Les Dieux de New York
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Plongée en eaux troubles [Terminé]

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Josh R. de RoncevauxJosh R. de Roncevaux


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Plongée en eaux troubles [Terminé] Vide
MessageSujet: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptyMer 19 Juin - 12:28

Plongée en eaux troubles

Le soleil joue avec le voilage de la fenêtre. Les rumeurs de la ville filtrent, atténuées par le double vitrage. Deux lames de verre d’épaisseur différente et un gaz neutre au milieu. Macsen n’avait rien dit quand je m’étais plongé un couple d’heures sur les lois de physique qui permettait une isolation thermique et phonique de façon si simple. Une innovation parmi tant d’autres. La révolution industrielle avait sorti l’homme de la boue, ce qui avait suivi pendant mon long sommeil relevait de la science-fiction. Puis la science-fiction avait laissé la place à des affaires qui prenaient ses racines à l’antiquité d’après le ficus qui me sert de guide, de professeur, et de maman quand tout cela devient trop effrayant. Macsen est je ne sais où, pour je ne sais combien de temps. Je me targuais savoir cerner une personne en une journée. Le faune a révisé mon jugement, il n’y a pas plus énigmatique que cette fougère ambulante. Il a le parfum capiteux d’une rose, la beauté d’une orchidée et la fourberie du lierre.

Sur la table basse, une liste de consignes. Les quartiers à éviter, les couvre-feux et d’autres recommandations dont je ne saisis pas le fondement. J’ai l’impression de vivre sous une loi martiale. Je ne dois ma présence dans cette ville que grâce aux liens du ficus. D’après les livres, il n’en a pas été ainsi avant le deuxième big bang. Je ne sais pas si je dois regretter ou non de ne pas avoir connu le monde tel qu’il était il y a peu. Les frustrations sont sources d’ulcères affirmait mon grand-père.

Une sirène de police m’attire vers la fenêtre, je suis du regard le gyrophare. J’étouffe, mais ouvrir la fenêtre n’y changera rien. J’étouffe sous mon crâne que je sens trop étroit devant toutes ces nouveautés à digérer. J’étouffe de ces progrès qui me donnent le vertige, Internet, la conquête spatiale et Dieu sait quoi d’autre. Toutefois, la science s’explique, comme le double vitrage devant mon nez. Si ma conscience a admis l’existence de Macsen, moitié lierre moitié rose, le reste est flou. Le faune ne m’a pas tout dit. Je ne lui avoue pas tous les surnoms que je lui donne, il semblerait que je débite assez de questions idiotes depuis qu’il m’a réveillé. Puis, il faut avouer que Macsen a l’empathie d'un pissenlit.

Mon téléphone vibre. Cela m’a pris une semaine pour comprendre cet engin sans fil. J’ai entièrement démonté le premier que Macsen m’avait acheté. Le ficus semble avoir jardinage familial, ou quelque chose y avoisinant. Ne pas l’attendre ni s’attendre à le revoir de sitôt. L’empathie d’un pissenlit, je disais !

Je regarde mes piles de livres. Lus, en cours, à lire… J’affectionne encore le papier même si les informations récentes sont dématérialisées. J’aime errer en lisant, et je ne retrouve pas la même sensation avec ce rectangle connecté qu’ils appellent tablette. J’ai des années de lectures devant moi.

Fascinant. Décourageant.

La pendule digitale affiche dix-sept heures. Le tea time des Anglais, pas encore celui de l’apéro des Français. New York, je rêvais d’y venir. La ville n’est pas si différente d’avant la tempête d’après Pissenlit. Je décide de sortir et passer la soirée dehors. Autant dire que je pars à l’aventure. Solo, je n’ai pas encore dépassé deux blocs autour de l’appartement où je suis gracieusement logé par la fougère. Il faut dire que dans ce périmètre, je trouve ce qu’il me faut : nourriture, vêtements, médias et même un square.

