HISTOIRE ET CARACTÈRE

J’avais eu une dure journée au bureau. Plusieurs clients nous avaient appelés avec une conscience écologique parce qu’un compétiteur avait parti la rumeur que nos bouteilles n’étaient pas recyclables. Dans ce monde en reconstruction, où il y avait encore tellement de pollution, de crimes, de ruines et de tristesse, ils se souciaient davantage de l’effet du plastique sur la Terre que de l’effet des guerres et des catastrophes naturelles. J’avais été un peu surpris, mais j’avais réussi à mette sur pied un plan efficace pour contrer tout ça. Il avait fallu que les avocats et nos détectives se mettent sur le cas pour trouver d’où la rumeur venait, pour essayer de les faire se rétracter avec des menaces de poursuite pour diffamation, pendant qu’une partie de l’équipe calmait les clients au téléphone et que je préparais une conférence de presse exceptionnelle pour répéter à tous que nos bouteilles avaient été fabriquées avec un plastique d’une technologie spécialement créé pour que la bouteille, si elle n’était pas retournée dans les endroits appropriés, soit complètement biodégradable. Et même, si elle finissait dans les étendues d’eau, elle constituait une source de nourriture pour les animaux aquatiques en se dégradant. Certains de mes collègues avaient proposés qu’on commence à embouteiller avec des contenants en vitre, mais je ne voyais pas l’intérêt. Après tout ce que j’avais investi pour que le plastique soit à ce point bio, ce serait donner raison aux jaloux que de changer de contenant. Ça avait été une journée éreintante à éteindre plein de petits feux. Heureusement, j’étais doué avec l’eau. Parfois, je me disais que j’aurais peut-être dû devenir pompier, puis je regardais ma richesse, ma célébrité et ma liberté et je ne regrettais rien.

Je sortais donc du gym où j’étais allé me défouler quand je reçu un message sur mon cellulaire de l’entreprise de potions. Je me rendis donc à ma boutique qui se trouvait seulement à quelques minutes de marche et j’y attendis ma cliente. Sa commande était prête depuis plusieurs jours, mais elle n’avait pas eu le temps de se libérer avant pour venir la chercher. Si j’étais d’abord connu comme étant homme d’affaires influent pour ma compagnie d’eau embouteillée, j’étais également reconnu dans le milieu underground de gens connaissant la magie comme étant le meilleur fabricant de potions de tous les temps. Je ne savais jamais vraiment à quoi mes potions leur servait. Je veux die, j’étais capable de comprendre que si on me commandait un philtre d’amour, c’était pour rendre quelqu’un amoureux de quelqu’un d’autre, mais je ne posais jamais de questions à savoir l’histoire et les besoins plus spécifiques de mes clients. La raison était simple : je m’en foutais. Ils me passaient des commandes, je les faisais, ils me payaient et ils repartaient. Fin de l’interaction, fin de l’histoire. Je revoyais souvent des clients plusieurs fois, mais ça ne changeait pas la transaction. Je leur faisais parfois un rabais si c’était des réguliers, mais rien de plus. Le fait de les voir souvent ne me donnait pas plus le goût de devenir familier avec eux.

Je ne cultivais pas non plus beaucoup de liens avec les autres dieux. Je connaissais toutes leurs présences et leurs nouvelle existence, mais je ne voyais pas l’intérêt de me rapprocher d’eux. Personne ne savait ce que j’avais fait à Poséidon lors de la brèche et, même si je me trouvais d’un humour des plus raffinés, je ne voulais pas le crier sur tous les toits. C’était un duel à mes yeux, que j’étais certain de gagner d’ailleurs, mais les gens diraient plutôt que c’était un meurtre et je n’avais pas envie de me justifier auprès d’eux. J’étais un dieu romain qui préférait faire ses affaires et son empire en solo parce que de toute façon, j’étais le meilleur. Avoir des alliances avec des gens médiocres me tirerait vers le bas et, bien que je pouvais respirer sous l’eau, je préférais encore rester dans le luxe de ma vie à la surface. J’avais participé au conseil des Dieux tenu par Loki dans le passé, mais j’y allais surtout pour savoir ce qui se passait, pour évaluer à quel points ils étaient stupides. Je ne donnais que rarement mon avis, ne trouvant pas qu’ils méritaient de le connaître. Depuis la fin de ce conseil, je gardais des liens polis et génériques avec mes compatriotes. J’allais aux soirée mondaines, aux évènements caritatifs et mêmes aux pendaisons de crémaillères, mais je ne parlais chaque fois qu’à deux ou trois personnes. Je tournai le coin de la rue sur laquelle ma boutique se trouvait et qui donnait une vue sur le port. Je me mis à penser que j’avais laissé les dieux finnois prendre plus de place pour gérer les mers, les pêcheurs et les pêches, parce que je les respectais.Ce qui était rare de ma part, tout de même. Nous étions arrivés à une entente et c’était positif pour tout le monde, mais je pouvais reprendre ma place n’importe quand et j’espérais bien qu’ils s’en souvenaient.

