[EVENT] Bal de Noël 2020

Proserpine avait ingéré mon sérum de vérité, ce qui l'empêcherait temporairement de mentir, mais il y avait suffisamment de manières d'éviter de dévoiler des secrets pour que je ne m'enthousiasme pas trop devant les possibilités qui s'ouvraient.

Si je n'étais pas étonné d'entendre qu'une déesse infernale n'aimait pas partager, me retrouver devant une menace voilée me laissait perplexe. M'exprimait-elle l'envie que je lui consacre entièrement mon attention avec humour ou laissait-elle plutôt entendre qu'il était interdit de lui déplaire? Dans le doute, je souris malicieusement.

-Alors je suis tout à vous, dis-je en levant mon verre.

Nous fûmes interrompus par l'arrivée de M. Wilson, maître des retards et des maladresses sociales. Je fixai Ethan qui saluait Proserpine comme s'il la connaissait personnellement. Jouait-il un étrange numéro de domination en montrant sans aucune gêne qu'il savait qui elle était? Tel que je le connaissais, il se fichait probablement juste de ce qu'elle pensait de lui, comme elle ne représentait rien de spécial à ses yeux. Une déesse qui ne lui servait à rien, parmi toutes les autres.

Il me paraissait toutefois tendu, plus qu'à l'habitude. S'inquiétait-il de ma discussion avec une déesse puissante? Je ne lui nuirais pas auprès d'autres divinités; il me faisait confiance à ce sujet. Je ne l'avais pas coulé devant Tezcatlipoca quand je m'étais convaincu que je le détestais. Je me montrerais encore plus protecteur maintenant, c'était évident. Mais quelque chose le dérangeait dans le fait de me trouver avec Proserpine.

-Je vais me chercher une nouvelle coupe et saluer Peach, à plus tard.

-À plus tard, dis-je distraitement, absorbé par mon analyse de son comportement.

– Votre ami a l’habitude de gérer les soirées comme des réunions d’entreprise ?

-Excellent auteur, mais désastre social. Ça le rend presque attachant quand on le connaît.

Je ne pouvais pas rattraper son comportement mécanique avec Proserpine, et le tourner en humour permettait au moins d'en diminuer l'importance qu'elle pouvait y prêter et de mettre fin à la conversation à ce sujet.

-Je n’ai jamais eu l’honneur d’être présentée à lui, mais je constate qu’il a des sources d’information sûres. Lui auriez-vous parlé de moi ?

Je répondis à son regard de biais par un haussement de sourcils.

-Je vois mal ce que j'aurais pu lui apprendre après vous avoir rencontrée une seule fois.

Je pris une gorgée d'alcool, l'air détendu.

-Je serais peiné que vous vous méfiiez de moi, ajoutai-je avec un petit sourire.

J'avais décidé de laisser Ethan de côté entièrement, sans un regard de plus vers lui ni de culpabilité. Nous n'étions pas arrivés ensemble, il était en retard. Qu'il attende. Je m'occuperais de lui quand j'aurais fini de discuter avec la déesse qui m'avait accordé son attention en premier.

Mars et moi n'avons pas les mêmes goûts en matière de femmes. Il s'entoure habituellement de greluches. Il faut dire qu'il les attire facilement – et je lui ai fait la remarque à la blague qu'elles devaient se reconnaître en lui. Je préfère les femmes intelligentes, ou qui font au moins semblant de l'être. Mes relations ne durent pas parce que je perds patience et les fais fuir en leur gueulant dessus, alors je préfère des folles qui vont me divertir et me surprendre plutôt que des pantins à jeter après usage.

– En vérité, j’étais sur le point de m’ennuyer, tu tombes très bien.

Je ne regarde pas les bimbos. Si elles se vexent, c'est leur problème. Quand t'es chiante, faut t'attendre à te le faire dire. C'est cependant bizarre que Mars l'exprime aussi directement. Habituellement, il reste charmeur même avec les filles qu'il méprise. Je nous souhaite qu'il ne soit pas dans l'état d'esprit d'aller démolir une journaliste trop insistante. Cette soirée est censée nous aider, pas nous nuire.

-Je crois ne pas avoir réussi à vous tirer plus de trois mots en une vingtaine de minutes, comprenez bien que vous trouver divertissantes est assez difficile.

Comme excuses, on a vu mieux. Je souris un peu.

-Il est difficile à séduire, dis-je pour rattraper un peu, mais toute ma mauvaise volonté se lit sur mon visage.

Les filles se barrent en piaillant. Mars s'adresse à l'autre déesse qui m'a suivie. Je le contourne pendant qu'il parle, choisissant la petite bouchée qui me semble la plus protéinée. Je me tourne vers lui et le fixe avec ennui en mâchant alors qu'il me fait chier avec ma tenue. J'avais voulu éviter que nous soyions assortis par principe. C'est nul pour des représentants de parti politique d'avoir l'air ensemble. Pourquoi en faire toute une histoire?

-Si tu avais porté du rouge, nous serions en rouge tous les deux, voilà. Ça te dérange tant que ça?

Marre de toujours me faire placer dans le rôle de la rabat-joie. Ok, c'est un rôle que je m'impose la première, mais c'est pas une raison pour toujours en remettre.