Devant le miroir du couloir, je vérifie ma tenue. J’hésite. Ce que je portais avant de dormir pendant quatre-vingts ans n’est plus à la mode. Trop guindé. J’avais fui la première boutique de nippes de l’autre côté de la rue. Des tissus de mauvaise qualité qui tire-bouchonnent. De simples coutures aux ourlets, une insulte au bon goût. Au mien de bon goût. Le vendeur du deuxième magasin visité avait fait une crise de cataplexie. La vitrine suivante montrait une gigantesque photo avec un homme avachi sur une motocyclette. Il portait un blouson aviateur et une paire de jeans abîmés. Chevignon affichait l'enseigne. De fait, le pantalon n’était pas usé, ils sont vendus ainsi. La vendeuse était jolie, je l’ai laissé choisir pour moi en lui donnant plusieurs critères comme des lieux. Ce qu’on porte pour travailler, aller au restaurant, sortir dehors, etc.

Je salue mon image qui est le reflet d’une tenue décontractée, mais sans trou. Acheter un vêtement neuf abîmé reste un non-sens.

*

La circulation est dense, le Newyorkais n’aime pas marcher. Les Yellow cab mènent une valse infernale sur les avenues. C’est plus coloré qu’à Paris. Je pense à ma ville, mon appartement. Que sont devenus Pierre mon majordome et Noiraud mon chat ? J’achète un bagel à un food truck et m’installe sur un banc dans le square en limite du territoire que j’ai exploré. Mon hésitation peut paraître ridicule, seulement tout est étranger pour moi, jusqu’à l’accent. Mon anglais est très académique, entaché de sonorité française qui fait sourire.

J’observe les gens. J’étudie leur comportement, les manières de se saluer ou de rester à distance. Première constatation, le Newyorkais ne voit pas les gens qui l’entourent sauf en cas de collision. Par contre, ils sont très polis dans les boutiques.

Une maman s’assoit à côté de moi après m’avoir demandé si la place était libre. Elle donne des recommandations à son fils avant que l’enfant s’élance vers ses amis.

— Il est en quelle classe ?

Je lance une perche pour une banale conversation. J’espère en retirer des explications sur ce qui est la normalité pour cette femme. Lorsque je quitte le square, j’en sais plus sur le système scolaire et les injustices liées aux moyens financiers des parents. Pissenlit m’avait dit que l’argent n’était pas un souci dont je devais me préoccuper pour le moment, que ce n’était pas mon urgence. Mais dépendre de lui et sa famille rayait un peu mon ego.

*

Je traverse une avenue et entre en territoire inconnu. Pas de grand changement, rien de visible à mes yeux. Je reste un moment devant la vitrine d’un courtier en immobilier. Je me fais une idée des prix. Cela a pris quelques zéros depuis les années trente. Je suis doué en import-export, seulement cette activité fonctionne avec un réseau que je ne possède plus. Je ne vais pas pouvoir me mettre à mon compte tout de suite. Je dois réapprendre le système, tisser des liens, créer de la confiance. Et ce n’est pas en restant à bader sur le trottoir que je vais avancer. La seule chose qui me freine est de ne pas savoir à qui j’ai à faire face à une personne. Ne pas faire confiance, m’avait averti la fougère. Oui, mais…

De l’autre côté de la rue, une enseigne m’attire. Un bar un peu classieux où ceux qui entrent ou en sortent sont habillés correctement sans trop d'apparat. Un endroit branché de qualité supérieure. C’est ma première impression. Il ne me reste qu’à entrer pour la confirmer ou non.

*

Il fait plutôt sombre à l’intérieur, le mobilier est mis en valeur par des spots de lumière, ambiance intimiste. Je ne connais pas le style de musique que j’entends, mais j’aime bien la sonorité. La musique, le choix offert, le mélomane que je suis avait été envoûté. Je m’installe au bar. Le barman me demande ce que je souhaite.

— Que me conseillerez-vous à cette heure de la journée ?
— Soft ou alcoolisé ?
— Alcoolisé.

