loge – promettant un rinçage d’œil digne de ce nom au gardien en charge – et laissant ma main descendre malicieusement de son épaule vers son décolleté, je demande.

- Alors comme ça je t’ai manqué ? Ta petite sirène n’est plus capable de suivre ton rythme ?

Le ton est totalement dénué de rancœur mais la pique n’en est pas moins voulue. Je ne suis pas jaloux d’une mortelle – ce serait leur donner trop d’importance à l’une comme à l’autre – mais j’aime à rappeler qu’on ne me fait pas passer en deuxième sans conséquence. Atara sait néanmoins que ce n’est pas d’une excuse dont je veux, c’est une compensation que j’exige. Et heureusement pour nous deux, elle sait parfaitement les fournir. Je dirais même que c’est une de ses spécialités.

Beaucoup de choses me stressaient, mais je n'avais peur de rien. J'étais invincible, après tout. On pouvait théoriquement me tuer, mais quelques meurtres en étant intangible me redonneraient un corps et ma pleine puissance. Il en allait de même pour Deborah et Samson. Je les réprimandais quand ils mettaient leur corps en danger parce que je n'avais pas envie de me retrouver à attendre leur progrès s'il leur arrivait malheur, mais je ne m'inquiétais pas vraiment. Mourir ne serait toujours que temporaire pour nous. Même Myriam qui ne s'autorisait pas à vivre réellement s'était bâti un cercle d'amis et passait du temps avec nous, sa famille. À mes yeux, nous dépassions ces dieux que tout le monde craignait: on pouvait difficilement les éliminer, mais ce n'était pas impossible. Et la plupart d'entre eux n'avaient pas de moyen de revenir encore et encore, à l'infini, chaque fois qu'on les tuait.

J'ignorais l'étendue des capacités de Satan, mais je lui devinais plusieurs tours dans son sac. Il avait été l'ennemi à éliminer aux yeux de tous les bien-pensants depuis des siècles, mais il était encore là. Et il gardait sa place malgré l'arrivée des dieux. Je forçais la motivation passionnelle à son sujet, mais il m'intéressait aussi pour sa magie. J'avais toujours du mal à me retenir d'explorer les avenues les plus dangereuses.

Satan m'attira contre lui brusquement, et un sourire étira mes lèvres. Il n'était pas ici pour me faire un numéro de bouderie. Enfin, il allait probablement me faire des reproches - il se plaignait toutes les fois où quoi que ce soit lui déplaisait, un trait que nous avions en commun -, mais il me semblait de bonne humeur.

-Je n'y peux rien. C'est une industrie qui exige beaucoup de passion. Et je ne vis que pour l'attention, tu me connais.

Je m'installai à ses côtés, glissant ma main sur son torse en m'éloignant. Je me blottis contre lui et accueillit sa main baladeuse avec un soupir en fermant les yeux et en mordillant ma lèvre inférieure. Mon numéro ne se terminait jamais sur la scène quand il était là.

Une référence gratuite à ma relation avec Jenna. Je levai les yeux au ciel. Il était certainement la personne qui me parlait le plus d'elle. Sauf peut-être Samson à qui je racontais mes nuits avec Jenna lorsque nous échangions sur nos conquêtes. Il avait depuis longtemps un faible pour elle et j'aimais le torturer. Jenna couchait exclusivement avec des femmes, donc il ne risquait pas de me la voler pour se venger. C'était d'ailleurs un petit jeu entre nous depuis des années. En parallèle de nos plans sadiques pour profiter de la naïveté de gentilles jeunes filles, nous menions une compétition, que nous ne nommions jamais, nous dérobant l'un l'autre conquêtes et amies. Je savais toutefois que je pouvais trouver chez lui un profond soutien si on me faisait du mal, et j'avais bien évidemment tué pour lui… et même plusieurs fois juste pour lui remonter le moral. Deborah était mon autre moitié, Myriam était un trésor à protéger, et Samson était mon complice.

Je gardai les yeux fermés pour répondre.

-Ma sirène m'a empêchée de dormir toute la semaine. Je suis avec toi ce soir par désir, pas par manque.

J'ouvris les yeux et me dégageai doucement de l'étreinte. Je défis la ceinture de mon amant. Il n'allait pas me faire des reproches et me laisser attendre éternellement. D'ailleurs, repenser à mes nuits avec Jenna éveillait encore davantage mon désir. Je lui avais plusieurs fois laissé comprendre mon fantasme de me partager entre Satan et elle en même temps, mais elle refusait toujours. Nous faisions comme si elle était exclusivement motivée par son manque d'intérêt pour les hommes, mais elle était surtout jalouse de l'attention que je donnais à quelqu'un d'autre qu'elle. Elle semblait s'amuser de me voir virevolter entre les amants temporaires, mais je revenais trop souvent à Satan pour qu'elle ne se méfie pas.

En tant que sirène, elle avait encore de longues décennies devant elle, mais elle allait vieillir et mourir alors que j'étais éternelle, tout comme le Diable. Elle ne me l'avait pas dit dans ces mots, mais elle y avait fait allusion quelques fois. Je ne la rassurais jamais. Mes sentiments pour elle étaient forts, mais je ne faisais pas de promesses.

J'abaissai les bretelles de ma robe pour dévoiler l'entièreté de ma poitrine en montant à califourchon sur mon amant.