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QUI ES-TU?

Blaenau Flestiniog n'est pas une ville dans laquelle il est courant de s'arrêter. Il est encore plus rare de s'aventurer dans les épaisses forêts qui la bordent, à moins de maîtriser la magie ou de n'avoir rien à perdre. Au Nord, certains territoires sont dangereux, plus peuplés qu'on ne pourrait le croire. Perdu entre les arbres, le château du domaine des Caerwyn ressemblait à une ruine au loin. Une ruine, qui tenait obstinément debout depuis l'an 1134.
Au XXII siècle, les Caerwyn obtinrent des distinctions grâce à leur magie. Ils étaient alors des druides respectés. Grâce à des alliances avec des familles similaires, la magie fut préservée, leur domaine resta une terre d'accueil pour de nombreuses créatures persécutées, et de plus en plus repoussées par l'expansion humaine. Or, au début du XIXe siècle, Aelheaern Caerwyn brisa la tradition en s'unissant à une dryade. Il repoussa la jeune fille qu'il devait épouser depuis sa naissance, et s'attira la fureur de ses frères. Dans un esprit celte et volontairement coupé du reste du monde, ce genre d'affront ne pouvait se réparer sans les armes. Ils n'oublièrent pas. Leur sœur ne trouvant pas d'alliances plus profitable, l'aîné vint réclamer vengeance sept ans plus tard. Contre toutes les règles de l'hospitalité, il attaqua l'épouse d'Aelheaern dans son domaine, lui arracha la tête et l'emporta comme trophée. Le drame marqua à vie l'enfant resté à ses côtés, spectateur privilégié d'une scène à laquelle personne n'aurait dû assister.

Excusez-moi, vous vouliez mon histoire ? Comme le dirait mon père, il ne faut pas penser à soi lorsque de bonnes prédispositions naturelles font peser sur nos épaules la responsabilité de tout un clan. Je ne devais être qu'un pilier de plus, mais il faudrait commencer par le début pour bien comprendre. Cependant, je vous accorde que ce serait fort long, et que je n'ai, au final, ni le temps, ni l'envie de tout raconter dans le détail. De toute manière, vous devez connaître mon père, Merwyn, ou mon frère, Talfryn. Ils sont de bien meilleurs conteurs que moi, mais ne les lancez pas dans ce genre de récit sans être certains d'avoir trois bonnes heures devant vous.
Je dois vous avouer qu'il est difficile de se raccrocher au wagon quand on revient d'entre les morts après dix ans et plusieurs mois. Pour faire simple, je me suis perdu. Mais je sens que vous avez envie d'un rapport plus complet. Alors, revenons à la catastrophe de juillet 2007. Je n'étais plus depuis longtemps un résident du château Caerwyn, mais j'étais en chemin dans la forêt pour prévenir ma famille du grand danger que m'avaient montrées mes dernières visions.
Elles me hantaient depuis plusieurs jours. J'aurais dû les prendre en considération plus tôt. Je ne me pardonnerai jamais cette négligence, ce scepticisme devant des images à la fois si horribles et improbables. J'attendais des confirmations météorologiques, un signe tangible pour agir. Mais, nous savons aujourd'hui que personne n'aurait pu se préparer à ce qui allait arriver. A part moi, fermement décidé à ne pas jouer les Cassandre…
Sans doute que ma vision n'aurait pas changé grand-chose pour le monde. Cependant, j'avais vu le toit s'effondrer sur mon frère Pryderi. J'aurais pu le sauver. Je me suis mis en route après un flash d'une netteté troublante. Je ne suis jamais arrivé. Officiellement, la tempête m'a soufflé au loin. En réalité, j'ai juste évalué en sentant le vent se lever qu'il était déjà trop tard et je me suis abrité. Puis, les arbres et glissements de terrain m'ont piégé plusieurs jours. Je suis d'ailleurs convaincu d'avoir été sauvé par des divinités celtes. Il s'est passé quelque chose après cette tempête.  
Je suis revenu au château pour ne trouver qu'un tas de ruines, semblable à celui de ma vision. Comme je n'avais pas vu mon père ni Talfryn mourir, j'en déduisais qu'ils étaient saufs, quelque part où il serait difficile de les retrouver avec toutes les villes alentour ravagées et les moyens de communication coupés. Je vivais une réelle fin du monde. Tous les êtres vivants avaient péri. La nature n'avait jamais été aussi silencieuse, aussi vide.
Il ne restait qu'une personne en vie dans les parages : Josh, plongé dans son sommeil quasi éternel. Qui est Josh ? Sommes nous ici pour parler de mon histoire ou de celle des autres ? Si je devais constamment ouvrir des parenthèses afin de tout situer, nous ne nous en sortirons pas avant la publication d'un roman autobiographique. Josh pourra très bien vous répondre puisqu'il est éveillé, de toute façon. Par quel prodige ? Parce que je ne pouvais pas emporter un comateux de près de cent ans dans un vol pour New-York sans attirer l'attention. Mais mon histoire ne ressemble plus à rien. Je vous avais dit que ce n'était pas mon truc.
