Les Dieux de New York
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When the past meets the present | Josh feat Macsen

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Josh R. de RoncevauxJosh R. de Roncevaux


Messages : 92
Emploi/loisirs : Restaurateur - Cambrioleur


When the past meets the present | Josh feat Macsen Vide
MessageSujet: When the past meets the present | Josh feat Macsen When the past meets the present | Josh feat Macsen EmptyDim 10 Juin - 10:15

Notre histoire commençant sur un autre forum amené à fermer ses portes, à une autre époque (les années 30), voici l'intégralité du RP qui narre la rencontre entre Josh et ce fourbe de Macsen, avant mon arrivée au temps présent.

When the past meets the present
RP entre Josh .R de Ronveaux et Macsen Caerwyn

Josh :

Paris, huit heures du matin. Sur la table du salon, je prends le petit déjeuner que mon majordome Pierre m’a préparé. Comme à son habitude, il a disposé chaque élément de ce premier repas de la journée, de manière précise et protocolaire. Ma tasse de café à droite, les gaufres et pancakes face à moi accompagné d’un grand verre d’oranges fraîchement pressées, et les journaux du matin à ma gauche.

Je n’ai encore rien touché, grattant la tête de Noiraud qui s’est hissé sur mes genoux. Je laisse l’odeur du café envahir mes sens et chasser les brumes du sommeil. Par la fenêtre, la rumeur de la rue me parvient. Une moto pétarade en passant et les appels d’un vendeur de journaux à la criée annoncent les dernières nouvelles. Je ne saisis pas ses mots qui sont tamisés par les vitres et les rideaux encore partiellement tirés. La lumière dans le salon est feutrée. Pierre sait qu’il ne faut pas me brusquer au réveil, sinon je deviens un vrai fauve pour le restant de la journée.

Le ronronnement du chat ne m’incite pas à l’activité. Je tends la main vers la desserte qui est à ma portée et prends un mince cigare dans une boîte recouverte de cuir rouge. Je craque une allumette sur le revers de mon ongle, et rapidement des volutes bleutées s’élèvent vers le plafond. Marie Curie secouerait la tête de manière moralisatrice si elle me voyait. « Ce n’est pas bon pour les poumons Josh : Si tu voyais ce que nous avons découvert avec les radioscopies faites dans les tranchées ! Tu verras, on interdira de fumer bientôt. » Je souris à l’évocation de cette discussion. Cette femme parle comme un visionnaire. Elle est brillante. Si elle a peut-être raison sur le tabac, je ne suis pas prêt de m’en passer. Un homme qui ne boit pas et ne fume pas, est vite la risée des autres dans les salons mondains que je fréquente. Les années trente sont une revanche sur la morosité et l’abattement qui avait suivi la grande guerre. Il est de bon ton de profiter de la vie, une guerre est si vite arrivée, ou la fin du monde comme l’annoncent quelques illuminés.

Enfin, je prends ma première gorgée de café. La journée commence.

/•/•/•/

Les marchés boursiers sont suspendus à l’actualité politique. Les gouvernements valsent vite en ces temps incertains. La révolte populaire gronde, la droite est déstabilisée et la gauche cavale en avant plus pour ne pas chuter que par une volonté établie de prendre le pouvoir. Faire des affaires dans ces temps troublés tient plus au flaire qu’à l’analyse d’un modèle économique. Mon affaire d’import-export se tient à flot parce que je contourne souvent les règles. Cependant l’affaire Stavisky a secoué l’arbre pourri des fonctionnaires. Quelques branches mortes sont tombées et de jeunes pousses avides de reconnaissances font du zèle à outrance. Difficile donc, sur le marché français, de bouger une oreille sans que les douanes, le fisc ou autres chieurs dûment mandatés ne viennent vérifier vos faits et gestes. La droite arrosée de scandales, fait que je peux difficilement faire appel à mes connaissances qui habituellement jouaient en ma faveur pour alléger le contrôle de mes importations. Le service n’était pas gratuit, mais restait lucratif. L’ombre des tribunaux en effraye plus d’un et à juste raison, plusieurs « hauts placés » sont déjà tombés.

- Nous allons aller voir du côté des rosbifs Noiraud !

Le chat lève un œil paresseux et s’étale un peu plus sur le tapis. Je n’apprécie pas les anglais. Comme beaucoup, les querelles séculaires entre nos deux pays ont laissé une montagne d’aprioris. Mais plus que les autres, cette inimité est fortement ancrée dans mes gênes. Avant de mourir sur les contreforts des Pyrénées, mon lointain ancêtre Roland, avait en charge la garde des frontières nord-ouest de l’empire de Charlemagne. Et qui trouve-t-on dans cette direction…

L’idée de m’enrichir sur le dos des royaux sujets de Georges V me plait beaucoup. J’ai quelques contacts sur Londres qui devraient pouvoir glisser de l’huile dans les rouages administratifs londoniens pas très friands des invasions outre-Manche.

/•/•/•/

Les journaux font état des attaques de la Chine sur son voisin le Tibet. Le dalaï-lama, en bons termes avec le Royaume-Uni, cherche leur soutien. Mais les exigences anglaises sur un effort de modernité de ce pays proche du toit du monde ne trouvent pas écho chez le chef spirituel. Les troubles orientaux mettent à mal le commerce des épices et du thé. C’est sur ce point que je veux jouer l’atout des comptoirs français. Reste à persuader les négociants de la brumeuse capitale.

J’ai eu des retours positifs de mes contacts en Inde et à Ceylan. Ils attendent de ma part une évaluation sur le volume de négoce qui serait envisageable J’attends une réponse de Tananarive à Madagascar pour la vanille ainsi que des Antilles françaises pour le rhum et le sucre de canne. C’est assez serein que je m’embarque sur le ferry qui me débarquera à Douvres.

Le climat de l’île britannique a dans son humidité morne et glaciale une constance égale au flegme des îliens qui la peuplent. C’est le col relevé que je descends de mon wagon à la gare de St Pancras. J’attends mon bagagiste non loin de la file des cabs.

J’ai largement le temps de m’installer avant mon premier rendez-vous avec un importateur d’origine française installé à Londres depuis une vingtaine d’années. Autant commencer à prendre la température de la City avec un compatriote. Il m’avisera des potins mondains du moment et des scandales en cours.

/•/•/•/

Bien m’en a pris. Les informations de mon confrère me font revoir ma politique d’attaque du marché Londonien. Un phénomène de mode monte. L’Afrique est en tête de l’exotisme. Je passe le reste de l’après-midi à envoyer des câbles chez les contacts que j’ai dans les anciennes colonies françaises. Le cacao est une denrée recherchée, comme l’ivoire et autres trophées de chasse. Le mondain se plait à exhiber une tête de lion dans son salon brodant sur un Safari qu’il a effectué sans quitter son véhicule tout-terrain à autochenilles. Les bibelots en ivoire font fureur. Ce changement de perspectives ne me dérange pas outre mesure et dans un sens me facilite la tâche. Les défenses d’éléphants et les cabosses de cacao sont des marchandises bien moins fragiles que le thé ou les épices. Londres se pare des couleurs de l’Afrique. On encapsule le soleil en flacon, comme d’autres vident les narguilés des fumoirs à opium.

Au restaurant, le maître d’hôtel sourcille quand je lui demande s’il est possible d’avoir autre chose que de la viande bouillie. L’anglais guindé à souhait se fend d’une remarque sur la cuisine moyenâgeuse de mes compatriotes. Si j’obtiens gain de cause pour des côtelettes d’agneau, je n’échappe pas à l’infâme sauce à la menthe.

- Cela a un exquis goût, n’est-il pas ? Me demande mon voisin de table dans un français approximatif.
- Digne d’une fricassée d’ortolans frits répondis-je dans ma langue natal avec un sourire que mon sarcasme dément.

Je termine ma soirée dans un pub. Et comble pour le froggy que je suis, je gagne le prix de ma pinte de bière au jeu de fléchette. Depuis que je suis en possession de Durendall, j’ai une dextérité accrue aux armes blanches. Et le lancer de fléchettes, peut s’apparenter au lancer de couteaux. J’ai laissé ma fière épée à Paris, car depuis mon voyage à Roncevaux j’ai l’assurance de pouvoir l’invoquer en cas de besoin. C’est toujours plus pratique que de se déplacer avec un glaive dans le dos. Avant de sortir, une affiche attire mon attention. Une exposition provisoire est en cours au British Museum. Ce qui m’interpelle, c’est la phrase qui annonce une collection d’objet de la période Carolingienne. Impossible que je n’aille pas y faire un tour. Je me tiens toujours au courant de ce qui touche le roi des Francs et des Lombards. Mon aïeul était un de ses proches.

Mon programme du lendemain est ainsi tout établi. Business le matin, et musée l’après-midi. Je m’endors sous un édredon de plume d’oie alors que je n’ai besoin que d’une mince couverture à Paris. Maudit climat !


Macsen :

L'actualité politique de l'Angleterre et plus largement de l'Europe était aussi compliquée que fascinante. Londres n'avait vraiment rien à voir avec Glasgow, où les petits bourgeois rêvaient à un futur hypothétique. Ici, on faisait plus que discuter, on se positionnait stratégiquement, suivait en direct le théâtre des partis qui coulaient, se scindaient, se créaient avec plus ou moins de succès. Bien intégré à toute la gentry de la capitale, et tenu sous la protection de Lord Parry, Macsen n'était parti de rien, du jeune diplômé de la noblesse galloise sans expérience professionnelle, à un personnage dont on se disputait les faveurs. Il lui était encore difficile de faire le tri. Les soirées mondaines ne manquaient pas de beaux-parleurs qui avaient tous leurs raisons de lui promettre un bon siège à la Chambre des communes ou un mariage intéressant. Si ses excès de prudence lui permettaient d'analyser la situation, il risquait aussi de lasser ses nouvelles relations en trouvant sans cesse de nouvelles excuses pour ne pas agir. Ils pourraient penser qu'il manquait d'ambition, ce qui était toujours désolant dans ce genre de milieu. L'option de jouer les photographes ou les auteurs pour chercher une dignité dans l'art l'intéressait très peu. Il préférait rester au cœur de l'action, dans une position où son influence serait réelle et non fantasmée. Mais il lui fallait un parti idéal, à la fois fort et sensible à ses ambitions. Lord Parry lui avait encore répété la veille autour d'un sherry qu'il ne comprenait pas ses réticences à accepter son offre de lui trouver une bonne position chez les conservateurs.
– Ces histoires sur la répression des irlandais ne concernent pas votre génération. Vous êtes à Londres maintenant, votre soutien à l'indépendance des uns et des autres ne vous servira à rien. N'êtes-vous pas assez intelligent pour comprendre notre intérêt d'être unis ?
– Oh je comprends bien l'intérêt des anglais oui,
souffla-t-il sarcastique.
Et la discussion se perdit comme toujours dans une série de remarques condescendantes sur sa jeunesse, son attachement romantique ridicule au paganisme, et toutes sortes de choses que Macsen écoutait d'une oreille pour ne pas céder à la tentation de s'énerver. Les conservateurs étaient trop anglais, trop chrétiens surtout, pour faire l'effort de comprendre sa position. Il n'était cependant pas certain de vouloir se brouiller avec son protecteur en sympathisant avec les travaillistes. De toute manière, même s'ils étaient bien plus ouverts sur la question celte, ils s'engageaient contre tous les autres opprimés, et ces autres ne l'intéressaient pas. Ce point donnait d'ailleurs un argument de plus à Lord Parry pour lui assurer que sa sensibilité était bien de son côté s'il se décidait enfin à abandonner ses petites attaches sentimentales pour embrasser un bel avenir. « Tout est question d'un rôle à jouer Macsen, je ne vous demande pas de renoncer à vos convictions, mais simplement de les laisser de côté. Croyez-moi qu'avec le temps, vous réaliserez de vous-même qu'elles étaient sans grande importance. » Il avait peut-être trouvé un compromis avec la personnalité assez trouble d'Oswald Mosley qui avait fait le grand écart de l'un à l'autre avant de créer son parti et recrutait activement. Cependant, le vent tournait rapidement, et le massacre des SA en Allemagne quelques semaines plus tôt avait jeté un certain froid sur un parti que l'on considérait comme le pendant britannique du nazisme.

Pour l'instant, Macsen restait donc une sorte d'original que les carriéristes surveillaient de près, et dont le côté exotique amusait la jeunesse mondaine désœuvrée. C'était en leur sein qu'il avait la meilleure influence. A la recherche d'excitation et de modèles, la nouvelle génération aimait s'ouvrir à des horizons qui lui inspiraient de séduisantes rêveries. Ceux que le christianisme ennuyait s'enthousiasmaient pour les pratiques païennes qu'il leur présentait et d'autres aimaient simplement rêvasser sur l'existence d'un peuple invisible, en trouvant réconfortante l'idée que des êtres magiques pouvaient veiller sur eux ou exhausser leurs souhaits. Même si leurs croyances manquaient d'une réelle sincérité, elles étaient au moins un début, un léger remède contre l'oubli. Il faudrait plus qu'un groupe excentrique de la gentry pour s'amuser à pratiquer des rites traditionnels en lui disant à moitié ivre « Oh quelles idées fabuleuses de soirées tu as toujours ! » mais il semait ci et là les graines d'un chaos futur, accentuait la perte de repères, faisait grandir les conflits dans les familles conservatrices. On aurait pu trouver étonnant que Lord Parry continue à le soutenir, à le complimenter, à le vouloir de son côté. L'homme n'avait pas été une cible facile. Il avait attendu avant de lui exposer une partie de ses vraies opinions, attendu que son charme fasse subtilement effet. Plus le gentilhomme passait de temps avec lui, et plus il le réclamait. C'était un jeu dangereux bien sûr, car son emprise pouvait aussi à terme rendre son cher ami fou de désir, mais il fallait bien prendre quelques risques. L'avantage de Lord Parry était que ses certitudes protestantes lui faisaient violemment refouler toutes les attirances qu'un jeune homme aurait pu lui inspirer. Il ne semblait pas y avoir de case dans son cerveau pour cela, et peut-être même pour le sexe autre que reproducteur tout court d'ailleurs. Il lui fallait bien un protecteur aussi frigide pour commencer à déployer son pouvoir d'influence sous son nez. Qui pourrait sincèrement le détester maintenant ?

Malgré tout, Lord Parry gardait des idées assez fixes. Il lui avait fait promettre de faire un tour du côté de l'exposition la période Carolingienne le lendemain, et d'y amener Christie afin de la sortir un peu. Macsen avait accepté d'assez mauvaise grâce, mais avec le sourire, peu enchanté à l'idée de devoir subir une documentation orientée célébrant les bien faits des conversions forcées et la réécriture moralisée des légendes celtes pour construire un empire puissant. Son seul réconfort était de savoir que Christie adorerait l'entendre critiquer absolument tout ce qu'il verrait pour affirmer que son père était un idiot qui ne comprenait rien à rien.


Josh :

Ces anglais sont d’une condescendance affectée dès qu’il s’agit de traiter affaire avec un français. J’ai rappelé à mon interlocuteur que l’argent n’a pas de nationalité propre. Et qu’une pièce à l’effigie de Marianne avait la même capacité d’enrichir son propriétaire qu’une avec la face de Georges V. Le monde des affaires n’a que faire des loyautés politiques. L’histoire passée ou présente n’étant qu’une donnée parmi d’autres critères, il serait idiot de lui accorder une importance qui freine les investissements.

Je suis demandeur, je prends donc mon mal en patience et attend que ce lord de pacotille ait fini de verser son fiel sur ces « françois » qui auraient causé du tort à l’un de ses lointains ancêtres. Comme si on allait faire la guerre à l’Italie parce que la Rome antique à envahit le Gaule ! L’échange d’acidités passé, le vrai travail commence. Comme je le pensais, je suis attractif par mes entrées sur des marchés qui sont peu ouverts aux britanniques. Toujours ce clivage ancestrale qui se calque sur le reste du monde. Je critique… mais j’ai autant de rancœur que mon interlocuteur face à ces îliens prétentieux. C’est facile de gagner des guerres planqué sur son île, s’en est moins vrai quand votre pays est bordé de frontières terrestres semées de voisins hostiles.

/•/•/•/

J’ai finalement placé une cargaison d’ivoire et un assortiment de trophées de chasse. La journée aura été fructueuse, je peux me laisser aller à flâner dans Londres. Je me dégotte un restaurant proche de l’abbaye de Westminster. Cette fois-ci la carte est variée et compatible avec un palais français. Mon repas fut succulent, nonobstant je laisse refroidir ce qu’ils appellent un café. L’infâme breuvage ressemble à un thé noir trop infusé. Il a le gout d’une torréfaction inachevée. En un mot comme en cent, c’est infect.  Je fais passer mon amertume avec un verre de brandy et un biscuit orange chocolat.

C’est d’un pas vif, dopé à la curiosité que j’entre dans cette institution nationale qu’est le British Museum.  Contrairement au Louvre, il est totalement gratuit. Je concède cela aux anglais, qu’est de mettre la culture à la disposition de tous et non pas la réserver à une élite friquée comme en France. Le musée est riche, les anglais ont été de bons pilleurs partout où ils sont passés et devancent largement les français en la matière. Ayant toute mon après-midi, je flâne un peu dans les différentes galeries. Je suis amateur de peinture et adore la période impressionniste. Je tombe sur une collection d’un compatriote, Claude Monet, qui s’était exilé à Londres pour éviter de servir dans l’armée napoléonienne sur le front de Prusse. Ses toiles dégagent une atmosphère particulière et sa technique se prête bien aux paysages Londoniens. Je ne me lasse pas d’admirer sa technique et me laisse emporter dans ces paysages brumeux. Un marmot se met à pleurer à mes côtés, il semble avoir perdu sa mère. Je tente de m’éloigner, mais voilà qu’il s’agrippe à mon pantalon. Ai-je l’air d’une nurse probable ?!

- Who is the child ? Demandé-je en regardant autour de moi si je ne voyais pas un adulte en détresse.

Mais non. J’attrape l’enfant et le hisse bien haut en répétant ma question. Un couple me hèle d’une salle voisine et un fameux Harry retrouve le sourire et sa maman. Je fuis le plus poliment possible l’invitation à boire un thé et me dirige vers l’exposition temporaire. La décoration est un peu grossière. Cependant il semble qu’il y ait quelques objets intéressants, mais pas tous. M’approchant d’une tapisserie, je note un détail qui post date l’indication écrite sous l’objet.

- Tss, même pas capable de reconnaître les époques ! Cette tapisserie a été faite du temps des capétiens et non des carolingiens.

Je marmonne à moi-même en français. S’il y a bien une chose où je suis maniaque c’est bien sur ce genre de détail. Suivent quelques objets de la vie courante si basiques qu’il y a une marge d’erreur de trois cent ans pour leur fixer une date. Je suis ensuite attiré par des éléments d’armures. Je reste fasciné devant cette ferraille cabossée. Je suis sorti de ma contemplation par un babillage entre un homme et une jeune femme. Le dandy tente de faire son malin en dénigrant la collection. Soit, je lui donne raison pour quelques objets, mais le reste est tout fait authentique et chargé d’histoire. Cela me démange d’aller lui expliquer son tort, mais l’idée de m’accrocher dans une langue qui n’est pas la mienne me retient. J’ai eu ma dose ce matin.

