âge •• 18 ans, se fait passer pour 22 ansobjets •• bague (protège sa volonté), grimoire (contient des formules magiques et des recettes de potions)qualités •• généreuse, nu juge pas au premier regard, persévérante, débrouillarde, imaginativedéfauts •• orgueilleuse, sarcastique, négative, difficile d'approchehabitudes •• boire, lire, apprendre sur toutes sortes de choses, faire des châteaux de cartes, laisser échapper des phrases en lituanienapparence •• grands yeux turquoise tirant sur le vert, teint très pale, cheveux châtains teints en rouge foncé ou roux foncé (selon le moment), mince, presque toujours en pantalons_________________________________________
QUI ES-TU?
Je n’aimais pas vraiment les murs gris de son bureau. Je n’avais rien de particulier contre le gris. J’aimais d’ailleurs bien cette couleur (ou non-couleur, ou appelez ça comme vous voulez!) Le problème était l’éclairage. Le manque de fenêtres. Je me sentais enfermée et c’était quelque chose que je détestais. Les trois lampes néons qui projetaient une lumière impersonnelle et déprimante. Je me concentrai sur le bonhomme qui feuilletait mes papiers en me souriant avec un peu trop de gentillesse pour un type qui passait le plus clair de son temps éveillé dans une prison.
« Votre prénom n’est pas américain, non? »
« Ma grand-mère était Lituanienne. Mes parents m’ont donné son prénom. »
Non, pas vraiment, mais il n’avait pas besoin de le savoir. Mon prénom était d’origine lituanienne parce que j’étais née en Lituanie. Mon nom de famille américain remplaçait le vrai, Akalaitis. Je me faisais passer pour Américaine de naissance parce que c’était beaucoup plus simple et, surtout, beaucoup plus pratique. Comme je parlais anglais avec un accent presque imperceptible qui pouvait passer pour un accent de région, mon histoire de grand-mère était tout à fait crédible. Personne ne pouvait deviner que la vraie Milda avait vécu une enfance de pitié, dans une famille pauvre et que sa mère était morte lorsqu’elle avait dix ans, les laissant, son père, sa sœur et elle, dans la misère la plus pathétique, jusqu’à ce qu’un homme étrange mais apparemment plus riche qu’eux leur propose un marché : du travail pour les deux filles, alors que la plus jeune avait douze ans et la plus vieille quatorze. De la couture, il paraissait. Quelque chose de pas très légal mais très payant. Mon père avait accepté et nous étions même très heureuses, Greta et moi, de pouvoir avancer dans la vie.
« Donc…Vous travaillez dans la restauration et vous êtes étudiante en même temps. Pourquoi avoir choisi de venir chercher un emploi ici? »
« Oui…Étudiante en sciences. Je suis venue ici parce que je pense que j’ai ce qu’il faut pour combler le poste, même s’il s’agit d’un milieu difficile. Ça ne me fait pas peur. »
Je le regardai dans les yeux, avec un air neutre et sérieux, en me disant que le salaire était principalement ce qui m’avait attirée. Travailler à la prison n’était pas une ambition courante et, comme les postes se montraient plus difficiles à combler, les salaires étaient ajustés en conséquence. J’avais besoin d’argent pour payer mes études, mon appartement…et l’alcool. Ça coûte cher, l’alcool. Avec mon emploi de serveuse, je ne gagnais pas assez d’argent pour faire des économies et il m’arrivait souvent de sauter des repas. J’avais envie d’autre chose. De mieux.
« Oui… je vois que vous vous débrouillez toute seule depuis vos dix-sept ans, parce que vos parents sont morts lors des tragédies de 2007.»
« Exactement. »
En fait non. J’avais maintenant dix-huit ans, ce qui me donnait treize ans lors des tragédies de 2007. Mes faux papiers indiquaient que j’étais adulte depuis un an, alors que je ne le serais que dans trois ans. C’était un mec sympa que j’avais rencontré qui m’avait fourni les papiers pour que j’entre à l’université l’année précédente. Je n’avais pas compris pourquoi il ne m’avait pas fait payer le gros prix comme il avait probablement l’habitude de le faire pour les autres. Il m’avait dit qu’il avait envie de m’aider, parce que j’avais quelque chose de spécial. Et il avait vu ça comme ça, lui, juste en me regardant dans les yeux et en me parlant quelques minutes. Pourtant, il ne connaissait rien de mon histoire. Il aurait peut-être changé d’avis en apprenant par quelles folies j’étais passée.
J’étais arrivée aux États-Unis en mars 2007, avec ma sœur Greta, âgée de deux ans de plus que moi, dans le but de travailler dans le textile. Nous étions très fières de pouvoir nous créer un avenir et, surtout, de venir en Amérique. Greta rêvait de New York et nous nous étions promis d’aller y faire un tour avant de rentrer avec tout notre argent. Je n’ai d’abord pas compris pourquoi on ne nous faisait pas monter dans la même voiture. J’ai posé la question, mais le type qui m’a répondu ne parlait que l’anglais et je n’ai rien compris à ce qu’il disait. À ce moment, j’étais toujours persuadée que je reverrais ma sœur.