-De toute manière, j'ai aimé le rouge avant même ta naissance, dis-je avec une expression plus joviale.

Je pose les yeux sur Tiamat, feignant la complicité :

-Ça vous gêne d'être en rouge avec moi?

Je me tourne et prends un autre petit four. Mon regard s'attarde sur Proserpine, un peu plus loin. Mouais, on parle vraiment d'une autre catégorie que Perséphone… Je reviens vite à mes deux clowns – je ne vais pas passer la soirée à fixer les jolies femmes, pas à un bal parasité par des dizaines de féministes.

-Vous avez des questions?

Je suis directe avec Tiamat parce que je ne vois pas pourquoi tourner en rond. Mars lui a déjà ouvert la porte, tout comme je l'ai fait plus tôt, et elle ne révèle rien tout en continuant à nous suivre. Que veut-elle?

Je ne connaissais pas bien Thot, comme la majorité des dieux qui n’appartenaient pas à mon Panthéon, alors je voulais bien croire Drake sur parole s’il m’affirmait qu’il pouvait devenir attachant. J’en retenais surtout que je n’avais pas mal estimé l’intérêt de l’humain lors de notre première rencontre. Il avait bien suffisamment de « personnalité » pour se faire approcher de dieux connus pour leurs exigences. On se sentait assez vite à l’aise avec lui, sans pouvoir lire pour autant à travers son esprit, mais on devinait qu’il y avait tout de même un peu plus que la simple froideur efficace d’une personne qui cherche simplement à s’adapter à l’autre.

– Peut-être, je ne l’ai jamais lu.

Je dis ces mots avec un regard un peu lointain, car il n’y a pas vraiment de raison à développer sur le cas d’Ethan Wilson. J’aurais bien dit « je n’ai pas eu la chance de le lire », ou ajouté un « malheureusement » mais je savais que je ne le lirai pas de toute façon. Les romans m’avaient enthousiasmés à une époque lointaine et même si des gens continuaient à écrire, je ne voyais plus très bien quelle nouveauté ils pouvaient m’accorder. De toute façon, la plupart des gens qui se réclamaient d’une grande culture ne mentionnaient que des livres vieux de 200 ans que j’avais bien évidemment lu, à une époque où ils étaient un élément bien plus essentiel à la vie mondaine.

Quand je demande à Drake s’il a parlé de moi à Thot, ma volonté première est de le taquiner, pour mesurer sa réaction. Il me confirme avoir une très bonne maîtrise de sa présentation sociale. Souvent, le seul ton d’une question de ce genre peut mettre les gens en sentiment de porte-à-faux alors qu’ils n’ont absolument rien à se reprocher.

– Eh bien, rien de plus que mon prénom, je lui réponds amusée.

Je crois cependant avoir générer une sorte de doute lorsqu’il déclare presque aussitôt être ennuyé à l’idée que je me méfie de lui. S’il avait parlé de moi à Ethan, qu’aurait-il pu raconter en effet ? Ethan, en revanche, aurait pu lui révéler qui j’étais, mais il ne semblait pas me juger comme une menace assez sérieuse pour me surveiller de près. J’étais juste intéressée de ce que Drake pouvait savoir sur moi et sur Thot, finalement.

– Cependant, il est possible que mon prénom soit familier à M. Wilson. – Je laisse cette information dans le vague, et je reprends avec un air plus candide : – Je ne pensais pas du reste à me méfier de vous mais, aurais-je des raisons à le faire ?

Arès essaye de rattraper mon étonnante franchise, ce qui n’est décidément pas habituel. Généralement, les rôles seraient plutôt inversés. Dire que je suis « difficile à séduire » est plutôt ironique. Je sais qu’elle n’y croit pas un mot. Comme la plupart des gens, elle semble convaincue de mon intérêt marqué pour à peu près n’importe quelle jolie fille qui me manifeste de l’attention. Je joue cependant le jeu en haussant les épaules d’un air désolé mais très désinvolte, puis je salue Thomasine, qui reste silencieuse aux côtés d’Arès. Ma tentative de la rendre un peu plus loquace échoue encore une fois, ce qui me laisse à croire que je pourrais la ranger dans la même catégorie que celle des filles qui viennent de nous quitter : demande d’attention, air faussement mystérieux et pas grand-chose à dire. Je n’ai plus franchement de temps à perdre avec ce genre de simagrées. Elle parlera si elle en a envie.