Je file donc, focalisant de nouveau mon attention sur l’exposition. Je ne vois pas son contenu d’où je suis, mais une vitrine m’attire étrangement. J’ai un désagréable chatouillis qui court le long de ma colonne. Je connais cette sensation, c’est la même que j’ai eu en croisant le chemin de Durendal pour la première fois. C’est un peu fébrile que je m’approche de la vitrine. Une dague y est exposée sur un velours noir. Sa lame est totalement émoussée par le temps et l’usage. Le manche doit être en noyé. Le bois patiné par les années, est piqué par les vers. Il est serti d’argent noirci et à son extrémité, une sphère simplement retenue par un anneau renferme une pierre qui ne me semble pas précieuse. Outre le côté peu pratique de cette breloque qui pendouille, mon cœur cesse de battre en remarquant un détail. La notice parle de poignard usuel de soldat, grossière erreur !

C’est léger et un œil néophyte n’y verrait que l’outrage du temps, mais un des sertissages d’argent s’est défait, laissant son empreinte largement patinée. Cependant, je pourrais reconnaître ces armoiries rien qu’en l’effleurant de la pulpe des doigts. C’est le symbole du comte des Marches de Bretagne ! Avec une particularité qui désigne Roland... Quelle espièglerie qu’une arme appartement à mon illustre ancêtre se retrouve sous verre dans un musée anglais. Cette région située entre Blois et Vannes était une zone tampon avec l’envahisseur anglais dont mon ancêtre devait garder pour protéger le reste de l'empire de Charlemagne.

- Je ne peux pas leur laisser ce qui appartient aux miens !

Je jure entre mes dents. C’est comme si mon sang bouillonnait. Cependant je me reprends quand un garde me demande de ne pas toucher la vitrine. C’est avec le plus grand mal que je m’écarte de la vitrine. Je suis littéralement attiré par la dague. C’est physique. A un moment je crains même que cela fasse comme au Louvre et qu’il n’échoit dans les mains sans que rien je n’y fasse. Il me le faut ! Avant de m’éloigner, je regarde attentivement la vitrine, puis j’en cherche une autre similaire dans le musée, loin de l’exposition temporaire.

J’en trouve une dans une aile d’importance mineure où il n’y a quasiment personne. J’ai tout loisir d’étudier la vitrine et de cerner ses points faibles. Je termine ma visite en flânant ci et là, repérant les issues, la position des gardes. Le toit me semble le meilleur angle d’attaque, pour entrer comme pour sortir. Je trouve l’accès idéal dans une aile dédiée à la préhistoire, mais elle est loin de l’exposition temporaire. Cela va donc me demander d’esquiver les gardes sur le chemin.

Mon esprit est focalisé sur ce vol. La prudence m’ordonnerait d’attendre et de me renseigner sur le nombre de gardes qui restent la nuit enfermés dans le musée. Mais c’est un appel que me lance l’arme de mon aïeul. Un tel objet n’a rien à faire sur le sol anglais, c’est un affront à la lignée des Roncevaux!

Une fois dehors, je tourne autour du musée en lisant un fascicule acheté à l’entrée. J’ai le plan des zones ouvertes au public. De temps à autre, je jette un œil sur le monument pour faire une corrélation. Je m’arrête à un salon de thé qui donne sur l’arrière du musée et y déguste un Earl gray. Au bout de trente minutes, j’ai mon plan. Par chance, je prends toujours un peu de « matériel » au cas où une occasion s’offre à moi. L’idée d’aller faire le gentleman cambrioleur sur le sol anglais attise mon excitation. Le défi, le risque et le pied de nez que va représenter mon geste m’exaltent. Je rentre à mon hôtel pour me coucher tôt. J’agirai vers deux heures du matin. Mon expérience passée m’a démontré qu’à cette heure, il y a souvent une baisse de vigilance des gardiens.


Macsen :

Une sortie au musée n'était pas exactement l'idée que Christie se faisait d'une bonne après-midi. Tout d'abord, la jeune femme n'aimait pas beaucoup sortir dans la capitale en journée. Malgré ses attitudes rebelles, elle restait une aristocrate qui trouvait désagréable d'être mêlé à une foule vulgaire et bruyante. Elle allait de garden parties en soirées, et voir des vestiges du passé en vrai ne la piquait d'aucune curiosité. Bien qu'elle se fût préparée comme si elle devait se rendre à une réception particulièrement importante – car elle tenait orgueilleusement à rappeler son rang et sa classe tant qu'elle n'était pas trop pompette – Christie essaya de convaincre Macsen de changer le programme en montant dans la voiture.
– Il fait si beau ! Pourquoi n'irions-nous pas plutôt au parc ? Je connais des terrasses charmantes, et tu pourras exactement me raconter les mêmes choses que si nous allions au musée. Ce sera bien plus agréable.
– Mais tu ne verras rien de la collection, ce sera moins immersif,
répondit-il patiemment en s'installant à ses côtés.
Oh peu importe, il y a la photographie aujourd'hui et l'imagination au pire. Tant que je sais de quoi il en retourne, je pourrai inventer. Père n'ira certainement pas vérifier.
Cependant Macsen ne voyait pas l'intérêt de contourner la volonté de Lord Parry. Il n'exigeait qu'une petite visite, rien qui demandât beaucoup d'efforts, et s'il était surpris à soutenir sa fille dans ses escapades puériles, il risquait de perdre à jamais sa confiance, magie ou non.
– Christie, commença-t-il avec douceur, je te promets que nous ne visiterons pas tout le musée. Nous nous contenteront de cette exposition. Ce sera l'affaire de trente minutes. Ensuite, nous irons au parc, et s'il reste des points à éclaircir, je continuerai à les expliquer à ce moment.
La jeune femme acquiesça tout en gardant une mine assez boudeuse. Il n'était cependant pas difficile de lui rendre le sourire en insistant un peu. À force de la fréquenter, il avait compris qu'elle attendait toujours des propositions excitantes. Elle était restée comme cette enfant lointaine gâtée qui traînait des pieds dans une fête foraine parce que personne n'avait pensé à lui offrir une glace devant le stand des friandises. Un sourire plus malicieux frôla ses lèvres.
– L'exposition sera peut-être ennuyeuse, mais si nous n'y allons pas, nous perdrons une occasion d'observer tous ces petits bourgeois qui erreront sans doute dans les allées pour se donner de grands airs.
Enfin, Christie éclata de rire, et passa le reste du trajet à mimer et décrire les sombres individus qui allaient croiser leur chemin. A peine sortie du véhicule, elle lui attrapa le bras et s'appliqua à lui décrire tous les comportements qu'elle trouvait ridicules, bien que sa volonté acharnée à se moquer la rendît souvent injuste. Macsen prétexta son besoin de se fournir en documentation pour se libérer sans l'offenser. Malgré son caractère anglais, Christie était souvent trop tactile, et les contacts le mettaient dans une nervosité dont il n'avait pas besoin, surtout quand il devait rester un temps considérable au cœur de la capitale.

L'art carolingien ne fascinait pas Macsen mais, si on lui demandait de faire un effort, il était capable d'adopter une attitude sérieuse et concentrée. Or, comme Christie ne lui demandait rien de tel, il la suivit d'une vitrine à l'autre sans beaucoup s'attarder sur les encarts explicatifs. Il connaissait déjà leur contenu, et ce qu'il lisait en diagonal le lui confirma. Il n'y avait pas grand-chose à célébrer d'un art mortifère, né de la destruction d'une culture. Bien sûr, on pouvait aussi arguer que les créations actuelles étaient dans cette longue continuité mais, d'une part, Macsen n'était pas excessivement attaché à ce monde, et, d'autre part, il trouvait plus gênant, voire irritant d'être confronté aux premières traces d'un grand remplacement qui s'était traduit par un massacre du petit peuple non assimilable aux idées chrétiennes. Il s'enferma donc dans sa contrariété. Mais Christie, bien décidée à jouer les mauvaises élèves, s'arrêta soudain devant une vitrine de vieux ustensiles et s'exclama modérément :

– C'est sidérant, il était vraiment nécessaire que je me déplace pour avoir le privilège d'admirer des cuillères vieilles de 1 000 ans ! Pourquoi en ont-ils mis autant ? Crois-tu que les différentes répartitions de rouille sur chacune leur donne un caractère bien trop unique pour qu'il soit possible de faire un choix ?
Macsen pouffa discrètement. Une chose qu'il avait adorée apprendre à maîtriser au contact des hautes sphères britanniques était l'ironie. Les faunes et les dryades n'étaient pas très doués à ce jeu là. Ils n'en avaient surtout pas beaucoup d'utilité dans leur environnement. Quand Christie était d'humeur sarcastique, elle ne s'arrêtait plus, et il adorait réveiller en elle ces vilains penchants.
– Sans doute la pièce majeure que ton père espérait me faire voir. Je sens déjà mes convictions vaciller, surtout quand je regarde ce pot en fonte.
Soudain d'excellente humeur, la jeune femme eut un rire un peu bruyant qui incita le gallois à poser un index sur sa bouche pour l'intimer au calme. Il se composa rapidement un air plus grave et l'attira vers des enluminures qui illustraient des épisodes arthuriens.
– Vois-tu, continua-t-il le plus sérieusement du monde en ignorant quelques regards choqués, la principale chose qui me rend cette période désagréable, c'est qu'elle a dénaturé un nombre conséquent d'histoires très anciennes pour créer tout autre chose, les corriger, en quelque sorte, en changer la portée morale, les buts et même les tempéraments des personnages originaux. Il est presque impossible de restituer les vraies légendes à cause de ce vaste travail d'assimilation.
– Mais pourquoi faire cela ?
demanda Christie en devinant qu'elle devait rester tranquille un moment.
– Eh bien pour unifier les peuples. L'empire carolingien s'est étendu sur des terres païennes. Comme ils ne pouvaient pas priver d'un coup tout un peuple de ses références, ils les ont gardées, mais ont cherché une manière de leur donner un sens plus convenable et adapté à leur religion.
– Et donc, en quelque sorte, ça rend ton passé comme incomplet ?

La suggestion de Christie le surprit. Ils poursuivirent la conversation en longeant les allées un instant mais, soudain, une impression étrange le figea. Il sentait de la magie. Son regard se tourna instinctivement vers une dague protégée par une vitrine devant laquelle se tenait un jeune homme fasciné. Dans son trouble, il lui semblait entendre les battements d'un autre cœur, tandis que le sien se tordait douloureusement, comme s'il vivait à la fois un coup de foudre et le déchirement du deuil. Puis, alors qu'un gardien s'approchait de l'humain pour lui demander d’ôter ses doigts de la vitre, une vision le frappa de plein fouet. Il faisait nuit, une ombre s'approchait de la lame dans l'obscurité. Le visage du jeune homme qui venait de quitter la salle passa rapidement dans son esprit, puis il revint à la réalité, secoué, comme toujours quand son don de prescience l'envahissait. Il entendait Christie l'appeler, mais il n'avait pas envie de lui répondre. Il devait d'abord comprendre pourquoi l'objet mettait tous ses sens en éveil. Alors il s'approcha et resta ébahi non par le poignard émoussé mais par la pierre qui l'accompagnait. Elle était d'un vert éclatant, et veiné d'un rouge noirâtre, comme si un insecte gavé de sang s'était écrasé à l'intérieur.
– Quelle étrange pierre…, souffla son amie en s'efforçant de capter son intérêt. Qu'est-ce donc ?
– De l'ambre
, répondit-il sans hésiter.
– Vraiment ? Je savais que l'ambre pourrait être verte mais à ce point… Et avec ce rouge…
– ALLEZ-VOUS ARRÊTER DE MALMENER CETTE VITRINE A LA FIN ???
rugit soudain le gardien en venant à grands pas vers eux.

Macsen réalisa que ses doigts s'étaient nerveusement crispés sur la paroi. Il prit le bras de Christie et l'entraîna vers la sortie sans attendre de se faire chasser. La jeune femme lui demanda plusieurs fois ce qui lui arrivait, inquiète qu'il ait pu faire un malaise, mais le faune ne lui tourna que des réponses évasives. Il insista pour qu'ils aillent au parc tout de même. Il avait besoin de se changer les idées. Le vol n'interviendrait pas avant une heure sombre de la nuit. Il préférait ne pas passer le reste du temps à ruminer sur le fait que les humains gardaient le sang d'une dryade sous verre et qu'il risquait de se perdre dans la nature à cause d'un vol dont il était bien curieux de connaître le motif.


Josh :

Je la veux ! Cette pensée efface toutes les autres. Il me faut cette dague. La savoir aux mains des anglais me hérisse les poils des bras. Cette lame devient une obsession.  J’ai fini par quitter les abords du British Museum, mais ce fut la mort dans l’âme. Je dine léger et m’enferme dans ma chambre pour préparer les affaires de ma sortie nocturne. Mon équipement est léger. J’ai une ceinture équipée d’un moulinet et d’un câble d’acier. Je dois cette trouvaille à une invention de monsieur Eiffel qui l’avait mise au point pour les ouvriers de ses ouvrages en ferrailles. C’est l’équipement idéel pour jouer les filles de l’air. Léger et discret, c’est très aisément camouflable sous une veste. Sur ma ceinture se greffe une trousse de cuir. A l’intérieur, divers objets comme une pointe de verrier pour découper le verre et la mini ventouse qui va avec, quelques crochets de tailles différentes, un couteau suisse et différentes bricoles utiles à un voleur. Je pose soigneusement sur la chaise les vêtements que je vais mettre. Ils sont de couleurs sombres  et ne me gênent pas dans mes mouvements. Remontant ma montre gousset, je me mets prestement au lit. La conviction que cet affront à ma famille va rapidement être réparé me permet de m’endormir rapidement.

/•/•/•/

L’hôtel est silencieux. Ne prenant pas le risque de sortir par l’entrée principale et de devoir passer devant l’employé de nuit, j’ouvre une fenêtre de l’inter palier et me glisse dehors. La façade de l’immeuble est loin d’être plane, même côté cour. Me faufilant jusqu’à une gouttière, je descends prestement et dans un silence seulement troublé par mes semelles glissant sur le zinc de la conduite.

Je rejoins le musée par des chemins détournés. Restant caché dans l’ombre, je scrute les environs. Une voiture passe rapidement, puis c’est le tour d’un homme qui passe sur le trottoir d’en face. Il semble pressé. Comme je l’escomptais, il y a un angle du musée qui est oublié de l’éclairage public qui est surtout là pour mettre en avant le monument. M’assurant une ultime fois que personne n’est attentif à ce qu’il se passe dehors, je m’élance lestement pour me cacher, ombre parmi les ombres. Nouvelle pause. Un chien aboie au loin, un autre lui répond. Je patiente, car un insomniaque pourrait bien regarder à sa fenêtre. Quand la nuit reprend son calme, je lève le nez sur l’édifice et j’attaque mon ascension. Je cherche mes prises du bout des doigts. Parfois je n’ai pas de chance et rencontre de la fiente de pigeon. Il me faut moins de trois minutes pour atteindre l’avant toit. L’acrobatie est de me suspendre aux chenaux et de me rétablir sur la toiture. Je suis suspendu dans le vide, je tiens d’une prise d’une main et d’une autre avec le bout de mes orteils. Je teste la résistance de la gouttière y posant de plus en plus mon poids. Je ne suis pas gros, mais plutôt grand et assez bien bâtit. Quand j’estime que le risque est minime que le chenal lâche, je m’élance et d’un violent coup de rein je m’élance, sollicitant mes abdominaux pour envoyer la partie basse de mon corps pardessus la sous pente. Première partie réussie !

Je m’étire doucement pour délier mes muscles tétanisés par l’effort et fixe la rotonde qui est ma prochaine cible.

/•/•/•/

Je n’ai même pas eu à découper une vitre. Il y en avait une dont le mastic partait en poussière à cause des outrages du temps et certainement aussi par la mauvaise qualité du matériau. C’est donc dans le silence d’une poulie huilée que je descends doucement à l’intérieur du musée. Arrivé au sol, je décroche le filin de ma ceinture et l’emmêle dans un rideau que j’avais repéré. En plein jour il serait parfaitement visible, mais dans la pénombre des salles éteintes et les faisceaux étroits des lampes torche des gardiens il n’est pas visible pour peu qu’on ne lève pas le museau vers le plafond.

Maintenant se joue la partie la plus risquée, déjouer la vigilance des gardiens. Le musée est vaste et comporte nombre de recoin où me cacher. Par contre je dénombre plus de gardiens que j’en avais prévus. Je n’ai pas pris le temps de me renseigner, j’espère que je n’aurai pas d’autre mauvaise surprise. Aller jusqu’à l’exposition temporaire me prend plus de temps que prévu. Les rondes sont bien calculées et me laissent peu d’ouvertures. Néanmoins j’y parviens. Caché derrière une vitrine je laisse filer un quart d’heure, comptant le passage des gardiens.

C’est un peu fébrile que j’atteins la vitrine que je convoite. Je me redresse afin de contempler l'objet de ma convoitise. La dague est bien là. Je ne devine que sa silhouette dans la pénombre. Je tente une première approche en forçant sur le cadre du battant vitré qui permet d’ouverture. Sa serrure est du côté du passage des gardiens. Je sens le verre crisser un peu. Si j’insiste ça va lâcher, mais faire du bruit avec la vitre qui se brise. La vitrine n’est pas très solide, les gens du musée ne considèrent pas les objets qui s’y trouvent aient une grande valeur.

Je sors donc mon stylet en diamant et trace un cercle dans une vitre latérale. Je dois me cacher à nouveau pour laisser passer un gardien avant de revenir à ma tâche. Du gras du poing je fais sauter le rond de verre à l’intérieur de la vitrine où il se couche avec un bruit mat sur le velours noir qui tapisse le fond. C’est le cœur battant que je m’empare du poignard. J’ai envie de l’admirer et de le regarder sous toutes les coutures, mais ce n’est pas le moment.

J’escamote aussi le bristol qui présente la dague et réarrange le reste de la vitrine comme si l’objet que j’ai subtilisé n’a jamais été là. Récupérant le disque de verre, j’enduis sa tranche d’une préparation adhésive et avec la ventouse le replace le plus parfaitement possible. Mon montage résistera aux légers heurts que peu subir la vitrine, mais pas à un examen approfondi. Avec un peu de chance, il s’apercevront du vol quand je serais déjà de retour en France.