On m’a emmenée dans une sorte de maison comme je n’en avais jamais vu avant. Il y avait une drôle d’odeur là-bas et je me demandai pourquoi on ne m’emmenait pas directement à l’usine. En fait, je n’ai jamais mis les pieds dans une usine. On m’a enfermée dans cette maison et on m’a fait subir des choses que j’essaie aujourd’hui d’oublier. J’ai lu quelques années plus tard qu’on appelait ces pratiques des méthodes de persuasion et d’intimidation pour que la victime accepte d’obéir. Je ne me rappelle pas avoir accepté quoi que ce soit de ce qu’on m’a fait endurer là-bas. Depuis, je hais les hommes. Les vieux, surtout, avec leurs mains moites et leur sourire dégueulasse. Avec leurs habits chics et leurs bas troués. Et ce regard qui m’a fait vomir sur l’un d’eux, une fois. Le type qui nous surveillait et nous nourrissait m’avait frappée si fort, ce jour-là, que j’étais certaine qu’il m’avait cassé une côte. Je n’ai pas pu vérifier parce qu’on ne me laissait jamais sortir.
Bien sûr que j’ai demandé de l’aide. Certains hommes venaient, et je sentais le doute, le malaise, l’hésitation de leurs mains sur mon corps meurtri et tellement plus jeune que le leur. Alors je leur disais de me sortir de là. Que je ferais tout ce qu’ils voulaient, mais qu’il fallait qu’ils me sauvent, et que je retrouve Greta. Je suppose qu’ils comprenaient que
Greta était un prénom. Pour le reste, ils ne comprenaient pas le lituanien. Ils me sortaient leurs airs de chiens battus et ils faisaient ensuite leur affaire avant de repartir comme ils étaient venus. Tous les jours, je guettais pour une arme, n’importe quoi, pour essayer de m’enfuir ou de me tuer. Je ne sais pas ce que je voulais le plus.
Puis, il y a eu le tremblement de terre. Je ne sais pas pourquoi j’ai survécu. La chance, probablement. Il était temps que j’en aie. J’ai vu les murs s’effondrer autour de moi et écraser les autres filles qui étaient là, même la gentille chinoise qui me consolait lorsque j’avais trop envie de pleurer. Une grande planche de bois lui a traversé la gorge. Je me suis levée et j’ai vu…dehors. La lumière du soleil, je ne l’avais sentie qu’à travers une minuscule fenêtre de verre épais, dans le coin supérieur d’un mur pendant des mois. Je compris que c’était ma chance de me sauver et je la saisis. Toutefois, je le vis, l’homme qui nous surveillait, à moitié enseveli sous les décombres. Il gémissait de douleur. J’ai pris un morceau de métal qui devait provenir du plafond et j’ai frappé dans son visage jusqu’à ce qu’il cesse de gémir. Ensuite, et après avoir vidé ses poches, je quittai l’affreuse maison avec son argent, un livre étrange qui me semblait très important et la bague qu’il portait toujours.
Le type à la gare n’avait pas l’air d’apprécier ma tenue sexy, mais il m’a quand même comprise lorsque je lui ai demandé un billet pour New York. Je savais que c’était le seul endroit où retrouver Greta. Peut-être avait-elle eu plus de chance que moi.
Naturellement, une fois là-bas, je ne retrouvai pas ma sœur. Heureusement, je rencontrai des gens gentils, des jeunes qui, comme moi, n’avaient rien ni personne. Ils m’ont accueillie parmi eux, et les filles m’ont même donné quelques fringues pour que j’arrête de ressembler à une prostituée modèle réduit. J’ai d’ailleurs appris l’anglais avec eux. J’ai fait partie de la bande pendant plus de deux ans, jusqu’à ce que je rencontre le mec. Le mec… J’avais quinze ans, à l’époque, et il était tellement beau. Il voulait me sauver et il avait ce que mes amis de la rue ne possédaient pas : un toit et de l’argent. Quand il m’a laissée tomber après quelques mois, parce que je ne voulais pas coucher avec lui, j’ai réalisé que j’avais fait la plus grande erreur de ma vie en abandonnant mes seuls amis pour lui. J’étais maintenant toute seule.
Je me suis donc trouvé du travail. Je classais des fournitures à l’arrière d’un magasin. C’était très lourd et la poussière me faisait tousser toutes les nuits, mais j’ai fini par amasser assez d’argent pour me payer des vêtements qui avaient du sens, et je me suis fait engager comme serveuse dans un petit restaurant. Le meilleur salaire m’a permis de me payer un minuscule studio, et c’était une victoire d’avoir un toit sur ma tête. J’en ai profité pour acheter des livres et apprendre à lire l’anglais.
À dix-sept ans, j’ai décidé d’entrer à l’université. Toutefois, je n’étais personne, ici, aux États-Unis. Une Lituanienne importée pour trafic d’humains ne valait rien. Il me fallait donc une identité, et c’est à ce moment que j’ai rencontré le type qui m’a fourni mon nouveau nom de famille et mon nouvel âge adulte pour presque rien. Au moins, à partir de ce moment-là, me procurer de l’alcool était beaucoup moins compliqué.
Et aujourd’hui, je me retrouvais devant l’homme qui devait gérer les pires cas sociaux de la ville. Je considérais mon futur emploi comme un travail au zoo, mais avec des animaux plus dangereux. Je ne m’étais toujours pas faite à l’idée de ne jamais revoir Greta, mais il fallait que j’avance.
« Je vous aime bien, Mademoiselle Carter. Vous commencez demain. »
« Génial. Vous ne serez pas déçu. »
Et moi, j’allais fêter ça avec ma bonne vieille amie la vodka.