âge •• 34 anspouvoirs •• Température corporelle (il est capable de faire varier sa température corporelle de 1° à 50°), Magnétisme (il fascine ses interlocuteurs même avec les histoires les plus banales)qualités •• Relativement intelligent, curieux, serviable (quand il veut bien travailler).défauts •• Persuadé d'être un génie, malhonnête, peu loyal, facilement impressionnable, fainéant, égocentriste.habitudes •• Xaver adore sortir pour combler les lacunes de sa vie sentimentale. Rares sont ceux qui ne l'ont pas vu à un moment donné dans un des bars branchés de la ville où son allure dénote avec l'ambiance générale. Le reste du temps, il cherche à se persuader qu'il est le meilleur hacker de New York en bidouillant sur son ordinateur et il consacre parfois un peu de temps à sa start-up. apparence •• D'après son visage émacié et les quelques poils qui daignent s'accrocher à ses joues, on devine que Xaver a été un adolescent frêle et maladif. Son aversion pour le sport et pour tout régime alimentaire sain le déforme progressivement. Ses yeux bleu flotte expriment invariablement un profond ennui. _________________________________________
QUI ES-TU?
J’avais trouvé que c’était une excellente idée, d’aller vivre à Kaliningrad, cette enclave russe située entre la Lituanie et la Pologne. Je n’étais pas particulièrement passionné par la culture russe et les côtes n’étaient pas vraiment des aimants à touristes, mais vivre dans une enclave… Un endroit complètement parano, isolé de l’espace et du temps, surmilitarisé. Ça sentait bon la tension, le T-90, la chapka et la vodka.
J’avais 24 ans et 2006 venait de filer à toute vitesse. Malgré mon inclination naturelle à l’indolence, je m’étais enfin forcé à bouger de mon Allemagne natale. Il me fallait quelque chose à la hauteur de mon originalité sans que ce fût assez dangereux pour mettre ma vie en péril. Le genre de truc qu’on peut raconter sans rougir, mais duquel on a toutes les chances de revenir.
Tout avait bien commencé : Kaliningrad ressemblait juste à une représentation miniaturisée et complètement dépressive de la Russie. Les gens marchaient la tête baissée sous les volutes argentées de leurs souffles, comme s’ils avaient honte de vivre dans cette sous-Russie, ce territoire un peu bâtard coincé entre deux pays européens. La valse des navires de guerres et autres sous-marins satisfaisaient ma faim d’étrangeté. Mon appartement minuscule ne valait pas tripette : un tube cathodique pour seul mobilier et un matelas, posé à même le sol, pullulant de punaises de lit. Ces saloperies me déformaient le visage à coup de plaques rosâtres qui m’obligeaient à prétexter une allergie au froid et à l’air marin — toutes les allergies sont autorisées, aujourd’hui. Je payais mon loyer grâce à de ridicules services de réparations informatiques. Une insulte à mes compétences, mais je me voyais mal trouver un boulot de rêve à Kaliningrad.
La tête fourrée dans mon écharpe pour me protéger des rayons glacés du soleil, je sirotais une vodka sur une terrasse en face de la cathédrale de Königsberg, vautré dans le plus gros cliché dont j’avais rêvé en venant ici. Je n’ai jamais été très difficile : je demande juste qu’on respecte les poncifs, car je déteste être déstabilisé.
J’observais Svetlana du coin de l’œil, agacé par sa conversation animée avec le serveur au visage mongol qui m’était particulièrement antipathique. À vrai dire, je détestais ce bar et ne m’y rendais que pour son côté russe traditionnel, et bien entendu pour Svetlana.
Cette fille, je ne savais toujours pas si j’avais envie de la prendre dans mes bras pour assouvir mes besoins d’affection ou de l’envoyer paître le plus méchamment possible. Elle me fascinait autant qu’elle m’énervait. Parfois, comme ce jour-là, elle m’ignorait sciemment, prêtait attention à ne me jeter aucun regard et feuilletait son éternel livre de poèmes chinois de Bai Juyi ou babillait avec le serveur. D’autres fois, elle venait s’asseoir à ma table et on discutait jusqu’à la fermeture du bar, au moment où une fine pellicule de givre se formait sur les tables en métal.