Mais il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant d’être sorti du musée en gardant ma liberté. Mon agacement grandi quand je dois encore patenter de nombreuses fois, caché dans l’ombre que la coordination des rondes me soit favorable. Enfin je reviens à mon point de départ, j’attrape le filin et le clipse à l’endroit adéquat sur le mécanisme de ma ceinture. Il faut que je donne une première impulsion avant que le savant mécanisme s’enroule de lui-même pour me remonter. Je tire sur le câble, puis le relâche tout en sautant. Le mécanisme à friction prend le relai dans un bruit de dynamo qui pourrait me trahir. Une fois au sommet, je repasse par la fenêtre démise et suis à nouveau dehors. J’apprécie de respirer l’air vif sans entendre de sirènes d'alarme ou de coups de sifflet. Je range soigneusement mon matériel, puis n’y résistant plus j’ôte mes gants et me saisit de la dague que j’avais rangé dans une poche intérieure. Le faible éclairage ne m’empêche pas de l’admirer. Puis surtout j’ai ma confirmation. Au moment même où ma paume s’est refermée sur le manche en noyer serti d’argent, j’ai eu comme une petite décharge électrique. Mon lointain ancêtre ou un de ses fils a serré cette dague avant moi. Délicatement je la sors de sa gaine et fais quelques mouvements. La breloque qui est accrochée au bout du manche bat mon poignet. Je trouve cela étrange car cela gêne. Cela aurait-il été ajouté après la fabrication même de la dague ? Certains chevaliers attachaient à leurs armes un ruban de leur bien aimée, ou les couleurs de leur suzerain. Je regarde la breloque en contre-jour avec la lune. Je n’ai jamais vu rien de semblable. Cela m’intrigue, il faut que je sache pourquoi cette pierre étrange se trouve liée à une dague ayant appartenu à mon ancêtre.

Cette lame date d’une époque où chevalerie n’était pas un vain mot. L’engagement et l’honneur étaient des valeurs tenues en haute estime. Roland serait mort des centaines de fois pour son souverain et roi Charlemagne. C’est l’esprit tourné vers une étude minutieuse ultérieur que je me faufile sur le toit pour rejoindre l’angle par lequel je suis arrivé.

/•/•/•/

Est-ce l’instinct, ou le hasard qui me font prendre conscience d’une présence ? Car le type tapis dans l’ombre est bien plus furtif que je ne suis capable de l’être. Et pourtant la furtivité est l'un de mes points forts. Un gardien m’aurait interpellé sans tarder. Qui est-il ? J’hésite quant à la conduite à tenir. Il n’a pas esquissé le moindre geste. Si je l’ignore et m’avance au bord du toit pour retrouver la pierre saillante qui est en dessous, j’ouvre une faiblesse le temps d’une poignée de secondes. Suffisamment pour que l’intrus me pousse dans le vide. Je décide de ne pas prendre le risque.

- Bonsoir, dis-je dans mon meilleur anglais possible que je sais entaché d’accent français. Belle lune n’est- pas ?

Je force ma tournure de phrase à l’anglaise avec leur fameuse interro négation qui ponctuent leur fin de phrase, isn't it ?
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Josh R. de RoncevauxJosh R. de Roncevaux


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When the past meets the present | Josh feat Macsen Vide
MessageSujet: Re: When the past meets the present | Josh feat Macsen When the past meets the present | Josh feat Macsen EmptyDim 10 Juin - 10:15

Macsen :

Il ne fut pas la compagnie la plus distrayante du monde pour Christie le reste de l'après-midi. Une simple balade à Hyde Park était loin d'être suffisante pour ôter les souvenirs du musée et de sa vision à Macsen. Ni le spectacle des cygnes qui fendaient l'eau des bassins, le verre sous une tonnelle ou l’intarissable conversation de sa compagne ne le laissaient concentré très longtemps. Il ne songeait qu'à se retirer dans ses pensées et savait, en même temps, combien il serait vain et tout aussi contrariant de s'y abandonner trop tôt. Ses moments d'absence contrariaient parfois la jeune femme, qui aurait bien aimé comprendre le mystère de ses réflexions. Elle n'était cependant pas d'une humeur à se vexer pour si peu et reprenait ses histoires sur son cercle de connaissances dès qu'il la relançait avec une question. Quand on menait une vie aussi oisive, tant consacrée à la fête que même les esprits les plus intelligents oubliaient de se cultiver, il ne restait plus qu'à épier les faits et gestes de chacun. Christie y trouvait un certain plaisir. Elle aimait disserter longuement sur l'attitude d'un de ses voisins, ou, quand trop de concret l'ennuyait, imaginer les vies secrètes pleines de débauche que les plus réservés cachaient peut-être. Macsen approuvait la plupart de ses propositions, en y ajoutant les observations qu'il avait pu faire. N'étant pas à moitié ivre dans la plupart des événements sociaux auxquels participait la jeune femme, il lui apportait souvent les éléments qui manquaient à ses récits. Mais l'enthousiasme le fuyait. Pour la première fois depuis leurs sorties, la jeune femme fut dépassée par son malaise et demanda d'elle-même à rentrer en avançant qu'ils semblaient tous deux assez fatigués. Au fond, sa folie était inconséquente quand elle le voulait bien. Elle savait alterner de manière troublante ses instants d'abandon avec une pudeur détachée quand elle ne voulait pas déranger. Macsen comprenait qu'elle lui prouvait de cette manière un attachement particulier et, même s'il ne pensait pas mériter ce traitement de faveur, il lui en fut reconnaissant.

La fin de l'après-midi et le début de la soirée le laissèrent à sa méditation sur le meilleur moyen d'agir. Sa vision ne lui avait pas donné une heure très précise. Il ne savait pas non plus comment le voleur allait s'infiltrer dans le musée. Pour un peu qu'il soit très doué, il pouvait le laisser filer sans avoir rien entendu de plus que les veilleurs de nuit. Attendre caché dans la salle d'exposition n'était pas une meilleure idée. Même s'il parvenait à échapper assez longtemps à la vigilance des gardiens, suivre le larron jusqu'à la sortie avait toutes les chances de les faire repérer. Puisqu'il n'avait aucune intention d'empêcher le vol, et préférait voir la pierre sortie d'un bâtiment surveillé pour régler le problème à l'extérieur, Macsen se résolut à attendre dans le quartier. Il examina les points d'entrée les plus intéressants pour une effraction, notamment les murs les moins valorisés du bâtiment, et attendit que l'obscurité s'installe pour envisager une aventure sur les toits. Bien sûr, il pouvait se tromper. Le voleur était capable d'utiliser une fenêtre de la façade mais il voulait bien faire confiance aux statistiques. Si un vol pouvait se commettre en passant par les toits, les experts ne s'embarrassaient pas. Après s'être bien assuré que personne ne l'observait, il s'élança souplement sur l'extrême bord d'une fenêtre et évolua ainsi d'une corniche à l'autre sans jamais poser ses sabots ailleurs que sur le coin. De l'intérieur, il était donc impossible de voir quoique ce fût ou, tout au plus, une ombre furtive si rapide qu'elle aurait pu se confondre avec le battement d'ailes d'un oiseau nocturne. Une fois arrivé en haut, Macsen repéra les fenêtres et trouva une place idéale pour rester caché tout en gardant une vue sur tous les accès possibles.

Il resta à son poste une bonne heure, avec l'espoir d'une vision qui lui donnerait de plus amples indications, mais ce don stupide ne venait jamais sur commande. Quand son homme arriva enfin, Macsen garda un sang-froid parfait. Il n'avait pas encore eu l'occasion de pister une personne de cette manière, mais les prises de risque étaient une chose qu'il connaissait très bien depuis qu'il vivait au contact des humains. Sa vision nocturne leur était assez supérieure par ailleurs, et après une jeunesse en forêt, il savait pister une proie sans se faire voir pour la surprendre au dernier moment. Il fallut cependant attendre le bon déroulement du vol. Ce moment fut presque aussi oppressant pour lui que pour le bandit. Après tout, s'il se faisait attraper le poignard sous la veste, Macsen pouvait dire adieu à l'espoir de le voir quitter le musée facilement et si un imprévu empêchait au voleur de prendre la fuite par là où il était entré, il risquait de ne pas voir où il allait. Macsen laissa donc tous ses sens en éveil, prêt à entendre la moindre alerte et à se diriger vers un point d'agitation. Tout se passa heureusement comme prévu. Pour le reste, il avait compté sur un moment d'inattention pour surprendre l'inconnu et lui voler l'arme avant d'envisager des discussions mais il s'emballa et avança un pas de trop. Sentir la puissance magique de la pierre, le reste de vie à l'intérieur, voir son éclat sous les rayons de la lune l'avait déstabilisé. Il ne comprit même pas comment il avait pu se mettre aussi bêtement à découvert quand on l'interpella. Aussitôt, il nota que l'accent du jeune homme n'avait pas la pureté anglaise. En si peu de mots, il lui était difficile d'affirmer son origine de manière certaine, mais français semblait une bonne mise.

– Bonsoir, répondit-il très calmement en s'approchant encore un peu. Une lune parfaite pour accompagner quelques forfaits je suppose. Je crains que tu ne te sois emparé d'une chose qui ne t'appartient pas. Mais si tu veux bien me la donner, je promets de ne pas chercher à te nuire.

S'il ne pouvait pas surprendre sa cible avec un contact qui aurait pu faire baisser toutes ses défenses d'un coup, Macsen n'en restait pas moins capable d'user de ses charmes à un niveau raisonnable pour ne pas dévoiler sa nature. Il s'exprimait d'une voix sereine et enveloppante, appelait en pensées l'autre à venir vers lui pour qu'il lui remette la lame entre les mains, car c'était ce qui lui ferait le plus plaisir en cet instant. Et ne voulait-il pas lui faire plaisir ?


Josh :

Le laps de temps que met l’individu pour me répondre est court. Pourtant la poignée de secondes qui sépare mon salut de sa réponse, s’étire de manière agaçante et irritante. Le doute et l’incertitude sur la suite de cette nuitée m’effleurent à rebrousse-poil. Tout s’était parfaitement déroulé jusqu’à présent. J’avais fait le plus difficile et le plus délicat et voilà qu’un obstacle impromptu se dresse devant moi. Je refuse ! Je n’aime pas l’échec. Je ne conçois pas de perdre quand je pense avoir tous finement calculé.

« Il n’y a qu’en mathématiques où il peut être concevable de mettre à zéro une marge d’erreur Josh» me soufflerait Marie Curie si elle était présente.

Cette femme brillante a une conception bien à elle de l’échec ou de la réussite. Soit, je dois admettre que je ne peux pas maîtriser les imprévus et d’ailleurs n’est-ce pas là le plaisir de tout voleur ? « Oui mais ! » Oui mais pas quand il s’agit d’un vol qui me touche personnellement. Si je peux concevoir renoncer à un beau saphir ou une belle parure de diamants roses aux prix astronomiques, je serai intransigeant pour cette dague qui appartient à ma famille. Il m’est tout bonnement inconcevable de voir cet objet ravi par une main étrangère. Je suis prêt à me battre s’il le faut…

– Bonsoir, me répond l’ombre. Une lune parfaite pour accompagner quelques forfaits je suppose. Je crains que tu ne te sois emparé d'une chose qui ne t'appartient pas. Mais si tu veux bien me la donner, je promets de ne pas chercher à te nuire.

Je ne distingue encore pas son visage, mais sa voix a un timbre agréable, masculine mais sans excès, chaude et enveloppante. Une voix qui donne envie de découvrir les lèvres qui prononcent cette phrase dont j’écoute à peine le sens. Je m’avance d’un pas vers la silhouette qui se rapproche également de moi. Je veux sentir son parfum, voir son visage et plonger mon regard vers le sien. Plus rien n’a d’importance que cet homme à la voix si envoûtante. Je suis charmé, et captivé par cette sonorité pleine de promesses agréables.

/•/•/•/

Que… ? Que suis-je en train de faire ? J’ai la main tendue vers l’inconnu, je lui offre l’arme antique. Est-ce un brusque reflet de la lune sur son sertissage d’argent, ou cette sorte de fourmillement qui court le long de mon bras et dont l’épicentre est ma paume ? Je replie vivement mon bras, amenant l’arme vers ma poitrine, protégeant mon bien. Ma conscience est engluée dans une pseudo ivresse. La vivacité de mon esprit semble altérée par un filtre. Je dois faire un violent effort sur ma volonté pour garder la dague contre moi et ne pas la céder à cet inconnu.

- Elle appartient à ma lignée, soufflé-je dans un murmure rauque. Un angle ne peut prétendre à sa possession.

J’affirme ce que mon cœur me dicte, ce même cœur qui me pousse à offrir ce bien ancestral à l’inconnu. M’a-t-il drogué ? Suis-je victime d’un subterfuge ? J’ai du mal à aligner un raisonnement cohérent, ma logique s’efface au profit d’une recherche de sensation de bien-être. Cet homme est charmant. Je découvre son visage dans la lueur obombré de l’astre nocturne. Ses traits ont une finesse exquise qui invite à la caresse. Mon poing se serre contre la dague. Son regard est doux et amical. Je lutte pour ne pas déplier mon bras. Il dégage une aura de calme et de plénitude qui me pousse à lever mon autre main à la recherche d’un contact. Je souhaite ce contact. Mes articulations blanchissent tellement mes phalanges entourent fermement la dague de mes ancêtres.

- Elle appartenait à Roland…

Ma voix est presque une supplique, un balbutiement. Je lutte contre deux sentiments contradictoires, entre attirance et rejet, entre donner l’objet et me battre pour le garder. Dans un ultime effort de résistance, je donne mon nom, faible preuve de la véracité de mes dires. Je devrais l’assommer et m’enfuir, mais j’en suis incapable.

- Je suis Joshua Roland de Roncevaux.

Bien peu connaissent mon nom en entier, ma particule suffit à elle seule à m’ouvrir les milieux aisés parisiens peu enclins à creuser en profondeur les réalités affichées. Si je ne cache pas mes origines séculaires, je n’en fais pas non plus mention à tout va. Je m’élève de moi-même et non à la gloire d’un lointain passé.

Je suis prisonnier de son regard. Cela me plait. Je déteste. Il est beau. J’abhorre ne pas avoir le contrôle. Mon poing droit est douloureux contre ma poitrine, les doigts de ma main gauche se tendent à quelques centimètres de ce qui semble une promesse de bien-être.


Macsen :

Oui, voilà, le fier voleur pouvait renoncer à ses inquiétudes, calmer sa méfiance. N'étaient-ils pas bien, tous les deux sous le clair de lune ? Ne feraient-ils pas mieux de profiter d'un moment plus tendre, au lieu de se jauger comme deux ennemis ? Il n'y avait rien à craindre. Macsen le fixait d'un regard caressant et ne voulait que son plaisir. Il s'appliquait à renforcer peu à peu son influence. Dans son domaine, l'héritier gallois était un faune doué. Il usait de ses talents avec une certaine effronterie, sans redouter les ratés, depuis qu'il côtoyait les humains. Aujourd'hui, il connaissait assez bien ses limites, savait provoquer une attirance raisonnable, et contrôlait suffisamment sa volonté pour ne pas tomber dans son propre piège. Son but restait la dague, il ne l'oublierait pas pour les bras d'un jeune homme. Ses yeux clairs ne le quittent pas. On y devine une attente si vive qu'il serait dramatique de la décevoir. Car si le voleur refuse de lui céder la dague, il n'y aura aucune récompense. Pire, il pourrait être très triste. Pourrait-on être assez cruel pour oser faire couler des larmes sur son beau visage ? D'une voix douce, il continue de l'encourager à lui remettre la lame, et la main de l'importun finit par se tendre. Macsen s'approche pour la saisir mais l'imminence du danger réveille la conscience du jeune homme. Il résiste. L'objet doit lui tenir bien à cœur. Peu d'humains auraient eu cette force d'esprit à un stade aussi avancé de la séduction. Avec difficulté, il parvient même à s'exprimer. Il est question d'une lignée et son amour pour les grandes familles ancestrales est forcément interpellé. En le traitant d'angle de manière assez inattendue, l'étranger parvient à le déstabiliser. Quelques faiblesses de caractère nuisent encore à ses capacités magiques. Il faudrait pouvoir faire sans sa susceptibilité, et celle-ci ne peut s'empêcher de signaler sur un ton beaucoup moins enveloppant :

– Je suis gallois, ne m'offense pas.

L'étranger continue de lutter pour donner des explications. Il s'agirait de la dague de Roland, et il se trouverait face à un membre de la famille de Roncevaux. Résister à la tentation de solliciter ses connaissances historiques pour bien traiter ces nouvelles informations est impossible. C'est au tour de Macsen de ne plus savoir très exactement où il en est. Bien sûr, il connaît le personnage de Roland, dont on a souvent chanté les exploits – réels ou imaginaires -, brave au point d'avoir rendu son épée célèbre et lié de très près aux carolingiens. D'un point de vue purement culturel, se retrouver devant le descendant d'un chevalier légendaire est assez excitant. Dans un autre contexte, il aurait était très agréable d'avoir une grande discussion avec lui pour démêler le vrai de la légende, échanger sur le fait de porter le nom d'une si vieille famille dans un monde moderne qui faisait de moins en moins cas de la naissance. Malheureusement, leurs intérêts s'opposaient. Il fallait bien que la dague revienne à l'un d'entre eux et, même s'il pouvait se contenter de demander la pierre, Macsen n'oubliait pas que les Roncevaux, avant d'être connus pour avoir repoussé les musulmans, n'avaient pas moins contribué à la destruction des celtes que leurs alliés. Il n'était donc pas tout à fait certain qu'une lame bénie par une dryade pût revenir de droit à leur lignée. Il avait besoin de connaître toute l'histoire avant.

Et que sais-tu de l'histoire de cette lame pour affirmer qu'elle appartient toujours à ta lignée ? demanda-t-il d'une voix à nouveau adoucie. Je respecte la mémoire de chaque famille, mais cette dague a été modifiée après sa création. La pierre qui y est liée appartient à ma famille. Nous autres celtes n'avons pas eu de très bons rapports avec les carolingiens. Je crains que ma lignée ait laissé quelque chose d'important, et pour de bonnes raisons dans cette arme… et que tu devrais me la donner.

Les derniers mots ravivèrent toute sa magie de séduction. Il avait retrouvé progressivement l'attitude charmante du début pour récupérer l'objet par la force, malgré quelques explications. Il ne connaissait pas suffisamment son interlocuteur pour pouvoir évaluer le succès d'une discussion sincère et, à vrai dire, il préférait l'éviter tant qu'il n'avait pas rempli son objectif premier. La résistance imprévue de Joshua le rendait assez impatient. Il lui semblait assez risqué de parler en détail de ses origines, ou de la nature véritable de la pierre à un homme dont il ne savait pas grand-chose. Cela impliquait aussi d'évoquer l'existence d'un monde magique et, si les Roncevaux semblaient avoir été liés à des « miracles » par le passé, rien ne disait que la famille accordait toujours crédit à ces histoires. Il lui faudrait bien plus de temps pour évaluer les connaissances du jeune homme. Récupérer la dague restait son seul et unique but à court terme.


Josh :

Son regard caresse mon corps, envoûtant mes sens et ma raison. Cela fait longtemps que je ne me suis pas senti autant charmé. Il est dit que les plus belles rencontres sont souvent des accidents. Je ne connais pas son nom, ni sa profession, ni rien, pourtant cela me démange de caresser sa joue du bout des doigts, puis d’explorer l’interstice entre sa peau et ses vêtements. Les battements de mon cœur s’emballent un peu et mes pupilles doivent se dilater, prémisses du désir. Le temps s’arrête devant sa présence qui me réconforte et me rassure. Pourtant, je n’ai pas besoin d’être réconforté ou rassuré… Que… ?