Se pose la question de l’approvisionnement. J’ai vu les terres autour du château des Caerwyn, les terres cultivables ont pris cher. Mais demander à l’employer me ferait paraître suspect. Personne n’a oublié la tempête. Il me sert un liquide ambré et me propose une assiette de nachos pour accompagner. J’accepte sans savoir ce que c’est. Je ne regrette pas mon audace. Je déguste lentement mon verre et observe les autres consommateurs par l’intermédiaire du grand miroir qui court le long du bar. Les gens semblent décontractés. J’écoute sans en avoir l’air les conversations. Je me mets à jour. Pissenlit avait dit ça hier quand l’ordinateur avait mis du temps à s’éclairer. C’est essentiel pour que je ne semble pas tout droit sorti du siècle dernier. Je ne suis pas timide de nature, loin de là. Seulement pour le moment, j’ai le savoir d’un enfant.


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MessageSujet: Re: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptyMer 19 Juin - 17:26


Alexander et Helen, voilà qui est fait. Les températures n’ont toujours pas augmenté, restant aux alentours de vingt degrés, pas plus que la pluie n’a commencé à tomber. Le taux d’humidité me semble même avoir baissé, quand bien même cela ne change en rien le contact désagréable de l’air pollué. Mains dans les poches de mon jeans bleu, ma veste de cette même matière mais verte cependant ouverte sur un débardeur blanc, j’avance tranquillement dans les rues d’Helheim. S’il me fallait rentrer chez moi, je m’en irai vers le sud, vers le port. A la place, je m’en vais vers le nord. Une affaire terminée signifie qu’une autre il me faut trouver. Direction le centre-ville donc car, même si je n’ai pas la tenue pour me rendre au Velvet Dream, j’ai bien l’intention de recommencer à chasser. Il ne manque pas de lieux où croiser une grande diversité et s’y diversifier permet de garder un profil relativement discret. Les plus observateurs sauront me remarquer tout comme je leur rendrais la politesse, curieuse de voir où cela nous mènera, mais en attendant je ne me priverai pas de chercher ceux qui ne me verront pas venir.

Les rues sont cet habituel flot de passants et de voitures s’alternant, chacun y allant de son bruit et de son odeur dans ce déplacement transitoire qu’il s’empresse tant bien que mal d’accomplir au plus vite. C’est plus aisé lorsque l’on est à pied, moyen de transport auquel je me limite afin d’observer au mieux. Je me souviens dans Napoléon a déclaré "vous feriez avancer un navire contre vent et courant en allumant un brasier sous le pont ? Je n’ai pas le temps pour de pareilles inepties"… Le feu a été la technologie qui a rendu l’Homme supérieur à tous les autres animaux, la machine à vapeur a été une seconde révolution. Désormais, ils en sont au moteur à combustion. Jusqu’où cela ira-t-il ? Même moi, je ne parviens pas à l’imaginer. D’un autre côté, je ne suis pas le Changement. Lucifer tient ce rôle. Cependant, le connaissant, cela ne s’arrêtera jamais. Même quand tout s’est effondré, ce n’était qu’une occasion de recommencer. Recommencer pareil pour certains, recommencer mieux pour d’autres ; quoi que cela puisse signifier. Ma position dans cette dualité est évidente. Je m’en satisfais.

Dans son style art déco, je regarde la façade classique et la forme très conventionnelle de l’Empire State Building. C’est une relique de l’ancien monde, miraculeusement rescapé dans celui-ci. Il était devenu le plus haut gratte-ciel de la ville après les attentats du World Trade Center et je me demande ce qu’il en est de la reconstruction du One World Trade Center, dont les travaux devant se terminer en 2012 auraient permis à cette nouvelle tour de supplanter son ainé. Comme pour l’enivrement de vampires avec mon sang, il me faudra sans doute vérifier. Pour l’heure, la silhouette du petit immeuble se dressant vers les nuages m’apprend que je suis arrivée dans le quartier qui m’intéresse, celui qui porte désormais son nom. Une grande inspiration nasale accompagne un tour de cet horizon bouché de béton.

Je ne prévois jamais mes chasses à l’avance, afin de ne pas me gâcher le plaisir par la planification ni de m’emprisonner l’esprit par trop de préparation. Je fais confiance à mon instinct et à mes capacités d’observation. D’autant que, quand bien même je rentre bredouille, ma survie n’en dépend pas. Evidemment, cela n’empêche pas que certains établissements soient plus appropriés que d’autres. Comme tout prédateur le sait, le meilleur lieu d’une embuscade est proche d’un point d’eau. Qu’importe que la civilisation humaine a changé cela en débit de boisson, le principe reste le même. Mes yeux s’arrêtent sur l’auvent titré de The Golden Snake, nom qui m’arrache un bref sourire. Si je ne prétendrais être d’or, je suis un serpent. Je reprends ma marche.