Je préfère me tourner de nouveau vers Brooke pour revenir sur cette histoire de tenues. Je dois dire que sa réaction de mauvaise foi m’agace assez. Elle ignore volontairement ma première remarque, sur son manquement à sa parole, et cherche à me faire passer pour quelqu’un qui n’aurait rien compris. J’ai essayé de souligner ce qui me gênait de façon détournée, mais je crains que le message ne soit pas passé. Elle n’exprime pas la moindre culpabilité ou envie de s’excuser. Donc, si je comprends bien, je suis une personne sans aucune finesse qui se fait un plaisir à nuire aux autres avec des « farces » d’enfant et à laquelle il vaut mieux mentir pour ne pas être victime de sa tendance à forcer le malaise en toute occasion. Je suis… un personnage inventé par l’esprit d’Arès. J’ai peine à croire qu’après tout ce temps, elle n’ait pas remarqué que je m’amusais certes de son caractère colérique, mais n’essayais jamais de faire l’imbécile avec elle devant un public important. J’avais accepté de venir à cette soirée douteuse pour travailler notre image, ce n’était certainement pas pour faire l’idiot ou risquer de créer de la tension par simple caprice. Je la laisse faire son petit numéro en réfléchissant un instant sur l’attitude à adopter pendant qu’elle s’adresse à Thomasine. En temps normal, je pense que je me contenterais d’une réplique piquante sur un fond d’humour, mais je n’en ai pas envie. J’attends qu’elle se tourne à nouveau vers moi pour clarifier cette situation « gênante », oui.

– Ce qui me gêne, c’est que tu aies préféré me tromper en estimant d’avance que j’aurais très envie d’être habillé comme toi rien que pour t’ennuyer, en estimant que rien ne me réjouis plus que te voir passer un moment désagréable, en plus d’avoir un sens de l’humour forcé et déplorable. – Il n’y a pas de colère dans ma voix, mais pas de chaleur pour autant. Je dois avoir une expression vaguement déçue. – Nous aurions pu être en rouge tous les deux simplement parce que tu n’as pas envisagé que j’aurais pu être de bonne foi en ne prenant pas du vert et crois bien que je ne me serais pas amusé à m’entendre répéter toute la soirée « Oh comme c’est adorable, vous êtes assortis » si tant est que les gens soient suffisamment observateurs pour en avoir quelque chose à faire.

Je risque de l’énerver mais je m’en fiche assez. Il ne me semble plus possible d’envisager la soirée sereinement quand elle s’attendait à ce que je lui passe un mensonge éhonté et se préparait, de toute façon, à ce que j’essaye de gâcher l’événement quoiqu’il advienne.

J'ai fait l'effort de refouler ma colère et de blaguer, par gentillesse. J'ai voulu détendre l'atmosphère après l'accueil lourd en provocation de Mars. Comment me remercie-t-il? En exagérant la gravité de la situation et en me faisant passer pour une folle. Entre le petit rôle de mec désinvolte auquel il s'accroche et les effets que ses numéros ont sur les autres, il m'a montré plusieurs fois ce qui compte vraiment pour lui : son image avant tout. Je croyais justement que c'était un truc que nous avions en commun, le besoin de jouer au plus fort, mais avec des techniques simplement différentes. Sauf que je sais abandonner ou contourner, mais il ne lâche jamais le morceau s'il peut écraser quelqu'un pour se donner raison. Et je n'accepterai pas de plier; il devrait le savoir.

-Ça te fait toujours plaisir de me faire enrager sur ce type de trucs. Arrête d'essayer de m'embrouiller, dis-je sur un ton sombre. Je ne vais pas me mettre à douter de ce que tu m'as prouvé plusieurs fois juste parce que tu argumentes bien avec la plus belle des attitudes.

Je soupire. Je suis ici pour lui, il a encore l'air de l'oublier. Cette histoire de politique m'intéresse et m'amuse, mais je ne me serais pas impliquée à ce point dans son parti si je n'avais pas cru en lui en particulier. Il y a d'autres dieux violents auxquels me lier si le temps prouve une fois de plus qu'on en a marre de conserver une entente avec moi.

-Tu parles comme si j'étais incapable de réfléchir à autre chose qu'à ce qui m'arrange. Dis clairement que tu me trouves stupide! Bien sûr que j'ai pensé que tu pourrais être en rouge, mais je m'en fiche un peu maintenant.

Gérer l'habillement de Mars a surtout été un moyen détourné de me donner un truc à contrôler au-dessus de lui, donc de me distancer de mon rôle de soutien continuel. Ça me convient de ne pas être la tête d'affiche, mais je n'en ai pas l'habitude. Les guerres que j'ai menées, c'était en dirigeant et en inspirant les troupes, pas en restant au second plan. Donc oui, ça me fait agir n'importe comment. Mais je ne vais pas le souligner à Mars. Il risquerait de me prendre de haut et de m'expliquer le supposé vrai sens de mes actions comme s'il comprenait un truc qui m'échappe, comme il le fait encore aujourd'hui avec cette connerie de vêtements rouges.

Ça ne me gêne pas de me disputer légèrement avec Mars devant Tiamat. Je n'ai rien à faire de l'avis d'une déesse qui ne prend pas de camp et, de toute manière, il n'y a rien d'inattendu dans un désaccord entre dieux de la guerre, même alliés. Je soupire. J'ai fait acte de présence, pris des photos pour les réseaux sociaux et salué les organisatrices. Mon travail est fait pour ce soir et j'en ai assez de Mars, en plus de tous les autres.

-Tu sais quoi, c'est pas nécessaire que nous soyons vus ensemble toute la soirée, alors je me barre.

Qu'il assume son titre de vedette tout seul.

-Bonne soirée, dis-je uniquement à Tiamat en contournant Mars.

Je termine mon vin et laisse la coupe sur une table qui contient d'autres verres vides, puis je me dirige vers la sortie, calmement, la tête haute.