– Je suis gallois, ne m'offense pas.

Sa réparti casse l’ambiance. Angles, gallois, pour moi c’est bonnet blanc, blanc bonnet. Mon niveau d’anglais ne me permet pas de les différentier. A mes yeux, ils sont tous issus de la même foutue ile, celle de l’ennemi héréditaire. Une méfiance innée et séculaire revient au galop. Je baisse ma main qui allait si familièrement lui caresser la joue, comme si nous étions d’intimes connaissances. Que m’arrive-t-il ? Je ne suis habituellement pas si inconscient ou impulsif. Je calcule toujours froidement mes relations. Je ne m’abandonne que rarement à un coup de cœur et cela certainement pas sur le toit d’un musée que je viens de cambrioler.

« L’autre » se radoucit et d’une voix douce et calme me demande ce qui me fait affirmer que la dague m’est légitime. Il dit respecter les héritages familiaux mais affirme que l’arme a été modifiée. Je regarde la breloque qui m’avait parue incongrue et totalement contre-productive car gênante et bruyante.

La pierre qui y est liée appartient à ma famille, affirme-t-il. Nous autres celtes n'avons pas eu de très bons rapports avec les carolingiens. Je crains que ma lignée ait laissé quelque chose d'important, et pour de bonnes raisons dans cette arme… et que tu devrais me la donner.

/•/•/•/

- … et que tu devrais me la donner.

Ambivalence des envies qui me parcourent me perturbent. Cela se mélange dans un chaos dont je ne suis pas coutumier. La première envie est purement bestiale et émotionnelle. Je suis à un cheveu de le plaquer contre le conduit de cheminée qui est dans son dos et d’écraser ses lèvres avec les miennes. Mes reins ne demandent qu’à entrer dans une danse ancestrale. Cependant ce même corps se refuse à lui offrir ce qu’il demande, l’arme de mon ancêtre. Mon pouce caresse l’emplacement où se trouvaient serties les armureries de Roland. Le contact me picote la peau comme lorsque l’on passe son doigt trop près de la fée électricité. J’interprète ce signal comme un avertissement, une alarme. Cela me sort d’un cocon doucereux. Il revendique la breloque et la dague. L'ajout date de la même période que la lame… Qui est-il pour se revendiquer une ascendance si lointaine ?

Levant doucement la dague devant mes yeux, mais toujours en la serrant fortement, je regarde l’objet incongru qui la complète. Nous sommes d’accord que la dague a été modifiée. Seulement notre interprétation du but de cette modification, ou plutôt sur quelle lignée doit en hériter sont opposées. Je n’ai aucune idée de la raison de cet ajout et j’ai l’audace de penser que c’est une récompense où quelque chose y avoisinant et non pas la marque d’une usurpation. Hum… Et si je me trompais ? Que cette breloque est une sorte de scellement ? Que sa lignée est hostile à la mienne ? N’a-t-il pas dit qu’ils ne s’entendaient pas avec les carolingiens ?

Une sorte de brume semble s’éclaircir. L’homme qui s’est rapproché de moi est séduisant, mais pas à un point d’affoler ma libido. La micro décharge électrique de l’étui de la dague était bien un avertissement. L’homme ne semble pas armé, cependant j’ai la conviction qu’il a d’autres atouts. Maintenant que j’ai été douché, son attitude et sa présence restent toujours plaisante et agréable, mais fort inappropriées en ce lieu. Mon raisonnement est plus intuitif que logique. Mais je n’ai pas affaire à un être ordinaire. Je ne lui donnerai pas cette dague, mais je le crois capable de me la prendre de force.

- A moi Durendal !

J’ai à nouveau collé la dague contre ma poitrine. J’ai à peine murmuré l’invocation, la garde de l’épée de Roland apparaît dans ma main droite, le reste de la lame se dévoile dans une lueur métallique. Si je ne pointe pas le bout de l’épée contre l’inconnu qui me fait toujours l’affront de ne pas se présenter, je n’en déroule pas moins le poignet dans un geste harmonieux qui est surtout là pour montrer que cette épée n’est qu’une extension de moi-même. Mon geste n'est pas offensif, juste une mise en garde. Il serait une erreur de penser que sa taille et son poids soient une contrainte. Le fourreau de la dague me renvoie comme un écho à l’apparition de sa grande sœur, confortant ma bataille présente à garder l'objet.

- Je ne sais toujours pas qui vous êtes. Un vil charmeur de serpents ? Un hypnotiseur de foire ? Ce qui est certain, c’est que cette dague appartient au miens, et que je veux une explication sur le fait qu’elle ait été encombré de cet ajout qui gêne sa prise en main. Est-ce un hommage que mon ancêtre ferait aux…vôtres, ou bien est-ce un sacrilège ? Qu’est-ce donc là ?!

Je fais pendre la breloque sans quitter des yeux l’inconnu. Il ne semble pas apprécier mon épée menaçante. Je n’aime pas me faire charmer à mon insu. L’homme est habile, il a presque failli m’avoir. Même là je me sens encore attiré par lui, c'est indéniable. Il dégage un charme bien plus fort que le simple esthétisme de son corps le permet. Qui est-il ? Qu’est-il ? Je pourrais le mettre hors d’état de nuire et m’enfuir. Mais je veux savoir ce qu’est cette breloque et lui semble dire que ça lui appartient, à lui ou à sa famille. De plus, il faudrait que je me fasse violence pour lui abîmer le portrait.

Macsen :

Il est toujours plus difficile de séduire un homme avec une idée fixe en tête. Macsen fait son possible pour maintenir son charme, et il devine une lutte intérieure féroce chez son rival. Bien sûr, il pourrait augmenter son influence, mais c'était au risque de perdre son objectif de vue. Il ne lui restait donc qu'à l'amadouer et espérer le faire céder en lui donnant un ordre inattendu. Un humain normal n'était pas censé résister à sa magie. Cependant, celui-ci était coriace. Son appel soudain à Durendal répond à une partie de ses questions. La ligne de Rolland n'a pas oublié la magie des premiers temps, nombre des légendes sur le chevalier seraient donc bien réelles. Sur le moment, la surprise lui fait perdre toute son emprise. Mais Macsen reste très calme. On devine dans son regard plus de curiosité que de crainte. Cette virée nocturne était décidément plus passionnante que prévu. Il observa l'épée avec intérêt, en mesurant sa chance de profiter d'une apparition aussi incroyable. Ça valait bien quelques déconvenues avec un voleur indocile.
Ses yeux clairs détaillent l'arme d'un air fasciné, et il en oublie à moitié la dague. Dans son esprit embrouillé bataille de plus en plus l'envie de sortir vainqueur du conflit et le besoin de profiter des connaissances de l'inconnu. La menace que représente Durendal semble en revanche lui passer complétement au-dessus. Quand le jeune Roncevaux prend à nouveau la parole, en s'agaçant de ne pas avoir de réponse convaincante à ses questions, Macsen lui tourne un regard plus songeur. L'un de ses sourcils se dresse légèrement quand il se fait demander s'il est une sorte d'hypnotiseur, puis un sourire railleur passe sur ses lèvres. Ainsi, son petit numéro a été remarqué, et c'est bien dommage. Il ne peut malheureusement pas beaucoup éclairer son chevalier moderne. Ses activités à Londres ne lui permettent pas de dévoiler son identité à n'importe qui. La plupart des gens riraient d'entendre dire qu'il est un faune, mais il savait bien comment les choses fonctionnaient dans les rues tentaculaires de la capitale anglaise. Il y aurait toujours une personne pour prendre ces histoires au sérieux, pour lui nuire et le traquer afin de contrer ses plans. Et, pour le reste, ses interrogations croisent celles du jeune homme.

– Je ne suis rien de tout ça, mais j'ai de la magie en moi, il est vrai…, dit-il mystérieusement.

Et, tout en fixant son adversaire, il fait à nouveau jouer de son charme, en lui décochant un sourire tout aussi ravageur qu'arrogant. Puis, il devient plus hésitant. Garder trop d'informations ne lui permettra certainement pas de gagner les faveurs du voleur et, par conséquent, l'aider à saisir les zones d'ombre de cette affaire. Il se résigne à lui céder quelques informations.

– Je n'ai pas plus d'explications que toi sur les raisons de cet objet. Comme toi, je suppose, j'ai découvert son existence aujourd'hui, j'ai été appelé par la magie que la pierre dégageait, mais pas seulement… En fait, si tu regardes bien, c'est de l'ambre et, plus précisément, du sang de dryade cristallisé. Ma lignée s'est mélangée au peuple des forêts, je sens la vibration au plus profond de mon cœur. Alors pourquoi une de mes parentes aurait voulu renforcer le pouvoir de la dague ? Je l'ignore. Et je ne risque pas d'éclaircir l'affaire si je ne peux pas examiner l'objet et interroger les êtres encore vivants qui auraient pu être impliqués. S'il s'avère que la lame appartenait toujours à tes ancêtres au moment du scellement, je n'aurai aucune raison pour ne pas te la rendre.

Macsen faisait le choix de l'honnêteté. Il avait hésité à jouer la carte de l'artefact maudit, mais il lui semblait plus profitable de garder une certaine amitié avec le descendant de Rolland. Le caractère de ce dernier lui soufflait qu'il n'apprécierait pas de se faire berner. D'ailleurs, il était toujours prêt à l'attaquer au moindre faux pas, ce qui serait aussi regrettable. Son but n'était pas nécessairement de le priver de sa dague, juste de comprendre à qui elle revenait de droit, puisqu'elle avait été modifiée après sa création. Dans quel but et pour quel propriétaire ? La question demeurait. Cependant, certaines dryades de sa forêt au Pays de Galles étaient assez anciennes pour avoir été contemporaines à l'événement, si elles ne s'étaient pas desséchées dans leur arbre-cœur, comme un nombre accablant de créatures ces dernières années.


Josh :

Mon vis-à-vis reste d’un calme olympien. Soit il est inconscient, soit il a l’assurance que je ne suis pas une menace létale pour lui. Il a à peine haussé un sourcil à l’apparition de Durendal, confirmant sa connaissance de la magie passée. Tenir Durendal me rassure car cette épée est redoutable entre mes mains. Pourtant… L’homme n’est pas un sot ni un idiot. Il n’est absolument pas effrayé par ma mise en garde explicite. Non, il semble plutôt curieux. Quel étrange personnage. Je peux me targuer d’avoir déjà croisé une faune particulièrement hétéroclites dans les nuits parisiennes et autres lieux improbable pour le commun des mortels. Mais ce gallois dégage une aura particulière. Il détaille mon épée comme un enfant ébahi. J’en profite pour le scruter plus en profondeur. Sobrement habillé, il n’en est pas moins vêtu de vêtements de qualité, peu pratiques pour se hisser sur le toit d’un musée. Ses chaussures ne sont pas adaptées à l’escalade d’une façade, elles sont bien trop lisses. Ma question n’est pas qui est-il, mais plutôt qu’est-il ? Comment ce type a pu se hisser jusqu’ici dans une telle tenue ?!

Ses traits s’illuminent d’un sourire qui rend son visage encore plus plaisant à regarder. Mes hypothèses sur sa nature exprimées à haute voix le font sourire. Je me doute que j’ai tout faux.

– Je ne suis rien de tout ça, mais j'ai de la magie en moi, il est vrai… Réplique-t-il enfin.

Me voilà guerre avancé sur ce qu’est ce gars fort séduisant. Le voilà qu’il illumine encore sa figure d’un charme difficilement esquivable. Il est ensorcelant et il le sait. Est-ce là sa magie ? Le don d’envoûter quelqu’un ? Le pire est qu’hormis sa volonté de me prendre la dague, je ne me sens pas en danger. Est-ce parce qu’il est arrivé à endormir ma méfiance ? Je ne tergiverse pas plus car il daigne enfin m’en dire plus. La pierre emprisonnée n’en est pas une, cela serait d’après lui de l’ambre, mais une ambre particulière issue du sang de dryade cristallisé.

Dryade… Mes yeux se ferment à demi sous l’effort de mémoire. J’ai une vaste bibliothèque et je suis un lecteur assidu, avide de connaissance. Au bout de quelques secondes, des gravures me reviennent en mémoire. Elles illustrent des êtres mi-homme, mi-plante. Une race à la frontière des mondes végétal et animal.

- Je ne risque pas d'éclaircir l'affaire si je ne peux pas examiner l'objet et interroger les êtres encore vivants qui auraient pu être impliqués. S'il s'avère que la lame appartenait toujours à tes ancêtres au moment du scellement, je n'aurai aucune raison pour ne pas te la rendre.

Je reste silencieux un moment, pesant le pour et le contre de sa proposition. Il y a un relent de vérité dans ses propos, mais aussi la menace qu’il garde la dague s’il le juge ainsi. D’un geste machinal, je range Durendal dans son fourreau qui s’est matérialisé dans mon dos lors de son apparition. Il va falloir que je me ballade avec ça sur le dos un moment, car son pouvoir de camouflage ne marche pas d’un claquement de doigt. Elle doit rester un temps certain dans un espace avant de pouvoir partir dans un monde dont j’ignore tout.

- Soit, monsieur qui ne m’a toujours pas donné son nom. Je concède à un compromis. Je suis aussi désireux de connaître l’histoire de cette dague. Mon ancêtre était un guerrier, l’un des meilleurs chevaliers de Charlemagne. Je suis conscients que cela ne fait pas de lui un saint homme et que nombres de lignées se sont certainement éteintes sous le fils de son épée. Mais cela appartient désormais à l’histoire, une histoire que les descendants ne peuvent pas réécrire. Il serait idiot de perpétrer bêtement les haines ancestrales quoique j’avoue mon inimité naturelle pour tous ce qui naît sur la grande britannique.

Je m’avance doucement, il ne recule point. Charmant, il est en tout point charmant. Je cherche une particularité qui tendrait à le rapprocher du monde végétal, mais je ne vois qu’un dandy bien de sa personne. C’est plus fort que moi, je tends la main pour toucher sa joue. Celle-ci est chaude comme celle d’un être ordinaire.

- Es-tu un Drûs également ?

Un éclat de voix dans la nuit me coupe et me rappelle où nous sommes. Il serait déraisonnable de s’attarder sur ce toit. Je range la dague dans une des poches intérieures de ma veste, puis emprisonne son menton entre mon pouce et mon index d’un geste familier et impudique car j’approche mon visage du sien.

- Je concède à te laisser examiner cette dague et d’aller quémander des réponses où tu veux à l’unique condition que la distance entre cette dague et moi ne dépasse pas les deux mètres. A prendre ou à laisser.

Je lui donne l’adresse de l’hôtel où je suis descendu disant que je serais disponible vers les onze heures, le temps de plier les quelques affaires que j’ai à voir sur Londres. Son regard est troublant, il invite à se laisser aller. L’envie de combler l’espace entre sa bouche et la mienne est grande et si je n’avais pas conscience de ses capacités envoûtantes, je me serais laissé aller comme un papillon attiré par la lumière. L’homme est bien faible.

Un clin d’œil et je suis déjà au bord du toit, je disparais dans la nuit, glissant silencieusement sur un filin d’acier. Je prends des chemins détournés pour rentrer à l’hôtel. Durendal est un handicap à la discrétion, mais j’aime sentir sa présence dans mon dos.

/•/•/•/

Ma nuit a été peuplée de rêves étranges, mais forts agréables. J’ai laissé mon épée dans ma chambre avant de filer dans le quartier de la city. J’ai deux rendez-vous ce matin, une dans une galerie d’art et un autre dans une boutique qui vend des marchandises orientales.

/•/•/•/

Négocier avec des anglais est fort agaçant pour un latin comme moi. Mais les affaires sont les affaires, et j’ai pris sur mon impatience. Le contact avec la galerie d’art est un total fiasco, le propriétaire préfère faire affaire avec les italiens que les français. Il faut que j’enguirlande mon contact qui m’avait donné cette piste totalement inutile. La boutique de chinoiserie s’est révélée plus prometteuse et avide de mon réseau de contacts.

Assis à une table du salon de l’hôtel, je tourne ma cuillère dans un café bien trop clair. Contre ma poitrine, je sens la rigidité de la dague. Elle ne m’a pas quitté depuis la veille. J’ai même dormi avec, de peur que mon inconnu de hier soir tente de se l’approprier lors de mon sommeil. Je picore des petits gâteaux comme une vieille anglaise. Dans ma chambre, mes affaires sont bouclées. Je suis prêt à repartir pour la France ou suivre cet étrange rencontre sur le toit d’un musée célèbre.


Macsen :

Ses propos semblent le calmer. A défaut de pouvoir lui donner des informations très précises au sujet de son intérêt pour la dague, il parvient à éveiller sa curiosité. Peu à peu, l'héritier de Roland se relâche et consent même à ranger une épée qui n'intimide visiblement personne. Macsen s'en félicite. Sa nature sauvage bien cachée n'aurait pas refusé un combat, mais la discussion est toujours préférable tant qu'elle n'impose pas trop de compromis. Il n'était pas venu à Londres pour se faire des ennemis qui utilisaient la magie. Les adeptes de la technologie nourrissaient déjà bien assez sa colère. Pour autant, il n'est pas prêt à donner une confiance aveugle à n'importe qui, même quand on lui fiche une arme légendaire devant le nez. Son identité restait publique, Josh connaissait désormais ses talents de charmeur, tout ce qu'il mettait en place sur la scène politique serait perdu si une personne mal intentionnée cherchait à le révéler au grand jour. Et ils n'avaient pas besoin de devenir aussi intimes si vite. Il acquiesça doucement quand le jeune homme essaya de relativiser l'importance du passé. A vrai dire, il n'en faisait pas toute une affaire comme son père, mais il était prêt à jouer de mauvaise foi pour apaiser sa contrariété. Macsen était un être borné qui ne savait pas toujours s'arrêter là où le voulait la sagesse. Il avait monté un plan très sérieux pour récupérer cette dague, il ne voyait pas pourquoi il devait revenir sur ses projets pour le bon plaisir d'un inconnu. Dans son esprit, l'objet lui revenait de droit et il faudrait de nouveaux arguments afin d'envisager de la céder sans lui laisser la désagréable impression d'être resté sur un échec. D'ailleurs, puisque son « rival » se permettait de le provoquer, il ne put s'empêcher de lui rendre la politesse :

– Dois-je aussi avouer mon inimitié naturelle pour tout ce qui est trop humain ?

Mais le sarcasme avait quelque chose de badin. Il laissait le jeune homme revenir vers lui, avec l'intention manifeste de l'observer à nouveau maintenant qu'il connaissait une partie de ses origines. On sentait dans son regard une volonté de ne pas se laisser étourdir par son pouvoir et réussir à voir au travers. C'est peut-être parce qu'il n'obtint aucune réponse satisfaisante qu'il commit l'imprudence de caresser sa joue. Macsen se demandait s'il avait conscience de sa vulnérabilité. Il pouvait poser sa main sur la sienne, le fixer droit dans les yeux, profiter d'un instant de trouble pour l'embrasser et le laisser étourdi en le dépouillant de tous ses biens. C'était particulièrement tentant, mais il perdrait une autre opportunité, celle de connaître le descendant d'une grande famille, d’acquérir un autre savoir et aussi un peu d'excitation dans son existence purement fonctionnelle, où chaque rencontre était ennuyeuse ou sans évolution possible car il devait se cacher et jouer un rôle.
Il secoua doucement la tête pour signifier qu'il n'était pas un drûs, même si c'était effectivement bien vu.