Tout modeste qu’il soit de part ses dimensions, le bar s’avère populeux alors même que les échappés des bureaux alentours ne viennent pas s’y réfugier, leur travail n’étant pas encore terminé. Ceux dont celui-ci consiste à tenir l’établissement sont cependant d’ores et déjà chaleureux et énergiques, s’aventureux vivement dans leur mobilier travaillé tant en lui-même que dans sa présentation. Debout sur le pas de la porte, quelqu’un vient m’inviter à entrer. Comme le suggère l’extérieur, la clientèle d’habitué n’est pas encore là mais l’ambiance la précède. Je peux bien avoir une heure et demi à perdre ici le temps que plus de possibilités s’offrent à moi, ce qui me laissera amplement le temps d’observer celles que j’ai déjà.

Au bar, un trentenaire athlétique d’une taille similaire à la mienne discute avec le barman, vêtu d’un blouson de cuir au col de simili-fourrure et d’un jeans élimé. Son accent est français, sa maîtrise de l’anglais digne des enseignements de ce pays-là. Ces cheveux sont bruns, courts, et ses yeux bleus, occupés. Il est attentif à son environnement, tout comme je suis attentive à lui avant de m’en détourner. J’approuve son choix de point de mire, le bar permettant de voir la salle où, malgré la musique, le peu de client peut bavarder tranquillement. Aucun autre, comme lui, ne prête réellement attention. Chose n’étant pas un reproche mais une constatation.

Mes fesses se posent sur un tabouret et le creux de mon dos sur le rebord du comptoir, rapidement soutenu de mes coudes. Tête sur le côté et en arrière, croisant les jambes d’aise, je réclame un thé. Dans un autre temps et un autre lieu, s’eut été l’heure. Et puis une telle boisson chaude se fait de plus en plus inappropriée avec la conquête de l’été, autant profiter des températures d’aujourd’hui pour le savourer. Les thés glacés n’auront jamais la même valeur, à mes yeux. Chose que l’on n’attend pas d’un ersatz, de toute façon.

Quand j’ai enfin l’original en main, je remercie le barman et poursuis ma contemplation. Si l’une de mes chaussures à talon a l’une des barres du tabouret contre le creux de ma voute plantaire, l’autre s’agite doucement au rythme des vibrations de l’enceinte toute proche. Installée à l’angle au plus éloignée de la porte, je suis autant dans l’angle du mur que je puis afin d’observer l’entièreté de la salle.
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MessageSujet: Re: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptyVen 21 Juin - 11:46

Plongée en eaux troubles

Une sonorité un peu nostalgique se déverse depuis les enceintes fixées au plafond, grande évolution du pavillon en cuivre de mon gramophone. Le son est pur, trop, sans âme, pas comme à l’opéra où l’acoustique est un art. J’aime pourtant ce morceau, car je suis capable de nommer chacun des instruments qui le composent et la mélodie trouve un écho dans mon imaginaire.

Un couple dans mon dos parle avec animation. Il est question du travail de monsieur : la boxe. Je ne perçois pas toute leur discussion, la musique, le service, les rumeurs de la ville quand la porte s’ouvre me font perdre des mots. Je me fie aux intonations, aux phrases sans fin, aux points de suspension, aux regards qui se fuient, ceux qui fixent. Madame a dû trouver son homme badasse plus jeune, mais à la longue ce qui colle à la vingtaine devient pathétique dix ans plus tard. Un virage raté, une évolution loupée, ou un faux rêve qui tourne au vinaigre ? Le temps que je revienne à mes nachos,  le duo déguerpit du bar, madame lançant un regard noir vers ma droite.