Bal de Noël 2020

Les événements se déroulent à une vitesse impressionnante et je reste donc là, impressionnée. L’inversion des rôles qu’on s’attend à les voir jouer, oui, mais pas seulement. J’apprécie une nouvelle fois l’effort de connivence d’Arès, même s’il est plus à son avantage cette fois, cependant les choses dérapent à un niveau qui ne me concerne pas. Il m’intéresse beaucoup, cela dit. Et m’impressionne.

Mes questions restent donc tues alors que le ton monte. Le dieu romain répond à son homologue grec avec un flot de parole trop long pour ne pas contredire la neutralité de son ton. Les reproches sont faits avec autant de franchise qu’envers les mortelles éconduites. La réponse ne se fait pas attendre et n’a pas de neutralité, se divisant en parties avant une conclusion tant dans les mots que dans les gestes. Ce n’est qu’à celle-ci que je retiens un sourire et cligne doucement des yeux, observatrice du présent cherchant à déduire le passé. Une fois encore, l’attitude d’Arès est étonnante vis-à-vis de sa réputation. J’y vois une preuve d’un enjeu bien au-delà des masques d’une telle soirée. Les soupirs de Brook Hendrix s’enchainent et je lui rends son aurevoir d’un signe de tête.

« Brook a fait d’étonnants efforts pour cette soirée, à laquelle, je suppose, vous l’avez invitée, dis-je tranquillement à Mars en me tournant légèrement vers lui. Pour continuer à supposer, il s’agissait peut-être de s’investir voire que vous veniez accordés, justement. »

J’ai conscience de réduire mes chances de conversation à ainsi me mêler de ce qui ne me regarde pas. Cela étant, mes chances de conversation réelles sont déjà bien réduites avec les deux partis ; outre que rien ne m’empêcherait de tenter l’autre si l’un me congédie, il est peut-être plus intéressant de les mener à deux. Je pourrais exploiter la situation pour m’approcher de Mars. Je ne le ferais pas. Il y a quelque chose de plus intéressant que la politique qui se joue ici.

« Peut-être ne suis-je pas la seule à ne plus pouvoir me passer de vous ? »

Mon hypothèse hasardée avec mon étrange bienveillance, je me détourne doucement vers le buffet. Si Mars souhaite continuer à me parler, j’y suis disposée. Cependant, je m’attends tout autant à le voir le faire par esprit de contradiction avec Arès qu’à suivre celle-ci. Si sa neutralité cachait de la colère, il pourrait tout aussi bien la diriger contre moi après mes dires et peut-être même nous préférer une compagnie vaine similaire à celle qui a précédé notre arrivée. Quelle que soit sa réaction, mes mots n’en auront pas moins de signification. Quelle que soit sa réaction, je ne me formaliserai pas. Je sais que le conflit de ce soir n’a rien d’exceptionnel. Etonnant, oui, de par les causes que je lui suppose, mais exceptionnel, non. Les divinités de la guerre sont prédisposées au conflit. Certaines se complaisent dans son chaos, Arès ayant cette réputation. D’autres tentent de le contrôler par la stratégie, Mars ayant cette réputation. Sans avoir de grandes prétentions guerrières, je m’y connais en chaos et sais percevoir l’harmonie secrète qu’il dissimule.

M’emparant de deux petits fours, je goûte ce qu’a gouté Arès. Concernant le second, j’hésite à le tendre à Mars et laisse voir cette hésitation, tout comme sa signification. A lui de faire ses choix.

[L'événement se termine. Ce message amorce la fermeture du sujet. À partir d'ici, toutes les réponses doivent être le dernier de chaque personnage.]

J’avais passé une partie de la soirée avec Vénus, avant de la laisser auprès d’un autre designer de mode. Mon amitié pour elle ne m’aveuglait pas à mes responsabilités. Aussi, j’avais ensuite discuté avec différentes personnes. Souriante et apparemment enthousiaste, j’avais mis toute mon énergie à briller socialement, jusqu’à en oublier le buffet. Je n’avais consommé que les trois flûtes de champagne qu’on m’avait servies. Je n’aimais pas boire beaucoup lors de soirées officielles. En fait, je n’aimais pas vraiment boire parce qu’aucune occasion ne me donnait envie de risquer de me ridiculiser. Quand j’étais seule, boire me rendait émotive, et j’avais de nombreuses fois prouvé que je n’étais pas à mon meilleur quand je me laissais submerger par la colère ou la tristesse, donc la modération m’accompagnait presque toujours maintenant.

J’étais en compagnie d’un autre ministre, un felidae d’un ennui difficile à égaler, quand la musique s’arrêta pour laisser la scène à Alexandra Styles qui prit la parole au micro pour adresser de chaleureux remerciements aux invités, aux donateurs absents ce soir et à tous ceux qui l’avaient aidés pour réaliser ce projet. Comme à son habitude, Marie Corriveau resta en retrait, se contentant de hocher la tête et d’applaudir avec l’assistance. Je me surpris à soupirer de soulagement. Je pouvais partir.

Les organisatrices de la soirée furent entourées dès leur retour parmi leurs invités. Je n’avais pas besoin d’excuse pour ne pas aller les saluer. De toute manière, après tout mon travail avant la soirée, je pouvais m’épargner une convention ou deux sans qu’on me le reproche.