Pourtant, lorsque l’on en venait à discuter, Svetlana ne semblait jamais décrocher de mes anecdotes à deux balles. Non qu’elle parût bête, bien au contraire, mais j’étais certain d’exercer un genre de fascination sur elle, sans pour autant en identifier la raison. Je me réjouissais d’agacer les gens en la monopolisant, à commencer par son frère Dimitrov. Il m’avait plusieurs fois menacé d’un regard froid perdu au fond de ses yeux boursouflés à la Boris Elstine.
Le serveur ayant regagné le comptoir, j’essayai d’accrocher le regard de Svetlana, mais elle s’était judicieusement placée entre le soleil bas et moi pour m’empêcher de lui jeter un coup d’œil sans endurer une vive brûlure à la rétine. Je me demandais souvent pourquoi elle jouait ainsi avec moi, mais j’appréciais tout de même participer à son petit jeu. Sentant toutefois la partie sur le point d’être perdue, je me levai et la rejoignis à sa table. Elle poussa un soupir et posa la main sur son livre, comme pour me signifier qu’elle daignerait m’écouter, mais que sa lecture attendait. Je la saluai dans un russe maladroit puis passai à l’anglais, la seule langue que nous maîtrisions tous les deux parfaitement.
En vérité, je m’intéressais très peu à elle : je préférais qu’elle garde cette part de mystère qui la rendait si attirante, comme un pays exotique dans lequel on ne veut se rendre par crainte d’une immense déception. Je lui racontai la raison pour laquelle je m’étais engagé dans l’armée, deux années auparavant :
— Je m’étais engagé pour savoir ce que ça fait de tuer un homme. On en voit partout, des témoignages bouleversants racontant telle ou telle réaction, relatant les affres de la guerre et le désespoir des tueurs. Je voulais vérifier par moi-même ce que je pensais : que tout cela n’est qu’un gros tissu de mensonges et à part l’adrénaline, le corps ne ressent rien du tout. Bon, je me suis retrouvé avec d’autres troufions chez les techniciens de la cyberguerre, du coup j’ai peut-être tué quelques serveurs, mais c’est tout. Pas d’adrénaline, rien. La guerre, c’est surfait. C’est de la merde ; pas parce que c’est violent, mais parce que c’est chiant.
Svetlana avait les yeux écarquillés comme si je lui racontais quelque folle aventure. Elle ne répondit rien. Je m’en foutais : je ne m’intéressais à elle que pour ce qu’elle faisait naître en moi : ce désir un peu irrationnel que j’aimais garder insatisfait au fond de moi.
Cette relation étrange dura quelque temps ; nous n’allâmes jamais plus loin et je pouvais ainsi me vautrer à loisir dans la dépression. J’avais bien son numéro de téléphone, mais je ne m’en servais jamais. Si je n’avais pas trop de difficulté à l’aborder lorsque je la voyais, j’éprouvais un mal terrible à fixer des rendez-vous ; je préférais le caractère faussement aléatoire de nos rencontres.
Malheureusement, l’histoire dégénéra et je dus quitter Kaliningrad.
C’était un jour voilé, presque chaud pour cette partie de l’Europe. L’agitation était, c’est assez rare pour le souligner, palpable en ville. Les gamins hurlaient et se chamaillaient, les parents dissimulaient mal leur nervosité. Quelques jours auparavant, tout le monde avait appris la venue événementielle du chef de l’État-major russe. On l’attendait par voie marine, si bien que le port était bondé. Les gens participaient plus par désir de profiter de cette entorse à la routine que par réelle conviction, mais les quelques patriotes présents arrivaient peu à peu à contaminer les foules. Très vite, le nom de l’hôte d’honneur résonna tout autour de la darse : « Levkine ! Levkine ! ».
J’y avais retrouvé Svetlana au milieu de la foule. Elle cachait mal son excitation. Parfois, son corps cédait sous la tension et elle frappait dans ses mains en sautillant comme une gamine. Même son frère Dimitrov semblait ne pas me prêter attention.