Je me retourne pour regarder ce qui attire ses foudres. Une potentielle jalousie ? À l’autre bout du comptoir, une silhouette à la Garbo. La pose dominatrice, coudes sur le zinc, la belle tourne le dos au barman et toise la salle comme assise sur un trône. Une couronne ne serait pas incongrue sur sa noble tête. Le port altier, je devine son échine souple, la cuisse ferme et la démarche assurée, si j’en crois les échasses sur lesquelles elle est perchée.

Belle, c’est le premier mot qui me vient à l’esprit. Grande, le second, quoi qu’elle doive faire ma taille, un peu moins sans les objets de torture qui épousent ses pieds. Sa présence est écrasante, c’est peut-être ce qui a fait fuir les deux autres. Un verre se brise quelque part et me sort de ma contemplation. Mon regard glisse sur le journal du jour posé sur le comptoir. Je ne saisis pas encore les enjeux politiques de la ville. Il y a des zones d’ombres certaines, pourtant une partie des habitants de la ville vivent sans savoir pour les fougères, les pissenlits et autres anormalités que je suppose épiques à défaut de pouvoir les nommer. Je lance un regard vers la beauté blonde, alors ? Simple humaine ou un joli gardénia ? Macsen dégage une aura envoûtante. Je me suis laissé piéger par son glamour, comme je m’y suis aussi abandonné en toute conscience pour fuir ma peur. Finalement, je trouve que la blonde perchée sur son tabouret tient plus de la reine Catherine – la largeur des hanches en moins – que du Gardénia, sinon d’un aconit napel mortel. Je délaisse un temps la Médicis pour le journal.

J’ouvre la feuille de chou à la page des faits divers. Deux vols, un braquage, trois meurtres et un viol. Le temps passe, certaines choses ne changent pas. La page bourse me laisse perplexe. Je ne connais que deux noms dans la liste des sociétés cotées, une banque et un constructeur automobile. Une planète ravagée laisse quelques séquelles sur le Dow Jones. Il y a certainement des affaires à faire, encore faut-il que je comprenne les rouages qui mènent le monde d’aujourd’hui.

Le barman s’inquiète de mon verre vide. Je réclame la même chose et lui demande d’offrir la boisson de son choix à la reine du bout du comptoir. Il faudrait que je demande à Macsen quel journal est le plus pertinent pour moi. Je n’ai pas envie de changer de style de vie ni de métier. La liste des offres d’emplois me laisse de marbre. Puis comment justifier d’une expérience qui date des années folles ? J’entends le barman répéter mon offre à la banquise blonde. Je tourne la tête pour la regarder, lève mon verre vers elle, accompagnant mon geste d’un sourire courtois, puis reviens sur la première page du journal. La pêche à la dorade est un art où il ne faut pas regarder le poisson dans les yeux, grande différence avec la sardine, jamais seule.

— Risque d’orages secs, indice de pollution cinq, marmonné-je.

Je soupire, le bulletin météorologique est plus précis qu’à mon temps, mais il s’égaille de nouveautés que le passé n’envierait pas. L’odeur a changé, le pétrole remplacé le charbon, mais les nuisances sont toujours présentes. La fée électrique ne semble pas avoir changé la donne sur ce point. Comme pour donner raison au bulletin, un coup de tonnerre me déchire les tympans et fait trembler la vitrine.

— Et le ciel nous tomba sur la tête…

Vieille crainte toute gauloise. C’était arrivé à un ami, boulevard Port-Royal. Un coup de tonnerre de trop et le lustre de son salon l’avait tout bonnement occis. Il y a des morts peu banales.


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MessageSujet: Re: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptyLun 24 Juin - 4:47

Le hasard et les échos qu’il me fait me conduit à sourire un instant. Qu’a-t-il pu advenir d’Alexander et d’Helen, eux qui ont essayé de battre un Deus Ex Machina à son propre jeu ? Ont-ils cru à mon ambition ? Celle-ci a-t-elle été l’ultime raison de planter leur lame dans la folle que je suis ? En trente-minutes après tout, j’aurai eu le temps de me régénérer d’une telle blessure. Mes vêtements, eux, non. La réponse est ailleurs, dans l’espace comme dans le temps. J’écoute néanmoins la dispute, suis repérée dans mon attention et privée de cette délectation d’une fuite prématurée. L’analogue de la situation ne me motive pas à pister ces proies, m’en détournant vers de nouvelles aventures au sein du bar.