Je passai près de Vénus pour lui faire un petit signe de la main sur le chemin de la sortie. Nous nous étions promis de nous revoir bientôt, mais nous savions toutes les deux que nous ne tiendrions probablement pas cette promesse, absorbées par nos vies si différentes. Mais même si des mois passaient encore avant une prochaine rencontre, ils ne seraient rien par rapport aux siècles vécus et à vivre encore, non? Je me le répétais par rapport à chaque détail ennuyeux depuis mon divorce. Si quelque chose ne méritait pas d’avoir de la valeur, je la lui retirais dans mon esprit.

cLes taxis ne manquaient pas à la sortie de l’hôtel, et je fus chez moi rapidement. Retrouver la solitude après des heures de socialisation me faisait toujours bizarre, mais c’était chaque fois plus satisfaisant que quand je me retrouvais face à Zeus qui achevait chaque fois de drainer ce qui me restait d’énergie.

Pour la deuxième fois, en deux rencontres, Deborah Lackey s'est imposée apparemment sans politesse ni recul. J'ose croire qu'elle réfléchit davantage que ce que son attitude laisse supposer. Après tout, elle dirige un bar qui a un grand succès, qu'on en aime le thème ou non. Elle doit savoir ce qu'elle fait. Alors pourquoi se montre-t-elle si impulsive et bizarre? Je ne comprends pas ce qu'elle me veut, ce qui justifie ce comportement. Mais je suis sensible aux manifestations de recherche d'attention, donc je n'ai pas envie de la repousser sans véritable raison.

Deborah se montre gentille, chaleureuse même. Tout en elle respire la séduction. Est-ce sa manière naturelle d'être ou joue-t-elle un numéro qui lui permet davantage de folies, d'écarts et de distance avec les autres? Peu importe la raison, elle tient à son image, plus que simplement pour bien paraître. Je lui sors donc mes plus beaux sourires, et même mon enthousiasme quand elle répond à mes questions. Nous nous donnons la réplique sagement. J'ai l'habitude de me réjouir devant des banalités. C'est la base quand on se bâtit un réseau de connaissances. Au moins, Deborah ne me décrit pas son chat, ne me force pas à sourire devant la photo de son bébé et ne me pose pas de questions lourdes sur ma vie amoureuse.

Les organisatrices la coupent au milieu d'une phrase sur un designer qu'elle apprécie. Un peu plus imbibée d'alcool que je devrais l'être à ce genre de soirée, je presse Deborah à voix basse de continuer ce qu'elle disait, et je ne fais même pas mine de prêter attention au discours de fermeture de la soirée. Nous parlons encore quelques minutes, puis je profite d'un trou dans la conversation pour annoncer mon départ :

-Ce fut un plaisir de passer cette soirée avec toi. Tu es une personne fascinante, dis-je en mettant probablement trop d'accent sur le dernier mot. Nous nous reparlerons bientôt, évidemment.

J'agite distraitement mon téléphone pour rappeler que nous nous sommes échangé nos numéros plus tôt.

-Merci! dis-je en lui prenant les mains avec un sourire.

J'ai définitivement trop bu. Je lâche ses mains rapidement, mais je maintiens le sourire.

-Bonne nuit, Deborah.

Je la quitte avec bonne humeur, et évite de croiser d'autres regards en sortant de la salle. Je ne titube pas, mais je marche moins rapidement qu'à l'habitude. Une fois dehors, je ne prends pas immédiatement un taxi. Je m'adosse plutôt au bâtiment, à l'écart des gens, pour respirer un peu d'air frais avant de partir. Je fais un tour rapide des réseaux sociaux pour me donner l'air occupée. Je partirai dans quelques minutes quand le décor me semblera moins mou.

J’avais pris soin, tout au long de la soirée, de garder Atara dans mon champ de vision, mais toujours en restant très loin et en m’assurant que ça ne paraissait pas. Je ne la surveillais d’ailleurs pas vraiment, elle était une tache bleue floue au loin qui faisait je ne savais trop quoi, je voulais seulement m’assurer qu’elle ne viendrait jamais près de moi alors que je ne m’en doutais pas. Je contrôlais la distance entre nous, sans en faire une obsession, afin d’être certaine de l’éviter. Et si, comme je le croyais, elle était venue expressément pour me provoquer et me déranger, le fait que je reste loin d’elle, au bras de Peach à m’amuser l’énerverait et je m’en réjouissais d’avance. Je me concentrais bien évidemment davantage sur ma conversation avec Peach que sur Atara, puisque Peach avait plus d’importance. Je n’étais pas étrange, mon comportement était naturel et je restais moi-même. Seulement, quand je regardais à travers la foule en ayant l’air innocent de quelqu’un qui regarde juste comme ça sans raisons, eh bien j’étais plutôt toujours attirée vers le dernier endroit où j’avais vu la tache bleue floue au loin qui faisait je ne savais trop quoi.