– Les drûs sont les fils des hommes et des dryades, expliqua-t-il. Je suis le fils d'un drûs. Notre espèce est quelque peu compliquée.

Son père était plutôt un chanceux de la génétique avec son charme naturel sans être trop envahissant, son talent pour soumettre les végétaux à ses désirs. Mais l'union d'un drû et d'une dryade formait à nouveau des faunes, comme si l'ordre naturel devait se rétablir après un accouplement non-prévu. Les traces d'humanité qu'il avait gardé de son paternel étaient un atout pour son peuple, une souffrance pour ses ambitions ; avait-on idée de désirer autre chose qu'une vie de jouissances éternelles quand on était un faune ? C'était en partie pour cette raison qu'il ne fit que mettre Josh sur la piste. Il ne voulait pas être jugé trop vite à travers une créature aussi fascinante qu'inquiétante. Mais la tentation est forte, quand le français force encore leur proximité, de tout abandonner et conclure cette histoire d'une manière parfaitement déloyale. Le jeune homme ne peut plus ignorer les risques qu'il prend en jouant à ce petit jeu avec un être qui a déjà mis sa volonté à rude épreuve. Cherche-t-il à se prouver quelque chose lui-même ? C'est idiot. Il perdrait son pari en un claquement de doigts si Macsen le souhaitait.

– Je vois, tu ne veux déjà plus renoncer à moi, plaisanta-t-il en étirant un sourire narquois.

Au fond, il appréciait ce genre de folie. Il voulait bien lui laisser un peu d'avance, même si ça signifiait s'absenter quelques jours de la capitale. Et comme Josh avait quelque difficulté à quitter son regard, Macsen l'appuya davantage. Il savait qu'il était difficile de renoncer à la tentation de revoir ces yeux-là, qu'ils le hanteraient un moment, qu'il craindrait trop de perdre l'occasion de les examiner à nouveau, juste une fois, s'il ne tenait pas sa promesse. Alors il le laissa partir, et veilla à n'être aperçu de personne quand il quitta à son tour le musée en bondissant d'une corniche à l'autre.

***

De retour dans son appartement, Macsen retrouva sa régulière endormie, les poignets liés au lit. Il avait préféré l'attacher afin d'éviter qu'elle ne se mette à tout ravager ou à se mutiler en réalisant qu'il ne rentrait pas à une heure habituelle. Il la détacha doucement, en constatant qu'elle s'était bien débattue avant de sombrer dans un sommeil épuisé. Sa présence la réveilla rapidement et elle se jeta passionnément sur lui comme si rien ne s'était passé. Il lui donna satisfaction en songeant qu'il devait garder toute sa conscience le lendemain, et aussi qu'il faudrait abandonner la pauvre Helena à son sort. Avec un peu de chance, elle serait capable de se guérir de son addiction avec le temps, même s'il l'avait arrachée à la rue et qu'aucun avenir ne semblait l'attendre dans tous les cas.

***

Il s'éveilla assez tôt pour régler toutes ses affaires avant son départ. D'abord, il habilla Helena en lui annonçant qu'il avait une surprise pour elle. Comme il lui avait bandé les yeux pour la faire entrer dans son hôtel, il lui couvrit le regard en l'emmenant dehors, en lui posant un chapeau assez large pour ne pas attirer l'attention – mais après tout, il avait bien le droit de vouloir surprendre une fiancée. Ils traversèrent une partie de Londres de cette manière. Puis il la conduisit au milieu d'un parc, et lui demanda de compter jusqu'à dix pour retirer son tissu. C'était assez pour lui donner le temps de filer. La suite, il s'en doutait un peu. La jeune femme risquait de faire une crise d'hystérie en se découvrant abandonnée, mais serait incapable de donner son adresse comme son prénom. On la prendrait certainement pour une folle et l'enverrait en asile pour qu'elle se fasse soigner. Il lui avait confié une bourse assez généreusement garnie à cet effet. Après, c'était le scénario idéal qu'il préférait garder en tête. Elle pouvait aussi très bien courir dans un état de panique avancé sur la route et se faire renverser.
Difficile d'imaginer tout cela quand on le retrouvait occupé à rédiger son courrier en sirotant une tasse de thé dans son cabinet. Il prépara soigneusement tous ses messages d'absence qui évoquaient une urgence familiale, puis passa des appels pour réserver une cabine privée en train jusqu'au Pays de Galles, et une voiture ensuite. En temps normal, il aurait préféré commencer par les recherches documentaires, mais il n'était pas certain de pouvoir retenir le français assez longtemps, alors c'était autant aller droit au but.
Il le trouva comme prévu à l'adresse indiquée, devant un déjeuner qui le laissait visiblement sceptique.

– Prêt à s'aventurer encore plus loin sur une terre de sauvages ? Je te propose d'aller directement à la source de l'allumette. Nous avons un train pour Birmingham dans une heure. Deux heures sur les rails puis deux heures encore en voiture. Je te laisse finir tes gâteaux ou peut-être commander un sandwich pour la route.

En parlant de manger, il tira une chaise pour attendre Josh et attrapa la carte du menu posée sur la table pour voir ce qu'ils avaient en restauration rapide à emporter. Il n'avait pas spécialement faim, son esprit était encore trop occupé par tout ce qu'il avait dû gérer dans la matinée, mais ça ne signifiait pas que la fatigue n'allait pas lui tomber brutalement dessus une fois qu'il serait posé dans un wagon. Et puis, c'était toujours mieux que fixer intensément Josh pendant qu'il terminait son café. D'ailleurs, il était vrai qu'il ne s'était toujours pas présenté et qu'il devait envisager de baisser son niveau de méfiance s'il devait passer les prochaines vingt-quatre heures en compagnie de cet homme.

– Je crois que tu m'as plusieurs fois fait comprendre que tu voulais connaître mon nom hier, alors tu peux m'appeler Macsen. Bien reposé ?

Il leva ses yeux de la carte tout en s'inquiétant enfin de son état. On le sentait à la fois dans une attitude décontractée, mais avec la vivacité d'un mondain londonien aussi à l'aise qu'expéditif avec ses pairs. Ils avaient encore une marge raisonnable pour aller à la gare sans se presser, mais quand on vivait dans la capitale, une heure n'était pas « assez court » pour se relâcher tout à fait.


Josh :

Je réfléchis à ma rencontre de la veille. Grande était mon excitation quand j’avais refermé la vitre par laquelle je m’étais introduit dans le musée. Réussir un vol, surtout quand l’enjeu me tient à cœur est purement jouissif. Mais que dire de cette conversation avec cet homme ? J’ai encore en mémoire sa voix chaude et suave. J’ai beau savoir qu’il a un don de charmeur, que ma réaction est provoquée, pourtant même après quelques heures de sommeil, j’ai envie d’être à nouveau envoûté. Est-ce là la finesse du sortilège ? Même si la victime arrive à se dépêtré de l’attirance, elle n’a qu’un désir, celui d’y succomber à nouveau. Moi l’hédoniste, je suis la cible rêvée et idéale à ce discours paré d’afféterie. Moi qui d’habitude excelle dans les faux semblants et les parades séductrice, me voilà bien ennuyé d’être celui qui y succombe.

Je souris, lissant ma fine moustache. La gageure me plait, même si dans l’affaire je risque de perdre ce que je tiens caché contre mon torse.

L’inconnu m’avait affirmé ne pas être un drû, mais le fils d’un membre de cette espèce. Il n’avait pas nommé sa « race », se contentant d’un « compliqué » que j’avais assimilé à « bâtard ». Mais fils illégitime ou pas, il a des capacités certaines. J’imagine que dans un environnement moins urbain, il gagne en puissance. Ne suis-je pas en train de jouer avec le feu ? Il a eu l’air de se moquer de Durendal, assurément non effrayé par l’apparition de la légendaire. J’ai la dague de mes ancêtres, la gare n’est qu’à quelques pâtés de maisons d’ici. Je n’ai qu’à me lever, payer ma note et reprendre le chemin de la France et de mon appartement parisien ou je pourrais à loisir me plonger dans ma bibliothèque pour percer les mystères de ce poignard. Oui qu’est-ce qui m’en empêche ? Un regard vert en amande ? Une fine bouche au sourire délicat ? Des cheveux soyeux dans lesquels j’ai envie de passer mes doigts ?

- Prêt à s'aventurer encore plus loin sur une terre de sauvages ?

L’arrivée de mon mystique inconnu coupe cours à mes réflexions et confirme ma prochaine destination, le centre de l’Angleterre. Il s’installe à ma table m’invitant à terminer tranquillement mes gâteaux, notre train n’étant que dans une heure. Je bois une gorgée de mon café, grimace face à ce goût clair et sans arôme. C’est tellement fade que l’on pourrait le faire boire à un nourrisson sans danger. Mon dégoût semble amuser mon vis-à-vis, ou est-ce autre chose qui le distrait ? Allez savoir avec cet homme si… charmant.

- Je crois que tu m'as plusieurs fois fait comprendre que tu voulais connaître mon nom hier, alors tu peux m'appeler Macsen.
- Oui c’est toujours mieux que « Bel inconnu » ou « sublime apparition »
raillé-je doucement.
- Bien reposé ?
- Quelques heures de sommeil de plus n’auraient pas été de refus. Je me rattraperai dans le train, Macsen.


Tout en finissant ma collation, je l’observe. L’homme est de toute évidence un mondain. Cela se sent par sa gestuelle ferme mais gracieuse. Difficile de percer sa carapace, il s’est bien gardé de me décliner son nom de famille. Je soupçonne que sa sonorité m’orienterait sur une région de cette grande île… enfin si j’étais capable de faire la différence entre un écossais et un anglais. Mon oreille n’est pas assez affûtée pour cela.

/•/•/•/

Le compartiment où nous prenons place ne sera occupé que par nous deux. Une aubaine qui nous permet de parler dans fard. Pourtant c’est de faits divers dont nous discutons pendant que le train quitte Londres et sa banlieue. Macsen s’est assis en face moi dans le sens de la marche. Le soleil matinal illumine ses cheveux créant une pseudo auréole qui le rend encore plus mystique… et charmant… Le bougre met mes sens à rude épreuve. Au-dessus de ma tête, Durendal est sagement posée sur ma valise. L’épée ne s’est pas effacée. J’ai encore du mal à comprendre son fonctionnement.

Ma montre gousset m’indique que nous en avons encore pour une bonne heure et demie de trajet. La fatigue se fait sentir. J’hésite à sombrer. Macsen et ses capacités charmeuses pourraient en profiter pour me subtiliser la lame plaquée contre mon torse. Puis je décide que s’il voulait me la voler… ça serait déjà fait depuis la veille. Du bout des pieds je me déchausse, et les coince entre la paroi du wagon et la cuisse de Macsen. Je le vois esquisser un geste à ma familiarité toute française. Je sais que les britanniques n’aiment pas le contact physique. On ne se serre pas la main ici, on s’incline pour dire bonjour.

Sans attendre plus sa réaction, je lui fais un clin d’œil charmant et me tasse pour trouver un confort avant de fermer les yeux. Je joue avec le feu, j’en suis conscient. Mais… j’adore ça. Le mouvement du wagon est berçant, incitant au sommeil. Je me laisse aller, persuadé que si Macsen envisageait une exaction, il l’aurait déjà commise. À moins que cela ne soit prévu pour plus tard.


Macsen :

Il est évident que son nouveau compagnon apprécie très peu le dépaysement. Continuer à vivre à la française en étant à l'étranger, pour le seul plaisir de relever tout ce que le territoire n'a pas de similaire à proposer est une certaine forme de masochisme. L'air affecté de Josh devant son café l'amuse un instant. On pourrait finir par croire qu'il redoute d'apprécier l'Angleterre en cédant pour quelques jours à ses traditions. Comment allait-il survivre au Pays de Galles ? Son probable snobisme gastronomique risquait d'assez mal vivre les plats roboratifs assaisonnés de bière des celtes, les pains assez denses pour assommer un homme ou les gâteaux parfumés au thé. À moins que son sourire suffise à lui faire trouver agréable tout ce qu'il découvrira en sa compagnie ? Macsen le sent particulièrement satisfait de pouvoir mettre un nom sur son visage, et il semble déjà vouloir abuser de cette nouvelle information. On ne pourrait nier qu'il y avait dans son attitude secrète une part inconsciente de séduction ; ne tendre qu'une miette à la fois, et laisser l'autre avancer avec l'espoir d'obtenir toujours un peu plus. Le porteur de Durendal se montre de son côté plus offensif, ce qui laisse peu de doutes sur sa nature effrontée. Il aime les risques, ne semble pas avoir de problème avec le fait d'éprouver une attirance pour un homme et de la revendiquer. Rien d'étonnant pour un français, dira-t-on en suivant les clichés, mais cela restait un danger dont il fallait tenir compte au long de leur escapade.

Le train n'est pas un lieu idéal pour faire connaissance. Même si le wagon n'est pas rempli, il reste l'idée forte d'être à une place temporaire en attendant mieux, et entouré d'oreilles indiscrètes qui n'ont, elles, pas besoin de vous connaître. Les discussions ont donc une pudeur très professionnelle, allant des dernières affaires politiques à quelques précisions culturelles. Une fois l'échange de politesses terminé, chacun peut donc s'occuper dans son coin sans paraître exprimer de la mauvaise volonté. Josh se laisse peu à peu bercer, et Macsen en profite pour parcourir l'un des journaux du jour, car il n'y a jamais de repos réel quand on doit s'occuper de diplomatie. Là, son compagnon a la curieuse idée d'étendre son pied jusqu'à son siège. Il l'aurait jugé sans savoir vivre s'il n'avait pas observé des signes de bonne éducation dans le reste de son comportement. Ou les français étaient réellement plus latins que les Anglais, ou son pouvoir de faune lui inspirait n'importe quel prétexte pour se rapprocher de lui. Il ne pouvait nier que cette dernière idée le rendait nerveux à tous les niveaux, surtout quand le jeune homme sembla l'étayer en lui envoyant un clin d’œil complice. Il se retrouva à lire un moment dans le vide. Qu'allait-il faire ? Il deviendrait sans doute rapidement plus sage de le mettre précisément en garde sur les risques qu'il encourait avec ce petit jeu. En même temps, s'il le laissait faire, Josh serait bientôt plus intéressé par le fait de s'abandonner à lui que le sort de cette fichue dague. Il n'avait pas une obligation absolue de tenir sa parole, surtout quand son compagnon de voyage paraissait lui-même prêt à changer de route en cours de trajet.

Après une rapide pause pour un déjeuner tardif à Birmingham, il est temps de se diriger vers le Pays de Galles avec une voiture réservée sur place. Tout en conduisant, Macsen ne cache pas le plaisir qui le gagne à mesure que la destination le rapproche. Même s'il est trop occupé à Londres pour se laisser aller à la nostalgie, il lui semble toujours que le manque était bien présent lorsqu' apparaissent le décor familier de ses terres natales, comme les noms des villes qu'ils traversent, Llanffylin, Llanwddyn, Llanymawddyn, … C'est évidemment l'occasion d'expliquer la prononciation de ces orthographes particulières et la signification des préfixes ou suffixes récurrents, comme Llan qui désigne tout simplement un village. Puis, quand il leur resta moins d'une heure de route vers les forêts qui entouraient Blaenau Ffestiniog, Macsen s'ouvrit davantage sur leur destination. En vérité, il attendait d'être certain d'avoir juste le temps qu'il fallait pour donner les informations essentielles sans être assailli de questions. Il n'était pas du genre à aimer s'épancher sur sa vie, souvent par peur d'en dire trop ou manque d'intérêt à développer ce qui intéressait la plupart des gens.

– Notre domaine n'est pas facile d'accès. Nous devrons abandonner la voiture dans le dernier village et marcher encore une heure. J'espère que tu te sens assez reposé ! Mes parents et mon petit frère sont informés de notre venue. Tu seras ici comme un invité mais je te déconseillerai de t'éloigner du château sans l'un de nous. Le peuple des forêts n'apprécie pas que les humains s'aventurent chez eux, encore moins en ces temps où ils leur semblent responsables de leur affaiblissement.

Il fallait vraiment reconnaître un certain courage à Josh pour oser s'embarquer dans une excursion qui pourrait bientôt ressembler à un film d'épouvante : la voiture qui s'arrête au bout d'un petit sentier alors que le jour commence à décliner, la promenade avec une créature non identifiée au plus profond d'une forêt hantée et très escarpée, pour partir à la recherche d'un vieux château médiéval dressé au milieu de nulle part et peuplé d'âmes encore inconnues. Macsen avait beau essayer de garder le rythme de son compagnon, il était évident que l'ascension des talus ne lui posait pas le moindre problème. Le silence était troublant. La nature retenait son souffle face à une intrusion dont elle ignorait encore les raisons. Même si les Caerwyn fréquentaient parfois les humains, ils étaient très peu nombreux à s'être aventurés jusqu'à leurs terres, et n'étaient pas toujours porteurs de bonnes nouvelles. A la mi-chemin, ils se retrouvèrent devant un dénivellement assez important, une longue bordure de deux mètres sans prise sérieuse possible. Ils pouvaient faire un détour d'une dizaine de minutes pour éviter cette difficulté, mais, après tant d'heures de voyage, Macsen avait une certaine lassitude à l'idée d'allonger inutilement la marche.

– Ok, j'y grimpe d'abord et je te tends la main, ce sera plus rapide.

Grimper était cependant un grand mot. Il prit un court élan et abattit la distance en un bond précis dont la souplesse innée n'avait rien à voir avec celle d'un sportif très entraîné. Puis, sans marquer la moindre fatigue liée à l'effort, il ouvrit un bras à Josh pour l'aider à se hisser.
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When the past meets the present | Josh feat Macsen Vide
MessageSujet: Re: When the past meets the present | Josh feat Macsen When the past meets the present | Josh feat Macsen EmptyDim 10 Juin - 10:17

Josh :

Ce voyage en Grande Bretagne prend une tournure incongrue mais pourtant fascinante. Contrairement à mes projets initiaux, me voilà embarqué dans un voyage qui m’enfonce au cœur de ce pays aux mœurs et aux usages très différents de mon pays à dominante latine. Il y a ici un particularisme très insulaire dans les relations humaines. Je sais que depuis que j’ai croisé le chemin de Macsen, j’ai violé une bonne dizaine des codes sociaux auxquels il est coutumier. Libre à lui de me prendre pour un barbare du sud, ou de comprendre l’homme complexe que je suis.