J’arrivai à la boutique et mis de l’ordre dans le courrier que j’avais reçu. Mon œil fut capté par une carte postale ondulée, comme si elle avait été échappée dans une flaque d’eau il y avait longtemps. Mais je savais que ce n’était pas vraiment le cas. Je savais que ça venait en fait de mon fils. Avant la brèche, j’avais eu des enfants, mais seulement un avait réussi à traverser et à y survivre. Triton avait d’ailleurs préféré rester sous l’eau, dans son royaume à faire la fête avec les sirènes. Je ne lui en voulait pas. Il n’avait jamais été bien à l’aise sur la terre ferme. On se donnait des nouvelles régulièrement. Soit j’allais avec un de mes bateaux jusqu’à notre point de rencontre, soit il m’envoyait une carte postale usée pour me dire ce qui arrivait de son côté. Quand j’étais trop occupé pour lui répondre, je demandais à un dauphin d’aller lui parler pour moi. Il était sous l’eau avec sa mère. Salacia l’avait suivie dans le royaume sus-marin après la brèche. Je n’avais pas eu d’autres nouvelles d’elle et je n’avais pas essayé de la retenir. J’avais déjà mis beaucoup d’efforts dans cette relation, je ne tenais pas à être le seul à ramer. Elle avait fait le choix de me quitter, puis de ne pas rester à la surface, alors qu’elle savait précisément ce que moi j’en pensais et ce que je faisais, je n’allais plus ramper pour elle. Quant à mes deux autres enfants, l’un n’avait pas traversé du tout, voulant tenter d’absorber l’énergie négative à lui tout seul et empêcher que nos mondes s’effondrent et l’autre avait été gravement blessée pendant les catastrophes naturelles causées par la brèche et ne s’en était pas remise. Pour ce qui est de mes frères, Jupiter était également mort lors de la brèche, avec sa femme d’ailleurs. Mon frère Pluton et sa femme Proserpine, eux, étaient bien vivants. Je parlais régulièrement à mon frère, mais on ne se visitait pas tellement. Alors oui, après tout ça, on pouvait dire que j’étais un peu seul, puisque c’était principalement que moi, mais j’étais bien plus que suffisant. Ma compagnie était la meilleure.

La clochette de la porte d’entrée me sortit de mes pensées. Je fis un grand sourire à ma cliente, en lui mettant sur le comptoir les trois fioles de sommeil qu’elle m’avait demandé. Elle me remercia, me dis que j’étais vraiment le meilleur (évidemment!) et quitta les lieux aussi rapidement qu’elle était arrivée. La clochette se fit entendre à nouveau, puis je ramassai mes effets personnels. J’accrochai la carte postale de Triton sur le babillard dans mon bureau, avec les nombreuses autres, puis je me mis en marche pour retourner à ma voiture pour aller me rafraîchir. Je n’avais pas de plans précis pour ma soirée, mais j’avais quelques idées déjà. En chemin, il se mit à pleuvoir et j’en fus ravi. J’eus presque envie de faire exprès de faire des détours pour prendre plus de temps pour me rendre à ma voiture. Je devais être la seule personne au monde à aimer les jours de pluies. C’était plus fort que moi, j’aimais tout ce qui avait trait à l’eau. Je sentais chacune des gouttes tomber sur ma peau et sur mes vêtements de sport et c’était comme un boost d’énergie à chaque fois. Chaque goutte me faisait oublier un client ou un journaliste de plus avec qui j’avais eu à faire affaire aujourd’hui.

Une fois dans mon grand chez moi, je fis un détour par mes étables avant d’entrer dans la maison. J’aimais prendre le temps d’aller voir et cajoler un peu mes chevaux. J’en avais deux et ils étaient vraiment exceptionnels. Il y en avait un beige particulièrement bâti et grand. Il était très endurant et avait une force incroyable. Et mon autre était plus athlétique. Elle était la plus rapide et très intelligente aussi. Après avoir passé pratiquement une heure avec eux, je me dirigeai à l’intérieur de ma maison. Je pris contact avec quelques conquêtes, pour savoir lesquelles étaient disponibles. Quand j’eus plusieurs réponses, je décidai de prévoir quelque chose avec la plus belle. Mon carnet de contacts était long et contenait presque exclusivement des personnes connues et particulièrement belles. Sachant de quelle classe de beauté j’étais (la plus haute) je me permettais d’être superficiel et sélectif quant à l’apparence de celles avec qui je couchais. Parce que je ne voulais rien de sérieux de toute façon.

Après ma longue douche chaude, je terminai de planifier les détails de la soirée avec la chanceuse que j’avais choisie. Je sélectionnai avec soin les vêtements que j’allais porter, ainsi que les accessoires. J’aimais bien paraître et être à la mode. J’entretenais mon corps et mon esprit pour qu’ils restent parfaits, c’était tout simplement naturel que le reste de mon apparence devait suivre la cadence aussi. Une fois satisfait de la perfection qui se dégageait de moi, je pris mon casque de moto et me dirigeai vers le garage. Je me serais cru dans un film puisque je quittai mon domaine pour aller rejoindre ma conquête du jour, à moto, au soleil couchant. Pour une fois, le paysage était presque aussi beau que moi.

DEVANT L'ECRAN