J’aimais mes conversations avec Peach encore une fois ce soir. Si nous avions commencées sur une touche très inconfortable, avec sa confusion et mon discours qui se voulait ouvert et dans le non-jugement, nous avions rapidement enchaîné sur autre chose en riant. Peach me fascinait. Elle était tellement toujours impeccable et parfaite, je n’en revenais pas. D’une beauté et d’une élégance incroyable évidemment, mais c’était au-delà de ça. Elle était posée, vive d’esprit et renversante. Elle était sympathique, mais sérieuse à la fois, quelque chose que je respectais. Je me reconnaissais un peu en elle, dans certains comportements. Elle aussi avait tendance à se la jouer plus innocente et mièvre que ce qu’elle était en réalité. Elle ne m’avait rien donné de suffisamment clair pour que je puisse vraiment lui en parler, mais je sentais une tension au fond d’elle. Le genre de tension jumelle à celle que j’avais moi-même. Comme à mon habitude, tout au long de notre interaction, je n’avais pas pu m’empêcher de replacer à l’occasion une mèche de cheveux, de lui toucher les mains en riant et de serrer légèrement son bras quand je n’en croyais pas mes oreilles.

Alors que j’étais en train de parler d’un designer que j’aimais qui nous avait fait des costumes pour une soirée thématique sur le cirque il y avait trois mois, les organisatrices avaient pris la parole. J’avais alors dû arrêter ma phrase en plein milieu et faire comme si ça ne me dérangeait pas, mais Peach m’avait rapidement invitée à continuer de discuter à voix basse. Je ne m’étais pas fait prier pour continuer mon histoire. Après plusieurs minutes, Peach m’avait dit que ça avait été un plaisir de me parler encore ce soir, que j’étais fascinante et autre chose que je n’avais pas écouté parce que j’étais troublée par l’utilisation de ce mot. C’était aussi mon sentiment et c’était étrange de l’entendre de sa bouche.

-Merci! Bonne nuit, Deborah.

-Merci à toi, Peach! J’ai déjà hâte à la prochaine fois… Bonne nuit!

Je la regardai partir quelques instants avec un sourire niais au visage. J’avais l’impression d’encore sentir la chaleur de ses mains sur les miennes. Étrange. Puis, je m’étais glissée jusqu’aux organisatrices pour les féliciter à nouveau pour leur soirée. Finalement, je sortis à l’extérieur et pu me héler un taxi facilement, comme d’habitude.

On aurait parfaitement raison d’estimer stupide que j’insiste sur une bête histoire de vêtements, mais elle illustrait très bien un problème de communication entre Arès et moi. Je ne comprenais pas ce qui s’était passé dans son esprit tordu ni comment elle avait pu s’attendre un instant à ce que je le prenne bien. Son visage se fermait à mesure que je lui exposais tout ce qui m’ennuyait. Je savais qu’elle détestait quand je me mettais à parler comme ça, sur un ton froid, un peu hautain, et passant du temps à détailler chaque élément, et j’aurais pu m’en abstenir dans l’immédiat. J’aurais pu attendre d’être seul pour faire une mise au point. Le temps aurait pu aussi déterminer l’importance de le faire ou non. Mais, je n’en avais plus rien à faire ce soir. « Arrête d’essayer de m’embrouiller », disait-elle juste parce que j’argumentais mieux et ne lui permettait pas de s’enfoncer dans ses torts. Elle voulait absolument soutenir ce soir que je n’étais qu’un empêcheur de tourner en rond qui adorait nuire à son image. J’avais très envie de lui demander quels étaient ses exemples, puisqu’elle avançait que je lui avais « prouvé plusieurs fois » qu’il valait mieux me mentir, mais ça n’aurait fait qu’aggraver la dispute, parce qu’elle n’aurait sans doute pas eu d’exemples et se serait d’autant plus énervée, ou parce qu’elle m’en aurait donné et que je lui aurais démontré que ces exemples n’avaient rien à voir avec notre situation présente. Et, bien sûr, nous en serions retournés à cette accusation qui finit par revenir dès que je ne suis donne pas raison « je la trouve stupide ». Je hausse négligemment les épaules.

– C’est toi qui le dis, pas moi.

J’aurais même bien dit que c’était son ressenti, mais j’en avais assez fait et l’aveu que son plan aurait pu ne pas fonctionner du tout devait suffisamment lui donner cette impression, qu’elle avait agi assez bêtement. C’était suffisant pour ce soir. L’essentiel est que le message passe, n’est-ce pas ? Qu’elle décide de me fausser compagnie ne me surprenait pas et ne me touchait pas particulièrement. Ce n’était pas la première fois que je l’agaçais, même si j’essayais en général de calmer un peu le jeu. Je le ferai sans doute plus tard. Là, j’étais plutôt fatigué par sa réaction de fierté mal placée.
Alors que je la regarde partir d’un air aussi vide qu’indifférent, Thomasine décide d’intervenir en supposant que la tenue de Brook était destinée à m’impressionner et que toute sa stratégie inutilement complexe avait pour but que je vienne habillé de la même couleur qu’elle. Je suppose qu’elle essaye d’être gentille et de me donner envie de me réconcilier, c’est le genre de chose que les gens peuvent faire quand ils se retrouvent au milieu de ce genre de malaise.