Bercé par le rythme du train, je laisse mes pensées vagabonder. Mon sujet d’expectative est le destin. Je me souviens de longs débats sur le sujet dans quelques salons parisiens où se mêlent de vrais philosophes et des riches bourgeois en quête d’immatérialité. Dans mon cas connaissant mon lignage, il est aisé de parler de destin, avec Durendal qui m’échoit de façon si mystique. La prise de possession de cette noble épée a bousculé mes habitudes de gentlemen cambrioleur et d’hédoniste mondain. Cette épée n’a pas été forgée pour servir une ambition personnelle. Cela m’a paru une évidence dès qu’elle ait été entre mes mains. Quelle étrange relation qui s’instaure entre elle et moi, moi qui ne suis pas tout à fait un philanthrope ?

Coup du sort, ou encore de ce destin que de tomber sur une autre arme ayant appartenue à mon illustre ancêtre ? Et qui plus est d’avoir mis sur mon chemin ce faune si charmant, si dangereusement charmant. J’ai conscience de m’être laissé séduire, et la lucidité de ses capacités surnaturelles à pouvoir me charmer. Ma question est, si je suis conscient que mon attrait pour lui n’est pas tout à fait naturel, est-ce que son charme ne marche pas entièrement sur moi, ou suis-je malgré tout indéniablement ensorcelé, n’ayant en tout et pour tout que la faible latitude de me débattre dans le cocon de soie dans lequel il m’a entortillé ? Savoir que l’on cède contre son grès est-il une preuve de résistance, ou une illusion de libre arbitre ? Toutefois la torture est plaisante.

Ces questionnements me menant doucement à un mal de crane, je prends le parti de me dire que j’ai une bonne capacité de me sortir de situations inextricables et que cette virée dans les profondeurs saxonnes ne peut être qu’exaltante. Entre mes cils à moitié clos je vois Macsen lire les nouvelles. Il est troublant à plusieurs titres. Chacun s’occupant à sa guise, je laisse la torpeur me gagner.

/•/•/•/

Le train nous laisse à Birmingham où nous nous sustentons d’une collation typique et un peu frugal à mon goût. Je ressens le tourment de tous français loin de sa cuisine natale. Toutefois, je fais contre la fadeur gustative des plats, bon cœur envers mon guide qui semble prendre des couleurs au fur et à mesure de notre périple. Il est évident que le jeune dandy est heureux de quitter la vie factice de Londres pour ses terres natales. A mesure qu’il est content de retrouver sa forêt, je m’éloigne de ce qui est dignement comestible.

La suite de la route se fait en voiture. J’aurais volontiers réclamé le volant si d’un je savais où nous allions et de deux si ces foutus anglais ne conduisaient pas du mauvais côté de la route. Je taquine mon hôte à ce sujet. Il me fait comprendre que ce n’est point eux qui roulent du mauvais côté. Nous passons des villes avec des noms totalement imprononçables.

- Lanimadine ?
- Llanymawddyn !


J’ai droit à un cours sur l’étymologie des noms de la région. Féru d’histoire et de géographie, je prends plaisir à écouter Macsen me décrire son pays. J’aime ce moment authentique. Le gallois tombe un peu le masque en narrant les particularités de son territoire. Puis enfin il me parle de notre destination finale. L’accessibilité du château où il me mène semble être rustique, puisqu’il semble que nous devons marcher pour l’atteindre. L’affaire me paraît étrange, car les castels de l’ile sont généralement pourvus de routes d’accès. À moins que sa forteresse ne soit à l’image de certains châteaux cathares comme Monségur. Je le rassure que la marche ne m’effraye pas.

Par contre j’aime moins la menace sous-jacente quand il me conseille de ne pas m’éloigner du dit château sans être accompagné. Je prends la mesure du risque que j’ai pris en le suivant. Dans un vieux réflexe, je me gratte la nuque. En fait ma main cherche le pommeau de Durendal. Mais l’épée n’est pas accrochée dans mon dos. Elle n’était plus sur ma valise quand nous sommes descendus du train. Je sais qu’elle n’a pas été volée et parierais qu’elle se trouve dans ma chambre à Paris. Il y a une latence entre ses apparitions et disparitions. Je suppose que c’est lié à ma maîtrise sur elle. Cette latence tend à diminuer depuis le début où je l’ai eu en main la première fois. J’espère que je pourrais la brandir si le besoin s’en fait sentir. Il est trop tard pour reculer. Déjà ma fierté me retient de tourner les talons, puis je suis réellement curieux de comprendre ce que cette ambre, ce sang de dryade fait accrochée à la dague de mon ancêtre. Je n’ai aucune garantie que Roland ait eu un agissement pacifique envers le peuple de la forêt. C’était un chevalier, un guerrier et comme tous militaire de carrière, il a du sang sur les mains. Sa mort n’est-elle pas une réponse aux brutalités de son armée sur un village de Navarre ?

La land prend des allures sinistres avec le jour déclinant. Plus nous nous enfonçons dans la nature, plus celle-ci change d’aspect et devient primaire et indomptée. Là où nous avions laissé la voiture, elle était encore domestiquée par la main de l’homme. Maintenant, il est évident que le maître des lieux n’est plus le paysan du coin. Ce qui me dérange quand je m’en aperçois à un tournant de la sente que nous suivons, c’est le silence. L’absence de chant d’oiseau comme si la présence d’un prédateur les faisait taire. Je suis clairement un citadin, cependant mes activités de voleur me rendent particulièrement attentif à mon environnement et à tout changement de celui-ci. Tous mes sens me mettent en alerte haute. Je viens de quitter le monde des hommes, un monde que je connais et que je sais apprivoiser. Là, j’entre dans l’inconnu, suivant un homme qui peut me berner et me mener à ma perte. Est-ce son envoûtement qui me fait perdre toute objectivité ? Je le suis pourtant d’un bon rythme, attentif à l’endroit où je pose mes semelles.

Au bout d’une demi-heure, nous arrivons face à un obstacle escarpé. Du regard, je cherche un cheminement possible, mais je ne vois rien de bien stable ou assez conséquent pour que je puisse m’y agripper sans l’assurance d’une corde. Macsen annonce qu’il grimpe en premier. Je n’ai pas le temps de lui dire de faire attention qu’en un bond d’une aisance déconcertante, il franchit l’obstacle comme un enfant saute au-dessus d’une flaque d’eau.

- Je vois… murmuré-je.

Je suis doué en escalade. Cependant mon expérience est celle de façade d’immeuble. Là, il n’y a pas les prises régulières que je rencontre habituellement. Sans parler que je n’ai ni mon baudrier, ni mes chaussures adaptées à ce genre d’exercice. La roche est humide et présente peu d’aspérité. Seul le bras tendu de Macsen offre une prise sérieuse.

La nuit sera bientôt là. Je regarde l’endroit d’où nous venons. Rebrousser chemin me semble autant aléatoire que de faire confiance à la main tendue du faune. Je plante mon regard dans le sien. Il me semble y lire une nuance de malice. Ou est-ce le soleil couchant et mon imagination qui me jouent des tours ? Je me vante toujours d’être un homme qui se décide rapidement. Fini les atermoiements. Je réajuste les bretelles de mon sac pour être certain de ne pas être déséquilibrer, puis m’approche de l’obstacle.

Je me hisse grâce à une encoche et pousse de toutes mes forces, le bras en l’air pour attraper celui de Macsen. Le temps d’une fraction de seconde je suis en pleine extension, sans aucun appui. Ma paume se referme sur son avant-bras alors que la sienne fait de même sur le mien. Me voilà suspendu comme un jambon, aussi vulnérable que cette pièce de charcuterie. Je regarde en bas, une mauvaise chute est aisée, puis je relève les yeux vers celui qui m’en préserve ou pas suivant son bon vouloir. Il n’est plus l’heure de douter et je lui offre un sourire. Je me sens hisser par une force que je ne lui aurais pas prêtée.

Une fois à nouveau les deux pieds ancrés sur un sol ferme, je me masse l’épaule que l’action a un peu malmenée. Je me retourne pour voir les ombres s’agrandir sur la civilisation que je connais. Faisant face à nouveau à Macsen, je l’invite à poursuivre, l’idée de marcher dans l’obscurité me plaisant moyennement.

- Il semblerait bien que je sois à ta merci Mascen. J’espère ne pas regretter mon audace de t’avoir suivi jusque dans ton monde.

Un monde où le végétal supplanterait presque le monde animal. Nous marchons encore un long moment. Si Macsen ne semble pas avoir de souci pour progresser, il n’en est pas de même pour moi. Est-ce sa vue qui est meilleure, ou un autre sens qui lui font éviter les racines ? Car personnellement, je commence à trébucher de plus en plus dans cette pénombre de plus en plus prononcée. Quand la lumière ne consiste qu’en quelques nuages rougeoyant dans le ciel d’un violet sombre, je sais que seul, je serai incapable de retrouver mon chemin.

Mon pied heurte une racine que j’aurai juré ne pas être là la seconde d’avant. Est-ce la fatigue ou mon imagination sollicitée par le caractère étrange des lieux qui me font douter de l’accueil que l’on me réserve dans les fourrés ? Cette deuxième partie de notre marche est bien plus épuisante. Je commence à douter que Mascen ne me fasse marcher indéfiniment jusqu’à épuisement quand une forme sombre et non végétale apparaît dans le ciel nocturne. Je lève le nez pour regarder, erreur fatale, mon pied accroche un énième obstacle et me déséquilibre. Je dois la chance de ne pas m’étaler sur le sol à un réflexe de monte en l’air et surtout à l’épaule de Macsen sur laquelle je m’agrippe.

- Rassure-moi. C’est bien là que nous allons ? Dis-je en montrant ce qui peut prétendre être un château. Tes amies les racines vont bien finir par arriver à me tordre une cheville.

Mon ton est sur le registre de la plaisanterie. Toutefois, j’en ai vraiment assez de ce sol qui se défausse sous mes semelles, des racines traites, alors que Macsen


Macsen :

Il n'est plus temps de se comporter exactement comme un humain. Le français n'est peut-être pas encore parvenu à identifier l'espèce de Macsen, mais il est déjà acquis depuis plusieurs heures que sa nature n'a rien de très humain, même s'il tient à son quart de métissage. Pourtant, l'apparition nette du « surnaturel » quand il bondit semble faire hésiter son compagnon. Le lien de séduction a pu se rompre. Une allonge anormale, et l'illusion des jambes s’effaçaient pour laisser entrevoir des pattes arquées terminées par des sabots ou deux cornes inquiétantes au-dessus de son regard pénétrant. Josh aurait pu fuir en courant au-delà de toute raison, en regrettant d'un coup toute la folie qui l'avait conduit jusqu’ici. Mais saisir sa main était-il moins inconscient ? S'il n'était pas idiot, il comprendrait qu'il devait s'en tenir à son engagement de lui accorder sa confiance jusqu'au bout. Dans l'autre cas, Macsen serait bien obligé de le poursuivre. S'il se perdait au milieu de la nuit, les habitants de la forêt ne l'aideraient pas, et tous les faunes qui rôdaient dans les parages n'étaient pas aussi consciencieux que lui. Ils ne retiendraient pas leur sauvagerie primaire pour un humain. Une petite voix au fond de lui était tentée de dire « tant pis, je l'avais prévenu », mais une autre, plus forte, s'agaçait à l'idée d'avoir organisé un départ précipité de Londres, mis entre parenthèses des affaires importantes et supporté une longue journée de voyage en vain. Il s'efforça de se composer l'air le plus aimable possible pour le faire revenir et, heureusement, le jeune homme prit son élan afin d'attraper sa main. Les paroles qu'il prononça ensuite exprimaient cependant toute la crainte et le doute qui lui avaient traversé l'esprit. Macsen lui tourna son mystérieux sourire espiègle.

– Tu regretteras bien plus de revenir sur ton jugement maintenant, confirma-t-il très pragmatique. Mais dis-toi que si mes intentions avaient été mauvaises, je ne t'aurais pas accordé autant de temps, même pour le plaisir de te garder à ma merci.

Ses dernières paroles rompaient encore avec la dureté des premières, comme s'il lui était impossible de tenir une position sévère trop longtemps. Il était difficile de savoir si la faute revenait à une nature incapable de renoncer à la séduction ou si son caractère était lui-même inconstant. Rien ne semblait vraiment calculé et, cependant, il gardait clairement un objectif en tête. Objectif que n'approuvaient peut-être pas toutes les dryades. Josh pouvait trébucher sur quelques racines. Il ne possédait si sa connaissance des lieux, ni sa vision nocturne. Mais, à force de l'entendre buter sur des obstacles, même quand il finit par s'accrocher à son épaules pour les éviter, il devient évident que quelqu'un cherche à lui compliquer sa progression. La malice de la coupable l'amusa un peu au début, puis il trouva sa volonté de nuire très agaçante. S'il parvenait à saisir le bon moment pour lui tomber dessus, il se jura de le lui faire regretter. En attendant, son compagnon commençait à se poser des questions. Il accusa l'air de rien les racines et Macsen refréna une violente envie d'exprimer à haute voix tout ce qu'il pensait du comportement des « racines ». La patience payait toujours mieux, même si elle impliquait de contrarier encore un peu son nouvel ami.

– C'est cela, le château n'est plus très loin, tu n'as rien d'autre que des racines à affronter. Mais on dirait que tu as trouvé un adversaire plus coriace que je ne le pensais ! se moqua-t-il comme s'il participait à la farce.

Trois pas plus tard, Josh trébucha encore, mais l'espace-temps se dédoubla enfin juste après pour lui laisser entrevoir avec précision le prochain tour de la dryade. Les racines sortaient aux moments où le français ne pouvait plus les éviter, ce qui rendait difficile de les attraper sans le faire tomber. Mais Macsen n'était pas prévenant au point d'y voir un grave problème. A l'instant où il trébucha encore, il se jeta à terre, prit la liane coupable entre ses mains et tira brutalement dessus. On entendit un gémissement moitié douloureux moitié contrarié. La liane qu'il tenait prit soudain la forme d'une main et toute une forme humaine émergea d'un parterre de fleurs blanches. À demi métamorphosée, la nymphe ne faisait pas tellement rêver. Il était même plutôt difficile de déterminer son sexe à travers l'amas de racines brunes traversées de végétaux. Les fleurs se rassemblaient là où aurait pu se trouver la chevelure et, sans les deux prunelles ambrées qui scintillaient de contrariété dans la nuit, on aurait pu croire à l'illusion d'optique d'une vieille souche d'arbre dans la nuit. Le visage de Macsen se ferma un peu en identifiant la créature, sans montrer cependant la moindre émotion. Il s'exprima rapidement en gallois, en faisant une pause au milieu de son discours pour faire signe à Josh de ne pas s'inquiéter. La dryade reprenait une apparence plus humaine à mesure qu'elle l'écoutait. Sa féminité devenait visible même si elle n'avait visiblement pas envie de quitter sa peau d'écorce envahie de mauvaises herbes. Après d'autres mises au point tout aussi incompréhensibles qu'avant à l'oreille du français, Macsen retourna enfin à l'anglais.

– Je viens de lui expliquer pourquoi je t'ai amené ici. Si les dryades se mobilisent dès ce soir pour retrouver les origines de la pierre, elles nous feront gagner du temps au lieu de s'amuser à nous en faire perdre. Tu peux compter sur leur curiosité pour chercher. Montre-lui la dague. – En constatant son hésitation il ajouta : – Les êtres des forêts se fichent des objets. Mais s'ils s'en prennent à toi, c'est parce qu'ils ont senti comme moi que tu possédais quelque chose qui leur est lié. Ils ne te l'arracheront pas tant que tu leur permets de l'examiner un peu.

D'autres points lumineux apparurent plus loin dans la végétation, allant de l'orangé au vert profond. Ils étaient au moins une dizaine à attendre, et à envoyer une menace sourde. Macsen savait qu'ils ne s'approcheraient pas. Ils préféraient apparaître le jour, et la dryade démasquée était devenu une sorte d'éclaireur pour tous.


Josh :

Macsen me confirme que l’immense bâtiment dont je devine la haute silhouette dans la nuit est bien celui où nous nous rendons. Il plaisante sur mes démêlées avec les racines traîtresses. Je maugrée des envies de déboisement tout en levant exagérément les pieds pour ne pas m’empêtrer dans ces vicieuses invisibles.

Plusieurs mètres plus loin et une énième turpitude qui manque de me fouler la cheville, mon fascinant compagnon de route attrape la coupable. Mon visage doit ressembler à celui d’un merlan sorti de l’eau. Il m’est déjà arrivé de voir des étrangetés lors des missions que m’a confiées Marie Curie, seulement ici je fais face à une nature plus primaire et bien plus sauvage que ce à quoi j’ai été confronté. L’être végétal et de morphologie qui tend vers la féminité est en tout point fascinant. J’imagine que peu d’homme ont eu une telle opportunité. Je savais que je m’enfonçais dans un univers étrange en suivant Macsen. Seulement être témoin visuel de cette même étrangeté est une expérience indicible. L’homme a tendance à penser qu’il est la référence en matière d’organisme vivant. Pourtant la dryade que Macsen a attrapée prouve que la biologie peut prendre bien des visages et des apparences.

L’échange verbal qui a lieu m’est incompréhensible. La mélopée du langage usité rend l’interprétation difficile, même sur les intonations employées. Impossible donc de savoir s’il y a un rapport de force, ni vers qui va l’avantage. Macsen doit deviner mon désarroi, car il me fait un signe d’apaisement. Plus que jamais, je me sens vulnérable dans ce lieu dont je ne sais rien et pour lequel j’imagine le pire. L’ignorance image d’autant plus les vagabondages de l’imagination lorsqu’aucune limite n’est perceptible. Jusqu’à présent, je prenais pour acquis un retour sain et sauf à la civilisation. Maintenant, je pose l’hypothèse que ceci n’est pas obligatoirement établi. Ma vie dépend du jeune dandy. Ai-je présumé de mes capacités ? L’incident de croche pattes clôt, Macsen m’explique de quoi il retourne.

Il affirme que les dryades peuvent nous aider, à la condition que je leur montre la dague. Je suis un peu frileux d’exposer à une éventuelle rapine, l’objet de toutes les attentions. Sans parler que je suis un poil rancunier pour les difficultés que l’on m’a faites lors de mon cheminement jusqu’ici. Dans les mots employés par le gallois, je soupçonne une nature un peu joueuse et facétieuse du peuple de la forêt. La notion de farfadet prendrait tout son sens. J’hésite et doute. Macsen me rassure qu’en faisant acte de bonne volonté, un certain fairplay me serait retourné. Ai-je seulement le choix ?

D’un geste lent, je plonge la main à l’intérieur de ma veste dans une poche dérobée près de mon cœur. Mes doigts se referment sur le manche en noyer. Je ressors la dague tout aussi délicatement, comme si elle était un puissant talisman qu’il ne faut pas brusquer.

La nuit ne s’est point éclaircie, pourtant je sens de nouvelles présences, certaines trahies par la luminescence de leur regard. La breloque ajoutée à l’arme de mon ancêtre roule sur mon poignet pour pendre, oscillant tel un pendule. J’ai l’impression que la forêt retient sa respiration. Solennellement je lève la main et expose la dague aux yeux de qui veut voir.