Toujours est-il qu'en 2007, j'ai préféré laisser Josh là où il était et trouver des survivants chez les humains. Ce n'est pas pour me vanter mais je suis un faune tout à fait capable d'évoluer parmi eux sans provoquer de drames. A vrai dire, je le fais depuis mes vingt ans. Je passe d'une ville à l'autre, toujours sous une nouvelle couverture. Disons que ça occupe un peu plus que tourner en rond dans une forêt. Ils ont tant de choses et de problèmes à créer pour animer leur courte existence ! J'aimais généralement rejoindre des partis politiques le jour. La nuit, je me faisais passer pour une sorte de chaman et accueillait des humains crédules et perdus à une adresse secrète. Ensemble, nous invoquions le dieu bouc qui devait les initier à ses mystères. Comme vous vous en doutez, il s'agissait surtout de ma véritable apparence et de mon pouvoir qui agissait à la manière d'une drogue entêtante sur leurs faibles esprits. Ils revenaient toujours, nerveux et fébriles, prêts à me payer une fortune pour répéter le rituel. En cas de coup dur, je profitais de leur argent pour vivre. Et, lorsqu'un fidèle client finissait ruiné, ou que je me lassais simplement de lui, je déménageais les les abandonnait à leur sort. Quand je manquais de temps mais pas d'argent, je me contentais d'attirer une personne sans histoire chez moi, et je ne la laissais jamais ressortir, sauf pour la conduire devant un asile, une fois son esprit trop ravagé par la luxure. Vous trouverez certainement cela cruel, mais je n'ai pas le choix. Et j'ai travaillé à me contrôler au mieux avec les années pour me lasser moins vite de mes partenaires. De cette manière, je n'en gâche pas trop. J'ajouterai au passage que ce que je fais subir à quelques uns d'entre eux pour ma propre survie n'est rien en comparaison des ravages qu'on causés leurs chasses aux sorcières dans les rangs des créatures. On savoure comme on peut ses petites revanches.
Bien sûr, je ne me suis pas contenté de capturer des humains ça et là pour en faire des objets de mon amusement. J'ai essayé la politique pour appuyer toutes les revendications envers la réhabilitation de la culture celtique au Pays de Galles. Nous avons eu quelques succès, mais des choses très insuffisantes. Notez cependant qu'avant la catastrophe, mon père était tombé dans une sorte d'apathie et que je ne pouvais absolument pas compter sur son soutien. Je devais porter le message qu'il m'avait inculqué seul, pendant qu'il prenait du bon temps. Il avait abandonné l'idée de pouvoir sauver autre chose que son domaine. La tempête a eu du bon là-dessus. Aujourd'hui, le monde est si ravagé que l'on pourrait tout reconstruire différemment. Les humains ne sont plus aussi importants sur l'échiquier qu'ils le pensent. D'ailleurs, leurs esprits sont plus disposés à accepter les superstitions depuis qu'ils n'ont rien. J'en ai fait mon commerce. J'ai obtenu beaucoup de conversions au Pays de Galles, incité à la reconstruction entière de villes dans un esprit plus « païen ». Franchement, j'ai fait un bon travail. Des communautés entières se sont créées dans le rejet le plus complet de la technologie grâce à moi, et à une utilisation plus parcimonieuse de mon pouvoir d’envoûtement. Le cyclone m'a finalement offert une nouvelle vie très convenable.
J'aurais pu essayer de retrouver mon père et mon frère mais, après tout, s'ils étaient en vie, n'était-ce pas à eux de revenir sur leurs terres ? J'étais contrarié de leur abandon maintenant que j'avais réussi à en faire quelque chose de bien, et ma coupure des médias ne m'a pas permis de découvrir qu'un Merwyn Caerwyn prenait de l'importance en politique à New-York pendant ce temps… J'ai fini par découvrir qu'il était devenu maire, un peu par hasard.
Je dois dire que l'idée de partir en des terres inconnues ne m'enchante pas mais, maintenant que je sais où retrouver les miens et que je devine qu'il se passe quelque chose d'important, où ma présence sera sans doute plus utile que dans mes communautés du Pays de Galles, on ne me laisse pas vraiment le choix. Je ne pouvais cependant pas partir sans Josh. Comprenez bien, il était dans le coma par ma faute et je partais sans assurance de retour. Il pouvait dormir tant que je n'étais pas loin pour respecter ma promesse de ne pas le mettre en danger, mais là, je ne pouvais plus la respecter, et c'était ennuyeux. De toute façon, le monde avait changé depuis la décision de l'endormir éternellement. Il n'y avait plus de secret à préserver. J'aurais pu le réveiller bien avant. J'y avais souvent pensé. Qu'il soit dans cet état par ma faute était tout de même assez gênant. Mais, j'imaginais bien ce qui risquait d'arriver à son éveil : des reproches, de la colère, peut-être de la haine, et moi qui n'ai rien d'autre à lui tendre que ma culpabilité.
Si je pars à New-York, c'est différent. Je lui redonne vie parce que je ne peux plus tenir mon engagement de veiller sur lui, et il devra bien compter sur moi pour survivre aux États-Unis.
Évidemment, il ne m'a pas accueilli en me sautant au cou. C'est assez dommage d'ailleurs. Avant qu'on hésite entre le tuer ou le mettre en veille, on commençait à plutôt bien s'entendre. Je ne me suis pas beaucoup encombré d'explications non plus. Pourquoi le faire quand la personne est assez sensible à votre pouvoir pour se laisser guider sagement quand ses protestations deviennent trop pénibles ? Je sais que je ne pourrai pas le maintenir éternellement dans cet état, sous peine de lui ravager réellement le cerveau mais je ne peux pas prendre le temps de me réconcilier et m'installer convenablement dans ma nouvelle vie en même temps. J'ai déjà beaucoup de temps à rattraper avec ma famille.