Soudain, un grondement sourd ramena la foule au silence. Sous les « Oooh » de surprise, un sous-marin gigantesque émergea des eaux métalliques. Quelques instants plus tard, le sas s’ouvrit et Sergueï Levkine s’en extirpa. Il se redressa et fit admirer à la foule son style si parfaitement soviétique. À ce moment précis, j’aurais tant souhaité être russe pour pouvoir ressentir de plein fouet l’élan patriotique dû à une telle apparition. Je restais un instant bouche bée devant cette parfaite mise en scène, puis, quand Levkine accosta enfin, je soufflai à l’oreille de Svetlana :
— On y va ?
Celle-ci parut tout d’abord étonnée puis, certainement sous le coup de l’émotion procurée par l’apparition de Levkine, me suivit après avoir calé sa main dans la mienne. Les rues étaient désertes. Le bourdonnement des conversations du port résonnait à peine entre les murs blancs des grands immeubles. Sans échanger un mot, nous gagnâmes mon appartement au troisième étage.
Au moment d’insérer la clé dans la serrure, je remarquai que celle-ci avait été forcée. Passé le court stade de la stupeur, je ricanai en imaginant un cambrioleur pénétrer dans mon taudis pour n’y trouver qu’une vieille télé et un parterre d’insectes morts et vivants. Mon rire sembla inquiéter d’autant plus Svetlana qui marqua un mouvement de recul.
Je poussai le battant de la porte et, le temps de voir deux silhouettes encagoulées se précipiter vers moi, je me retrouvai gisant sur le sol, près de mon matelas. Svetlana avait disparu et quatre yeux brillants étaient pointés vers moi. L’un des colosses — parce que c’étaient des colosses — s’adressa à moi dans un russe provincial duquel je ne parvins à tirer que quelques bribes. Il était question de Svetlana et d’une certaine relation de parenté avec Levkine. Il était surtout question de ma personne et de ce qu’on ne la désirait pas trop proche de Svetlana. Je ressentais encore suffisamment de fierté pour ne pas avoir peur et, si je n’avais pas eu ce bâillon ridicule en travers de la bouche, j’aurais certainement étalé ma connaissance des bons mots russes.
Je pensais qu’ils allaient s’arrêter là et repartir, heureux de m’avoir humilié dans mon trou à rat, mais le plus costaud d’entre eux, celui qui ne parlait pas, se précipita sur moi avec ce qui ressemblait terriblement à un pied de biche.
On m’a toujours dit que les personnalités se révèlent dans les moments traumatisants. Les conditions étaient en effet réunies pour un éveil remarquable, mais ce ne fut pas ma personnalité qui se révéla. Mon corps devint subitement froid, très froid. Ma vision se brouilla, mon cœur ralentit et mes nerfs cessèrent peu à peu de transmettre des signaux. Je voyais plus que je ne sentais les allers-retours de l’outil métallique sur mon corps. Mon arcade explosa et un liquide visqueux peina à sortir de l’ouverture. Dans un dernier accès de lucidité, je me fis cette réflexion : « Ce n’est pas du sang ; ça n’en peut pas être ».
Je ne pouvais pas rester à Kaliningrad. Après avoir récolté quelques soins sommaires et amassé le peu d’affaires que j’avais, je pris le premier avion en direction de New York : quoi de mieux que la bonne vieille Amérique pour oublier ce traumatisme russe ?
Depuis mon arrivée à New York, je vis toujours de services informatiques en attendant que ma start-up de livraison de culture japonaise (nourriture, mangas, armes) décolle enfin. J'ai emménagé dans une collocation avec une chambre sans fenêtre dans le quartier Empire. Je vois très rarement mes colocataires, même pour manger : ils s'accoutument mal à mon régime pizza/pâtes/riz/donuts. Je traîne dans les bars et les restaurants à la recherche d'une aventure enfin digne de moi — mais une aventure pas trop fatigante quand même. Je me suis même inscrit dans une salle de sport pour faire des rencontres mais les gens ne semble pas m'y prendre au sérieux.