- Cette dague est un héritage familial. Cependant, il semble qu’un autre héritage y ait été greffé. Je suis ici pour comprendre ce que représente cet objet vieux de plus de mille ans.

J’entends des bruissements de feuilles et des feulements furtifs. Cela se déplace et se décale pour mieux voir, ou pour mieux me voler ?

- J’ose espérer que les éventuels griefs d’il y a un millénaire ne seront pas imputés à la nouvelle génération…

Comme l’a une fois suggéré Macsen, l’ambre contenue dans la breloque peut aussi être un trophée de chasse de mon aïeul. Si c’est le cas, je suis disposé à me défaire la breloque, mais certainement pas du poignard.

/•/•/•/

Combien de minutes s’écoulent ainsi ? Je ne saurai le dire. Il me semble entendre des rires parmi les conversations feutrées qui sourdent çà et là, toutes aussi incompréhensibles à mon oreille les unes des autres. Je doute même que l’on parle de moi et non de la dague. Si j’aime parfois être le centre d’intérêt, c’est lorsque je peux maîtriser l’affaire. Et ici, je suis soumis à leur bon vouloir.

J’ai baissé ma main, mais je tiens toujours fermement le poignard qui suscite visiblement des interrogations. Une caresse furtive sur mon épaule me fait tourner la tête. Je n’ai que le temps d’apercevoir une ombre qui s’esquive. Je sens les rangs se resserrer autour de nous. Par réflexe, je me rapproche de Macsen. C’est lui le garant de ma sécurité, ou de ma perte.

- Je ne comprends rien à ce qu’il se dit. Peux-tu me traduire afin que je sache ce qui m’attend ?


Macsen :

L'homme s'est désolidarisé de la Nature bien avant l'apparition de l'ère industrielle. Une rencontre entre un humain et une dryade au cours du dernier millénaire est toujours une chose étonnante, voire déplaisante dans l'esprit du peuple des forêts. Macsen est très conscient que son intérêt de connaître l'histoire de la pierre ne sera pas partagé par ses semblables, mais il peut au moins les séduire en affirmant que la famille du jeune homme pourrait avoir été mise sous leur protection, et inversement. En ces temps difficiles, aucune alliance n'est à rejeter. Un esprit trop conservateur, trop borné ne leur permettra certainement pas de survivre, et beaucoup ont mis leur confiance entre les mains d'un jeune faune capable de se fondre parmi les hommes pour tous les sauver. Ils veulent croire en son assurance tranquille, même dans les situations où rien ne l'annonce vainqueur. Au pire, il se rattrapera. On peut bien trébucher quand on ne tombe pas, bifurquer en cours de route, opter pour un objectif secondaire sans renoncer au but principal. Les intentions de Macsen ne sont pas toujours très claires, mais l'important est de savoir qu'il agit, et, même quand ses actes semblent confus, il attache trop de valeur à ses engagements pour se montrer décevant. Alors, les faunes et dryades lui accordent le bénéfice du doute, conscients que les enjeux leur échapperont de toute manière. Leur curiosité l'emporte. Ils observent, échangent entre eux.
– Je n'aime pas ça Macsen, lance l'être végétal resté à leurs côté après avoir frôlé l'ambre du bout de ses doigts brunâtre. Si ce sang a été pris de force, cet homme n'a rien à faire dans cette forêt. Et tu es bien conscient qu'il sera difficile de l'en faire repartir ?
Le gallois hoche sobrement la tête. Josh l'a volontairement suivi pour découvrir l''histoire de la dague. Il lui a promis de ne pas lui faire de mal, de respecter leur accord. Le reste n'est absolument pas de son ressort. Et, il faudrait même ajouter que si le jeune homme ne peut leur être utile d'une quelconque manière, il n'est pas souhaitable qu'il soit tenu dans une confidence aussi dangereuse pour son peuple ou pour lui-même. Mais que voulez-vous ? La perspective de l'aventure était trop tentante sur le moment. Et puis, l'ambre l'a appelé. N'était-ce pas la preuve qu'il avait quelque chose à découvrir absolument à son sujet ? Il avait bien envie de se fier au destin qui semblait se présenter, en estimant que, dans le pire des cas, les choses ne tourneraient pas mal pour lui. Comme Josh s'inquiète de ce qu'ils racontent, il répond avec son calme habituel.

– Ils sont intrigués.

À croire qu'il est presque absurde que son compagnon de route s'interroge. Que tous ces bavardages peuvent se résumer en un seul adjectif sans entraîner une analyse plus approfondie.

– Viens, ils nous laisseront passer maintenant.

Il insiste pour s'éloigner un peu. Bien sûr, Macsen est conscient qu'il ne s'en tirera pas avec aussi peu d'explications, mais il y a un temps pour tout, et parler en étant le centre d'attention des autres créatures est une perspective assez désagréable, qui ne permettrait pas d'instaurer l'ambiance plus confidentielle désirée. Une fois un peu plus éloignés et à la lisière de la demeure, le jeune faune s'ouvre un peu plus.

– En vérité, le peuple des forêts ne comprend pas grand-chose à toutes ses histoires d'héritage familial. Mon père a essayé de leur inculquer cette notion, mais elle n'a aucun intérêt pour eux, à cause de leur mode de vie même. Ils n'aiment simplement pas l'idée que l'on puisse percer le secret de leur existence et leur nuire. Mais si tu es du côté des protecteurs de l'ancien monde et de la magie, tu auras une chance de les séduire.

Il lui décoche un petit sourire. Le vieux château ne possède pas le moindre portail. Sans les lumières à l'intérieur, on pourrait même l'estimé à l'abandon et sur le point de tomber en ruine. Il est même assez évident à l’œil que certaines ailes ne tiennent que par miracle grâce aux végétaux, comme si le lierre avait consolidé la structure plutôt que la détruire. La cour est faite de terre battue, devenue aride à force de se faire picorer par les volailles.

– Autrefois, ma famille était composée d'humains qui se sont proposé de veiller sur cette forêt et son peuple. Les sangs de la lignée s'est mélangé au leur à cause de notre grand-père mais, tu vois, toute alliance passée ou future n'est pas à écarter. Tu vas en tout cas pouvoir te reposer.

Il s'arrête à quelques pas de la porte d'entrée pour mesurer l'humeur de son compagnon. La forme d'un jeune homme roux cornu aux longs cheveux roux emmêlés apparaît à la fenêtre d'une tour. Macsen lui envoie un signe. Il reste fixé un instant puis décide visiblement de descendre à leur rencontre.

– Mon frère, précise-t-il.


Josh :

-Ils sont intrigués, me répond Macsen.

Sans blague ? Mon guide affiche une franche sérénité que j’ai pourtant du mal à partager. J’ai encore en mémoire sa manipulation de mes sensations sur le toit du musée. Depuis je me méfie de ce que je ressens. Est-ce de mon fait ou bien artificiel ? L’idée a de quoi rendre fou. Ne pas pouvoir se faire confiance. Mais ici, je suis seul et si je ne peux pas compter sur moi-même, alors sur qui m’appuyer ? Mon hôte m’invite à avancer, disant que les autres nous laisseront passer… pour mieux m’isoler ? N’ai-je pas été imprudent à accepter cette invitation ? Mais il est trop tard pour les regrets. Je dois boire le vin tiré. Je me suis laissé emporter par l’exaltante musique de l’aventure. Mais cette composition n’est-elle pas celle de sirènes bien pernicieuses. Méfiant, je regarde Macsen. Ma raison a beau m’inciter à la prudence, il y a chez le jeune faune un je ne sais quoi qui fait de lui un compagnon de route intéressant, sinon attractif.

Nous nous éloignons de la forêt, nous rapprochant de la grande bâtisse. Je suis partagé entre méfiance et émerveillement. Malgré tout, j’aime ce que je suis en train de vivre. Découvrir l’existence de ce peuple caché. La grande Bretagne a su garder ses mystères, là où la France a déjà tout rationalisé avec l’avènement de la révolution industrielle. Je doute qu’il existe encore sur le sol de mon pays natal, cette vie au-delà des contes de fée.

Macsen semble disposer à m’en dire plus. Je me retourne, constatent que nous sommes à nouveau seuls, du moins en apparence. Son explication succincte précédente était donc liée au nombre de spectateurs. Il m’explique l’état d’esprit de ces êtres plus proches de la flore que de la faune. J’hoche la tête à mesure de ses mots, comprenant ce point de vue forcément différent du mien. Je tique sur une de ses remarques quant à ma chance de séduire ces gens. Que se passera-t-il si j’échoue ?

Mais cette pensée est reléguée au fond de mon esprit car l’immense château qui jusque-là se détachait comme une silhouette imposante, laisse apparaître un bâtiment relativement en ruine. Les murs sont cernés par la végétation qui entoure l’antique demeure comme d’un manteau protecteur. Je devine que je dois laisser de côté mes références habituelles. Ici le végétal n’est point une menace comme dans mon monde. J’apprends que des humains ont vécu ici, les ancêtres de Macsen. Mon addiction pour l’histoire prend définitivement le dessus sur la prudence.

- Je suis fidèle à ma lignée et au code d'honneur des chevaliers, réponds-je.

Depuis la cours en terre battue, j’observe la façade de ce château qui n’aurait pas dépareillé dans l’un des contes des frères Grimm. Mon regard est attiré par un mouvement à une fenêtre. Une silhouette tout droit sortie d’un livre de contes fantastiques nous observe. Macsen précise que c’est son frère. Je tais mon interrogation quant à savoir pourquoi l’un parait plus humain que l’autre. Je commence à cerner mon compagnon de route qui ne distille ses informations que lorsqu’il en a décidé. J'en prends mon parti, brusquer les gens n'a jamais été constructif. Il me précède, et nous entrons dans le château.

Je pose mon sac de voyage à mes pieds. Le voyage et surtout la longue marche qui a suivie m’ont harassé. Je suis fatigué, j’ai faim et un peu froid. Besoins physiologiques que Macsen ne semble pas éprouver, du moins pas avec la même intensité. La silhouette de la fenêtre apparaît en haut d’un immense escalier. Il y a autant de curiosité dans le regard du frère de Macsen qu’il doit y en avoir dans le mien. Je me rappelle de mon statut d’invité. J’adopte un comportement affable, comme s’il était tout à fait naturel que je me trouve en ce lieu.

- Bonsoir, dis-je d’une voix calme. Je m’appelle Josh de Roncevaux.

J’opte pour l’option de me présenter sans attendre l’intervention de Macsen. Une façon pour moi de dire que je me sens encore libre d’agir comme bon me semble. Je n’ai aucune idée du protocole en vigueur ici. Mais un peu de politesse n’a jamais fait de mal et le frère de Macsen ne semble pas être l’autorité qui règne ici. À moins que je me trompe bien entendu.


Macsen :

Pryderi semble le reflet inversé de son frère, et les cornes apparentes n'en sont pas la seule raison. Si celles de Macsen devenaient visibles, il aurait l'air trop parfait, sournois et bien soigné d'un démon à la recherche d'une nouvelle âme à damner. Le regard froid, mais teinté de malice, les sourires provocants toujours intrigants, l'aîné est une flamme irrésistible contre laquelle on ne pourrait se jeter sans se brûler. Mais Pryderi est aérien. Il descend les escaliers comme le prince faune d'une vieille légende, seul et triste dans l'attente de sa belle. Ses prunelles pleines de douceur ont la vacuité d'un regard qui ne fixe jamais vraiment le réel. Il se dégage de tout son être une sorte de langueur nerveuse, quand Macsen se montre d'un genre tonique tranquille. Le sourire du jeune faune se crispe devant Josh. Il peine à cacher son malaise face à un intrus humain. Au lieu de tendre la main pour finaliser les présentations, il entortille un doigt autour d'une mèche de cheveux, comme s'il ne comprenait pas vraiment la langue dans laquelle on s'adressait à lui. Ce n'était pas vrai. Pryderi était un faune très instruit, certainement bien plus que ne l'était Macsen. Cependant, sa réserve et le mode de vie monacal qu'il s'imposait ne lui permirent pas de le montrer. Il se contenta de murmurer « Pryderi » avant de lancer à son frère un regard hésitant. Avec un regard appuyé, Macsen s'exprima en anglais afin de ne pas laisser d’ambiguïté sur ses intentions.

– Josh sera notre hôte pour ce soir. Nous avons découvert quelque chose d'étrange à Londres, une pierre d'ambre de dryade liée aux Carolingiens et vraisemblablement à sa famille…

Pryderi examine pierre un court instant en fronçant les sourcils, avant de demander : « Je peux ? » à Josh pour la prendre dans ses mains avec le poignard et les retourner comme s'il pouvait déjà en percer les mystères.

– ça me rappelle une histoire…, murmure-t-il. Tu as demandé aux dryades ?
– Oui, mais elles sont tout autant intriguées.
– On doit pouvoir trouver de la documentation à ce sujet, je reviens !


En trois bonds, il disparut en haut de l'escalier sans avoir rendu l'arme à son propriétaire. Macsen dissuada aussitôt Josh de le suivre.

– Mon frère n'est pas un voleur. Il est juste très distrait. Il rendra tout quand il aura terminé son étude. Je pense que nous pouvons lui faire confiance, les relations entre les humains et le peuple des forêts est un sujet qui le passionne. Son plus grand désir est de pouvoir vivre comme le descendant d'une noble famille humaine. Il pense réussir là où notre père a échoué.

Il lève un instant les yeux au ciel, signifiant le mépris affligé que ce projet lui inspirait. Macsen n'avait rien contre les traditions humaines, elles n'étaient juste pas compatibles avec leur espèce. L'obsession de Pryderi le menait doucement à la folie. Il était toujours gêné, au fond, de rentrer chez lui pour assister à la lente dégradation physique et morale de son cadet qui refusait obstinément de réviser ses idéaux pour sa propre survie, et peut-être celle d'humains qui risqueraient de se trouver un jour face à une créature sauvage déchaînée par la frustration.
Il guida ensuite son compagnon vers le grand salon, qui ressemblait étrangement à un décor de musée médiéval envahi par un jardin d'hiver. Aucune pièce du mobilier ne semblait avoir moins de 500 ans. Les fauteuils étaient tout élimés, délavés à de nouveaux endroits sans que cela ne semblât poser problème à personne, à l'exception peut-être de Macsen qui se sentit obligé de préciser :

– Nous ne recevons pas souvent du monde.

Un feu brûlait déjà dans la cheminée. Il lui demanda de l'excuser un instant pour qu'il prévienne son père de son arrivée, et revint une dizaine de minutes plus tard avec deux bocks de bière fraîche.

– Je pense qu'une boisson ne fera pas de mal après cette longue journée. Nous allons attendre que Pryderi revienne nous dire s'il a trouvé quelque chose.

Il s'installa plus confortablement, comme si tout était déjà rentré dans l'ordre et prit une gorgée sans inviter Josh à trinquer, dans ce qui semblait une désinvolture très naturelle et involontaire. Son hôte avait sans doute des questions pour toute la nuit, mais il ne devança rien et ne semblait d'ailleurs pas vraiment s'en préoccuper dans l'immédiat. Même s'il n'était pas très doué pour la conversation, Macsen espérait cependant ne pas passer la prochaine demie heure à se tourner les pouces.


Josh :

Pryderi a une allure fascinante. Autant Macsen peut aisément se fondre dans le monde des hommes, autant son frère est bien trop marqué par les attributs de son espèce. Il se dégage de lui une aura diaphane, il glisse sur les marches plus qu’il ne les descend. Présence intemporelle son regard est vaporeux, il me regarde sans vraiment me fixer. Je détonne dans son environnement. À sa réaction, je prends conscience que peu d’humain passent par ici. C’est moi qui suis le phénomène de foire ici et non les êtres que je vois. Un frisson de malaise se glisse sur mon échine. Est-il bon que nos deux espèces se croisent ? Ma curiosité est à son maximum, toutefois un signal d’alarme retentit dans l’un des méandres de mon cerveau.

- Pryderi, me répond mon interlocuteur, ignorant ma main tendue.

J’ai oublié la réticence des anglais à cette coutume française. Réticence qui semble plus présente chez ce peuple. Comprend-il seulement l’anglais que je viens d’utiliser ? Mascen me rassure sur ce point, en parlant dans cette langue, expliquant la raison de ma présence. Pryderi regarde la dague que je tiens toujours à la main depuis que nous avons rencontré ceux du dehors. Décidément cet ambre semble les rendre perplexe. Il me demande s’il peut s’en saisir. J’hésite, mais pour une coopération amicale, je me dois lâcher du lest. J’ouvre ma main, libérant l’objet de ma quête. Il observe attentivement la lame, évoque une ressemblance avec une histoire qu’il doit pouvoir trouver dans une documentation à sa portée. À peine a-t-il fini de parler, qu’en quelques bonds il a disparu à l’étage. Je fais mine de le suivre, mais Macsen me retient, arguant que son frère n’a pas la réputation d’un voleur et qu’il me rentra l’objet après ses recherches. La situation m’échappe, tout comme son exaspération au souhait de son cadet de vouloir vivre en humain. Je comprends le souhait de Pryderi, car il ne serait plus cantonné à sa forêt. Puis il faut être aveugle pour ne pas s’apercevoir que tôt ou tard, ce genre de sanctuaire sera colonisé par l’homme. L’ère moderne avançant inexorablement.

Résigné je suis mon hôte jusqu’à un grand salon. Je suis littéralement subjugué par le décor. C’est comme si j’entrais dans un château qui se serait endormi pendant des siècles. La patine du temps est là, mais les meubles sont d’authentiques antiquités. Mascen s’excuse du côté suranné des lieux, disant qu’ils ne reçoivent pas grand monde. J’agite la main dans un signe qui signifie que cela n’a aucune importance et même au contraire. Ma passion pour l’histoire et les vieux objets trouve matière à se satisfaire. Je reconnais un style de menuiserie et des tapisseries que les mites semblent avoir épargnées m’indiquent une époque.

Mon hôte s’absente pour prévenir son père. Je reste seul mais pas inactif. Avec respect je laisse mes doigts courir sur les vieux tissus, ce lieu est un musée vivant. Je suis fasciné.

– Je pense qu'une boisson ne fera pas de mal après cette longue journée. Nous allons attendre que Pryderi revienne nous dire s'il a trouvé quelque chose.
– En effet…


Je reste surpris par la désinvolture de Macsen. Il semble que son peuple n’a pas les mêmes codes de bienséance auquel je suis habitué. Je ne suis pas si loin du monde auquel je suis familier, mais j’ai l’impression d’être dans l’un de mes voyage à l’autre bout du monde pour mes affaires. Autres mœurs, autre historiques, je ne me formalise pas plus et pose mon séant dans l’un des fauteuils. J’ai un bon millier de questions en tête, seulement je sens que je vais dans le mur si je montre trop de curiosité. Macsen a un côté détaché qui ne me semble non feint. Son côté plante verte ? Mes lèvres s’étirent en un mince sourire, je viens de lui trouver un surnom. « Le ficus ambulant ». Je bois une gorgée de bière. Elle a l’amertume des Stouts, ces bières typiques de ce coin de Grande Bretagne. Sa fraîcheur est agréable après notre petit périple. Finalement, l’idée de passer une nuit dans ce château me ravi.