– Ce seraient de belles suppositions, mais en fait, c’est plutôt Brook qui m’a proposé de venir pour faire bonne image dans la presse. Je suppose que c’est un peu raté pour ce dernier point.

Je lui tourne un sourire amusé, en m’appuyant à moitié sur la table pour continuer à boire, comme si rien de ce qui venait de se passer n’avait d’impact sur moi. Elle essaye encore de me suggérer que Brook pourrait réellement s’intéresser à moi, mais je préfère éviter ce sujet et tourner sa question à la plaisanterie en lui retournant avec amusement :

– Mes charmes auraient-ils fait des ravages sur vous ? Faites attention, il paraît que je suis un vrai goujat.

Je ne suis pas décidé à partir tout de suite, même si je ne pense pas m’éterniser. Je laisse juste traîner un peu la discussion avec Thomasine avant de saluer quelques personnes qui souhaitaient me voir et me retirer aussi après avoir bu suffisamment pour ne plus penser à rien.

J'avais toujours accordé une importance démesurée à Deborah. Pendant longtemps, j'avais eu l'impression que cet amour m'était retourné, mais le comportement de ma soeur depuis sa rencontre avec ce con de Charles Demers m'avait prouvé que je n'étais qu'une personne parmi d'autres, à ses yeux. En fait, cette histoire m'avait fait réaliser à quel point son affection était variable. Parce que maintenant, je pouvais parier que Charles ne comptait même plus. Souriante parmi les inconnus, elle l'avait certainement oublié de la même manière qu'elle me dédaignait depuis des mois.

Je n'aimais pas Charles Demers, mais je pouvais lui concéder que son histoire avec Deborah s'était révélée traumatisante. Principalement par ma faute, selon Deborah. Il était normal qu'il ne veuille plus de ma soeur, voire même qu'il nous déteste tous après les horreurs dont je l'avais poussé à être témoin. Je lui pardonnais presque de ne pas avoir été à la hauteur de l'amour de Deborah pour lui. Mais Deborah, après nous avoir abandonnés, après avoir craché sur toute la vie que nous avions bâtie ensemble tous les quatre, aurait dû s'accrocher davantage à l'humain qu'elle revendiquait comme assez spécial pour nous trahir. Si elle avait rampé encore et encore vers lui, j'aurais eu pitié. Son comportement désinvolte m'insultait, me donnait envie de lui faire du mal. Pour ce soir, je l'ignorais activement, dans le but qu'elle sache que je la détestais, mais je réalisais que cette distance ne me suffirait pas sur le long terme. J'allais me réinvestir dans sa vie.

Sur la piste de danse avec Amy, je me concentai sur mon plan d'oublier Deborah. Amy était une jolie fille, ça m'aidait beaucoup. Je distribuai quelques clins d'oeils aux hommes qui nous regardaient danser, mais je ne fis aucun autre signe encourageant. J'avais mon jouet, je n'en voulais pas d'autre.

Une chiante prit le micro et m'interrompit en plein mouvement sensuel sur la hanche d'Amy. Je soupirai avec une expression de profond ennui que je ne cachai pas. Mon regard ne resta pas longtemps sur l'hôtesse bavarde. J'observai les invités,les musiciens réduits au silence, Amy, le bar... J'aurais dû boire plus.

-Tu viens prendre un verre avec moi? Ailleurs? Marre d'ici et de porter cette robe.

Elle pouvait interpréter mon invitation comme amicale ou sexuelle. Elle pouvait me faire visiter son appart ou venir chez moi. Je lui laissais plein d'options, dans ma grande générosité pour celle qui rendait ma soirée tolérable malgré Deborah - qui gloussait en background avec la pimbêche blonde.

Je ne lui conseillais pas de me rejeter. Ce genre d'attitude mettait les gens sur ma liste noire.

Bal de Noël 2020

Mars me répond en quittant son indifférence pour un sourire que je connais bien. Le mien, de sourire, n’est pas amusé mais attendrit, puisque la contradiction de ma première supposition ne fait que renforcer celle qui a conclu mon raisonnement. Je n’en dis rien cependant, plus concentrée à acter par le geste que par les mots une situation qui m’intéresse encore un peu plus. Le dieu romain continue de s’amuser de la situation, un verre à la main, et me fait un avertissement qui n’est pas nécessaire. La scène précédente a été un témoignage.

« Je ne pense pas que vous me preniez la tête de pire façon que ce qui m’a déjà été fait. »

Ma plaisanterie est un peu amère mais l’amusement n’en est pas moins présent. C’est l’une des rares choses qui permet de faire face quoi qu’il arrive, en positif comme en négatif. Malgré celui dont fait preuve Mars, il reste à distance de la bouchée que je lui tends. L’alcool lui suffit, histoire d’arranger son humeur sans doute. La bonne image de la presse est morte alors autant l’enterrer avec la méthode habituelle. Lance Larian et son parti ne m’incluront jamais dans leurs alliés politiques, l’incompatibilité de nos approches du domaine étant claire depuis la fête des Caerwyn. Cependant, cela ne m’empêchera pas de me mêler de leurs existences sur d’autres plans. Je m’adresserai à Arès d’abord, que ses efforts du soir ne soient pas vaincus même si elle préférerait peut-être cette option. Dans tous les cas, c’est au romain que je fais face et la discussion se poursuit donc.