- Pour le féru d’histoire que je suis, j’aime beaucoup cet endroit inchangé depuis des siècles.

Deux points attisent ma curiosité, le passé lointain et l’avenir proche de ce lieu.

- De quand date cet édifice ?

Question neutre et basique où la réponse est simple à donner. Je pèse mes mots pour la seconde, car elle est plus délicate.

- Avec l’accélération de l’expansion humaine grâce à la révolution industrielle, comment comptez-vous survivre à l’envahissement de votre territoire ?

Pas de conditionnel dans ma question, mais l’annonce d’un fait qui aura lieu dans les prochaines décennies. A mes yeux, il est évident que ce havre de paix n’échappera pas à la colonisation humaine.


Macsen :

Son invité se sent visiblement à l'aise dans l'étrange demeure des Caerwyn. Face aux humains, on était jamais sûrs de rien. Certains adoraient tout ce qui sortait de l'ordinaire, les lieux anciens et chargés d'histoire, d'autres restaient constamment aux aguets, à la recherche de problèmes qui risquaient d'échapper à leur contrôle. Les seconds étaient plutôt ennuyeux. Ils avaient gardés des réflexes de prédateurs, obéissaient à la loi du traquer ou être traqué. Un instant d'inattention, et ils vous sautaient à la gorge, même quand vous les pensiez bien dociles. Josh oscillait entre les deux. Mais, le ressentit général de Macsen allait vers un caractère qui ne voyait pas dans l'étranger un absolu danger. Sans doute que l'aspect chaleureux du château permettait d'instaurer un climat familial où toutes les barrières semblaient pouvoir tomber. La présence lénifiante des faunes et dryades y contribuait également. Ils n'étaient pas juste attirants. Au naturel, ils inspiraient toutes les promesses de repos d'une clairière automnale qui vous invitait sous un soleil encore chaud à vous coucher sur ses feuilles d'érables orangés en imaginant que l'hiver n'arriverait jamais. Macsen, malgré son manque flagrant d'empathie, ne dissimulait pas la moindre intention double. Il avait désormais la conviction qu'aucun mal ne serait fait à Josh et, même s'il restait une lourde part d'imprévu quant aux révélations, il n'avait en ce qui le concernait aucune envie de nuire au jeune homme. Ce dernier brisa d'ailleurs le silence pour essayer de faire la conversation. Il voulait connaître la date de l'édifice.

– On peut encore lire la date au-dessus de la porte, 1172. Tu n'auras pas l'occasion souvent d'entrer dans des bâtiments de cette époque qui tiennent encore debout ! Après, comme pour toutes les constructions anciennes, c'est assez relatif. La famille Caerwyn était installée ici bien avant, mais la première habitation a été détruite quand ils ont eu les moyens de planter une belle forteresse dans le décor, j'imagine. Certaines ailes ont été ajoutées depuis, d'autres réellement détruites par le temps. Nous ne sommes plus aussi nombreux qu'avant.

D'ordinaire avare en explications, Macsen s'efforçait de développer ses propos pour étirer le temps au maximum. Puisque Josh semblai intéressé, ce ne serait pas en vain, ce qui l'encourageait un peu. Il ne poussa cependant pas le vice jusqu'à lui retracer de lui-même tout l'historique de la famille, le début de leur déclin, les raisons du délabrement d'un domaine autrefois plein de majesté. De toute manière, un point plus actuel préoccupait le jeune homme. Comment leur peuple espérait-il continuer à vivre ainsi ? Il fallait s'y attendre. À moins d'être incroyablement naïf, on ne pouvait croire ce havre de paix éternel. Malheureusement, Macsen ne pouvait pas dévoiler ses projets à Londres. Outre le danger que cela pouvait représenter pour ses plans, il ne tenait pas à ce qu'une personne qui le connaissait à peine cherche à avoir un avis sur sa manière de procéder, critique ses idées avec scepticisme et autres choses agaçantes qu'adorent faire les personnes qui ne vivent pas votre situation, en plus de ne pas l'avoir évalué dans le détail. La réponse défaitiste était donc la meilleure. Il devançait le cynisme de l'autre.

– Penses-tu réellement que nous avons une chance de survivre ? lança-t-il avec un sourire désabusé. La magie s'essouffle, la nature intéresse de moins en moins les humains. Nous sommes déjà des reliques de l'ancien monde, même ces murs l'ont compris. Crois-tu que nos amis dehors se seraient montrés si agressifs s'ils ne voyaient pas leur fin arriver ? On ne peut rien faire de plus que préserver ce qu'il nous reste tant qu'on le pourra. Mais, au fond, n'est-ce pas ce que font chaque espèce depuis la nuit des temps ?

Il n'y avait pas de tristesse dans son regard, mais on le sentait assez désabusé malgré tout. Même si ses plans réussissaient, il savait qu'il ne ferait jamais que repousser l'inévitable. Peut-être de dix ans, peut-être de mille ans, et alors ? Au final, tout finissait pas être remplacé, qu'on le veuille ou non. Cependant, si cela pouvait arriver à un moment où il n'était plus en vie, il pourrait au moins s'estimer non concerné. Son père et Pryderi n'avaient pas cette considération pragmatique des choses, ils visaient l'éternité. En cela, ils étaient paradoxalement moins efficaces que lui, mais plus dangereux. Le faune prit une gorgée de bière en laissant Josh méditer sur ses propos. Cette réflexion donna heureusement une amorce idéale pour une conversation filée, mais, au bout d'une heure, Macsen montra des signes d'impatience. Personne ne revenait vers eux, ce n'était pas normal. Il s'excusa auprès de Josh afin d'aller voir ce qui se passait. Il constata que son frère avait quitté sa chambre. En passant d'une pièce à l'autre, il le trouva, la mine soucieuse avec ses deux parents. Les choses n'allaient donc pas de conclure aussi facilement…
Quand il revint dix minutes plus tard, un sourire parfaitement lisse était pourtant plaqué sur son visage.

– Les recherches semblent passionnantes, mais elles prennent un peu plus de temps que prévu, à cause de toutes les lectures que cela demande. Mais il semblerait que ta famille soit, comme la nôtre, liée a peuple des forêts par une sorte de contrat. Mes parents proposent que tu dînes avec nous et restes ici pour la nuit.

Le mot d'ordre avait été donné de continuer à mettre le jeune homme à son aise avait de décider de son sort. Il n'était pas nécessaire de lui dissimuler l'état de leurs recherches non plus. Merwyn Caerwyn, le père de Macsen, se montra d'ailleurs particulièrement enthousiaste et intéressé par leurs trouvailles et la famille de Josh. Ce dernier était encore d'un autre genre que ses fils. Ni abrupt ni sauvage et évasif, il montrait au contraire une capacité à être aimable et absolument fasciné par son interlocuteur en toutes circonstances. S'il jouait la comédie, le masque était parfait, sans aucune faille visible.


Josh :

1172 ! Je siffle d’admiration sur la pérennité du lieu et me désole sincèrement de l’envahissement humain qui ne saurait tarder et finir de le dénaturer. Le temps s’est accéléré. Il y a eu presque autant d’inventions majeures les cent dernières années, qu’il n’y en a eu en trois mille ans. Mes nombreuses lectures et recherches, me laissent penser qu’il est vain d’espérer un ralentissement et encore moins un retour en arrière, à moins d’une guerre totale plus meurtrière que la Grande Guerre de 14-18. Pourtant, je ne crois pas que les hommes auront à nouveau cette folie de la guerre mondiale. Je reste confiant sur l’évolution de mon espèce et crois à son adaptabilité. De récentes recherches prouveraient que nous sommes qu’un battement de cil dans l’existence de la terre. Mais un battement fort et puissant. L’intelligence humaine nous a placés au-dessus de prédateurs bien plus fort. Je regarde Macsen, qui à mes yeux, prend la valeur d’un spécimen en voie de disparition. Dernières reliques d’un passé qui se meurt. L’apparence de Pryderi m’avait surpris. Ils sont frères, Macsen doit donc arborer les mêmes attributs. Je ne sais pas comment il tient son apparence humaine, ni pourquoi il la conserve alors qu’il est sur ses terres. Est-ce pour conserver de ma part, une bienveillance qui pourrait être refroidie par des cornes et des jambes non ordinaires ?

Je l’écoute m’expliquer la genèse de la demeure. Je reste attentif, car je suis réellement intéressé par ce lieu hors du temps. J’aime les vieux contes, surtout ceux qui ont la bonne idée d’être véridiques. Je suis un homme à double facette. Curieux de l’avenir et des avancées technologiques, je n’en boude pas moins les richesses du passé. Je n’exclue rien, toute leçon est bonne à prendre.

– Penses-tu réellement que nous avons une chance de survivre ?

Le reste de sa diatribe dégouline de pessimisme et d’acceptation. Le karma de toute espèce qui naît sur terre, pour finir par disparaître un jour. À son tour, l’humanité arrivera à son apogée, que je ne crois pas encore atteinte, pour finir par basculer dans le déclin. Cela me paraît si loin de moi, de mon temps et pourtant… Après coup, ma question me paraît arrogante et dénuée d’empathie pour ce peuple qui vit ses derniers instants. Comment réagirai-je si demain sonnait la fin du règne de l’homme. J’en serais fortement amer, je pense.

Macsen ne se plaint pas. Il se contente d’être factuel. Le faune n’est pas un être très expressif. Il s’accommode de son temps. Quel contraste avec moi qui m’exalte si facilement. Cache-t-il ses émotions ? Ou est-il d’un naturel placide ? Cet homme m’intrigue, tout comme sa nature et ses réactions. Et comme à chaque fois que je tombe sur un sujet intéressant, je veux le décortiquer jusqu’à tout savoir. Nous dissertons un moment sur le cycle de la vie, puis la conversation se meure à mon grand regret. Je ne sais pas comment relancer. Le silence se fait palpable, tout comme l’absence des autres et de Pryderi censé me rendre le poignard. Mon regard scrute les portes et les fenêtres. Mais dehors, la nuit garde secret ce qu’il peut se passer juste devant le château. Je commence à m’inquiéter de retrouver mon bien et songe à proposer à Macsen de désolidariser la breloque qui a été ajoutée à la dague afin que sa famille conserve ce sang de dryade qui leur semble si sacré. Je m’apprête à cette concession quand il se lève, disant aller aux nouvelles.

Désemparé, je ne sais que penser. Macsen qui montre des signes d’impatience, alors que depuis notre rencontre il est resté d’un flegme olympien. Pryderi qui tarde à redescendre. Je me lève de mon fauteuil et commence à faire les cent pas. Je suis coincé ici, au moins jusqu’à l’aube. La forêt qui cerne la demeure est dense. Le retour de Macsen me rassure. Rien dans son attitude ne laisse penser à un problème éventuel. Il parle d’un contrat qui aurait lié nos familles dans le passé. Connaissant ma lignée, je ne suis guère étonné. Les Roncevaux se sont toujours lancés dans de grandes affaires. Que mes ancêtres connaissent l’existence du peuple de la forêt, est presque ainsi dire normal à mon sens.

Un regain de curiosité m’éveille à nouveau. Quelle était la nature de ce contrat dont j’ignorais l’existence ? J’imagine une noble quête, ou un accord sur une terre. L’idée d’en savoir plus sur l’histoire de ma famille m’enthousiasme. La fin de sa phrase m’étonne. N’était-il pas déjà prévu que je passe la nuitée ici ? Dehors, il fait plus sombre que dans un puits sans fond et le chemin du retour guère aisé. Mais l’idée de converser sur le passé de nos familles respectives élude cette incohérence qui n’est sans doute que la répétition de l’invitation initiale de Macsen.

(…)

Le dîner s’est passé agréablement. Merwyn Caerwyn, le père de Macsen, est un homme en tout point charmant. Du contrat, Pryderi n’a pour l’instant qu’un lieu, presque mythique, celui de la forêt de Brocéliande. Je connais les légendes qui entourent ce coin de Bretagne. La conversation a dérivé sur les contes et légendes. La famille de Macsen est assez ouverte à me dire ce qui n’est que légende, de la vérité. Tout le monde se montre charmant, je suis heureux d’avoir accepté l’offre de Macsen et de l’avoir suivi ici. Merwyn promet que les recherches quant à la signification de cet ambre accolée à la dague se poursuivront dans la nuit afin que je puisse repartir le lendemain. Alors que Macsen me conduit à ce qui sera ma chambre d’un soir, je me tourne vers lui et prends un air solennel.

- J’ai hâte de savoir quel lien unissait nos famille il y a de cela plus de mille ans. Quelle coïncidence de se rencontrer ! Si nos familles se sont entendues, il n’y a pas de raison que cela ne continue pas. L’ambre attachée à la dague vous semble précieuse. Je vous la cède avec joie, pour commémorer l’échange qu’il y a eu dans le passé.


Macsen :

Ça avait été insupportable. Berner les humains était l'une de ses spécialités depuis qu'il avait quitté la forêt. Il les égarait, il leur mentait, avec la certitude d'agir dans l'intérêt des siens. Mais, cette fois, Macsen ressentait un véritable problème moral à laisser Josh croire que sa famille lui voulait du bien, à observer son père raconter avec un enthousiasme réel de vieilles légendes comme si le jeune homme était parfaitement intégré parmi eux. Comment pouvait-il rester si indifférent à la situation ? Lord Caerwyn lui avait clairement dit qu'il n'était pas raisonnable de laisser repartir un humain qui s'était aventuré si loin sur leurs terres. Si un contrat avait été passé entre leurs clans des siècles plus tôt, il n'était plus d'actualité, et leur peuple risquait de ne pas comprendre que l'on cherchât à le protéger. Prydery, ce lâche doublé d'un traître, avait approuvé en ajoutant que la famille de Josh avait contribué à leur destruction en soutenant une religion mortifère, il n'était donc pas absurde de le faire payer. Non mais regardez-le, à table, avec ses airs de mélancolique romantique que l'on se sentait forcé de prendre en pitié ! Il ne parlait pas, il observait avec une absence totale de conscience la personne dont il avait voté l'absurde condamnation, obligeant son aîné à forcer les sourires tandis qu'il se retirait passivement de la partie. Un sentiment étrange parcourait les pensées de Macsen, quelque chose qui devait s'apparenter à de la frustration, de la colère. Il n'avait jamais autant méprisé son frère qu'à cet instant. Et son père… Son père toujours bien intentionné même dans le pire. Son père qui les avait incités à rester aimable pour offrir les plus agréables derniers instants possibles à leur hôte, un parfait repas de condamné. Il aurait été indélicat de l'inquiéter après tout. Il n'avait plus aucune admiration pour sa capacité à rendre chaque mensonge plus bienveillant que la vérité. Quand il le regardait, il n'avait plus rien d'autre en tête que le regard injustement déçu qu'il lui avait jeté un peu plus tôt, en sachant pertinemment qu'il ferait céder ses dernières résistances. « Vois cela comme une leçon, un moindre mal pour ton étonnante bêtise », disaient son regard, et chacune de ses paroles depuis. Dans sa grande mansuétude, car Merwyn Caerwyn était un grand prince, il avait concéder à ne pas tuer Josh mais l'endormir pour une durée indéterminée, qui, avait-il cruellement précisé, je changerais pas grandement le résultat.

Alors oui, Macsen n'était pas le plus fiable des faunes, mais il avait toujours été clair avec lui-même dans la nature des relations qu'il entamait. Il choisissait les personnes qui seraient ses dupes, souvent parce qu'il n'aimait pas ce qu'elles représentaient pour lui. Mais, il n'avait jamais été question de ce genre d'entourloupe avec Josh. Il avait éprouvé une estime sincère pour le jeune homme. Il avait apprécié les dernières heures en sa compagnie et, surtout, il lui avait donné sa confiance. Ce qu'on lui demandait de faire entrait en contradiction totale avec sa logique profonde. Pour la première fois, il se sentait mauvais, monstrueux. Et il ne pouvait rien faire. Parce qu'il serait un traître dans toutes les situations, et il valait mieux l'être envers un humain qu'il connaissait à peine qu'envers sa propre famille. Il y avait en outre plus d'arguments recevables pour endormir Josh que pour l'épargner. Qui, à part lui, s'inquiétait de cette histoire de parole donnée ? Certainement pas Prydery qui se nourrissait pourtant de récits chevaleresques à longueur de journée, qui avait le beau rôle de celui qui juge sans lever le petit doigt pendant qu'il agissait dans le monde et pouvait, oui, commettre des erreurs au milieu de ses nombreuses réussites ! Mais il ne devait pas s'énerver. Il devait garder le sourire, donner des réponses aimables quand on le sollicitait, et son père ne se priva pas de le faire le plus régulièrement possible pour l'empêcher de divaguer et de craquer. Parce que si ses pensées continuaient à défiler ainsi, c'était certain qu'il allait finir par quitter la table à grand fracas.

Le pire, était de constater que le plan de son père se déroulait à merveille, comme toujours. Josh était transporté par cette soirée. Le discours qu'il lui tint sur le seuil de sa chambre était un supplice. Comment allait-il pouvoir oublier ces paroles pleines de belles promesses, d'entrain et surtout de naïveté ? Comment pourrait-il, comme son père, s'en féliciter en se frottant les mains ? Il était désemparé. La bière qu'il avait prise pendant le repas avait asséché sa gorge en un temps record.

– J'ai hâte aussi, répondit-il platement.
Non, il allait trouver son attitude suspecte. Il risquait de quitter son insouciance pour redevenir soupçonneux. Et les efforts de son père pour que tout se passe pour le mieux seraient anéantis. Il devait se montrer plus enthousiaste parce que, maintenant les dés jetés, s'il était endormi de force, ce serait pire. S'il parvenait à s'échapper, il pourrait même en mourir. Et il valait mieux un sommeil artificiel qu'éternel, le premier était toujours un peu plus réversible.
– Je ne regrette vraiment pas de t'avoir conduit jusqu'ici. Tu vas finir par me faire changer d'opinion sur les humains, ça ne serait pas bon pour mes affaires, tu sais ?
Dans un ultime effort, il pouvait encore convoquer son masque charmeur. Josh s'y était montré sensible, il ne pourrait être tenté de s'échapper en douce avec une telle provocation. Mais Macsen, en revanche, préféra la fuite. À peine eut-il quitté son compagnon qu'il quitta le château par une fenêtre sans un au revoir aux siens pour aller se coucher au plus profond de la forêt et ne penser à rien, sinon renouveler sa promesse de ne plus essayer de s'attacher à un humain. Il n'avait pas plus droit aux amis qu'à l'amour, car il était un monstre dissimulé parmi les citadins. Et c'était très bien ainsi. Il n'avait jamais eu le moindre problème avec ça. Il aurait été ridicule de flancher sur un caprice soudain. Avait-il le temps pour s'amuser, pour s'ennuyer ? Il devait rentrer à Londres dès l'aube. Son avenir l'attendait, même si… Il noya ses derniers remords dans le sommeil.

Fin. Nous sommes en 1933
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