Difficile de dire si les mots coulent plus que l’alcool, dont je joins le camp une fois que j’ai avalé la bouchée proposée par symbolisme. Etonnamment, ma langue se délie également ; autant qu’une langue bifide le puisse, métaphoriquement parlant. De quoi avouer que, oui, la capacité à s’amuser dont Lance fait preuve me plait ; parce que je la partage et parce que cela me permet de me sentir proche de lui, d’une certaine manière. La solitude est un sentiment que je ne connais que trop bien, même entourée, et ce sont les larmes qu’elle m’a poussé à laisser échapper qui sont à l’origine de tout, au sein de mon panthéon. Panthéon qui, me concernant, est dans le thème de la soirée. Comme beaucoup d’autres, cela dit. C’est drôle, l’introspection ne m’est pas naturelle, pas plus que la désinhibition de l’alcool.

Ce qui me fait réaliser que nos différences sont également de comptoir, pas seulement de politique, alors je m’amuse de considérer la situation : je vide mon cœur tandis que Mars se vide l’esprit et que nous vidons des verres. L’amusement comme défense face à la vie, c’est d’autant plus important lorsque celle-ci est difficile ou éternelle ; cette fois, je l’énonce. J’énonce aussi que, malgré ce qu’on peut penser de moi, je ne fais pas les choses que pour m’amuser. Parfois, souvent, je les fais pour aider. Comme un démon, oui, mais aussi comme une déesse. Comme une mère.

Heureusement qu’on finit par requérir Lance Larian ailleurs, sinon j’aurais pu le saouler plus que l’alcool et me nuire plus que de raison. Je reste donc seule, réfléchissant, jusqu’à ce que le discourt de clôture m’invite à aller le faire ailleurs.

Bal de Noël 2020

Atara s’en distrait de temps à autre au profit de quelques hommes qui nous regardent, sans que se sache s’il s’agit d’une provocation ou d’un réel signe d’intérêt envers eux. Mon égo dit la première mais je ne suis pas certaine qu’il soit le plus objectif sur le sujet. Cela étant, comme j’ai doit à nombre de contacts "rassurants" de la part de ma partenaire de danse. Je ne suis pas réellement rassurée et, si c’était à l’origine dû à l’antécédant de spectacle impromptu d’Atara, le sentiment va s’ancrer à une autre source. Atara m’attire indiscutablement. Elle le faisait à distance avec la robe dont motifs de paillettes bleues et la mousseline transparente souligne son physique plus qu’ils ne le cachent. Elle le fait encore plus à proximité, avec la maitrise de son corps voire du mien permise par son talent comme, je suppose, son travail. C’est moi qui la tiens afin de maitriser la danse et pourtant j’ai l’impression qu’elle pourrait retourner la situation d’un mouvement, d’une intention. Mon cœur bat vite, rattrapant presque mon cerveau où émotions et pensées échangent presqu’aussi bruyamment. Je sais où je ne veux pas aller. Je ne sais pas où je veux aller. Je n’arrive pas à savoir où Atara veut aller.

Puis tout s’arrête.

L’interruption me surprend, d’abord au niveau du toucher : la main d’Atara s’immobilise sur ma hanche, me paralysant. Ensuite, c’est l’ouïe qui me signale l’origine, alors qu’on est remerciées de multiples façons. Enfin, la vue, qui après avoir suivi les deux autres s’en revient à ma partenaire du soir et à sa contrariété. Je pince les lèvres et déglutis, comme si j’en étais responsable, alors que mon cœur continue son chemin.

« Tu viens prendre un verre avec moi ? Ailleurs ? Marre d'ici et de porter cette robe. »

Je cligne des yeux à la première question, comprend à la seconde et recligne à la conclusion. Prendre un verre, effectivement ça ne sera plus possible dans la salle de bal. Donc il faut aller ailleurs. Quand au sentiment, sa seconde partie m’est problématique : d’accord qu’Atara en ait marre de la robe, par contre où compte-t-elle la changer ? J’en suis presque à craindre que l’alcool et la nature ne la laisse dévoiler le peu encore caché par ras-le-bol dudit caché. Cela étant, je sais comment rebondir sur la proposition et le fait avec un sourire plus réfléchi que malicieux.

« C’est vrai qu’on ne l’a pas pris tout à l’heure… »

M’éloignant d’un pas d’Atara, je réfléchis un instant aux possibles. L’histoire de changer de robe me tracasse tout autant que l’endroit où elle veut aller, au sens figuré pour le second.

« J’ai une chambre ici, tu pourrais t’y changer… si tu as des vêtements de rechange. Si non, je dois pouvoir t’en passer… si tu veux. Si non, je m’excuse de la proposition. Dans tous les cas, tu connais un bar sympa pas loin ? Si non, on peut toujours voir avec le service de chambre… »

L’instant de réflexion a été long et la réflexion a été longue aussi. J’ai pas fait de répétition, j’improvise donc et cela s’accompagne de ses aléas. Ironique considérant que je cherche à les éviter, les aléas. Je prends donc les choses en main et attrape celle d’Atara pour l’emmener à ma chambre.