Une jeune femme, possiblement étudiante, cherche à amadouer un chat, probablement local, en attendant une autre créature, d’après les réguliers regards à son téléphone. Une bande de sportifs, tous sexes confondus, fête quelque raison qui puisse les avoir conduits à être ici à cette heure. Bruyante entre toute, leur discussion inclus le mot "karaoké" et me laisse envisager une activité de soirée comme le fait qu’ils passent la leur ici. Déjà chaleureuse, l’ambiance promet d’être encore plus énergique avec l’arrivée des habitués. Les serveurs discutent entre eux également, non loin du bar. Quant à celui qui se trouve également à celui-ci, son regard est sur moi. Je le lui rendrais presque mais la déchéance éclatée d’un verre m’appelle immédiatement. Je balaie les clients puis les employés, à la recherche de ceux qui auront le comportement de réaction à l’involontaire action ; c’est plus utile que de chercher le détail. La maladresse est un défaut ambivalent, tout à la fois problématique mais utile puisqu’elle peut rendre attachant ; à la manière d’un enfant. On s’en excuse et les choses reprennent. Je ne sais si je pourrais en faire grand-chose tant elle n’est guère prompte à provoquer l’envie, l’adresse n’étant généralement perçue que lorsqu’elle est trop basse ou trop élevée. Cependant, c’est toujours une piste. Une piste que j’observe.

Comme le bruit du journal avant elle, la voix du barman ne m’implique pas tout de suite. Lorsqu’elle finit par le faire, les choses se rejoignent : c’est le lecteur de la presse d’antan qui envoie le serveur du bar d’aujourd’hui me proposer ma boisson future. Cette fois-ci, nos regards font plus que se croiser. Ils s’accompagnent d’un verre levé et d’un sourire affable. Je ne puis imiter le premier sans souligner que je suis déjà servie mais ne me prive pas du second, mon expression s’agrandissant alors que le bruit de journal revient et que l’attention de l’homme lui retourne. Le raffinement de son attitude est rare, plaisant. Cela fait quelques temps que le présent à une femme afin d’attirer son attention se fait avec toute celle de l’homme. Depuis la fin du siècle dernier, celui-ci tend même à s’approcher si le sourire lui est rendu, afin de venir se présenter. Cependant, mon camarade de bar a lancé son appât et attend que je fasse le premier pas ; tout à la fois plus risqué, si la personne visée n’ose pas le faire, et plus fiable, puisqu’il ne s’impose pas. Et comme son observation de mon attitude lui a permis de comprendre que je suis du genre qui ose, il attend désormais de voir si je mords. Vais-je mordre ? Question polysémique.

Le tonnerre gronde alors que mes yeux se lèvent vers un ciel que je ne vois pas. Je suis superstitieuse, principalement car je suis une superstition, et j’aime à voir comment nous sommes capables de rester accordés. Je n’ai plus autorité sur lui depuis que je l’ai donnée à Anu, je n’ai plus la tête en lui depuis que ce dernier a procédé à l’Ordalie de Marduk et que le cycle a recommencé. Mais il y a toujours une certaine affinité, après tout toute météorologie terrestre vient de l’océan.

« Et le ciel nous tomba sur la tête… »

Mes yeux redescendent et mon sourire se fait amusé. N’est-ce pas constamment le cas ? Les corps célestes ne sont-ils pas en chute constante autour de corps célestes plus gros encore ? Quatre doigts autour de mon thé, je désigne de l’index la boisson de celui qui s’en vient devenir mon interlocuteur. Mon pied se dégage du tabouret pour s’en aller rejoindre l’autre au sol dans un bruit claquant digne d’un ferrage. Suivant la danse d’un verre qui se remplit, je longe le comptoir jusqu’à rejoindre celui qui en est l’instigateur.

« N’est-ce pas un moyen simple d’avoir la tête dans les nuages ? »

Déjà essayé, pas fan. Chose qui ne m’empêche pas de m’exprimer avec le sourire alors que je m’assois à côté de celui dont l’indirecte commande, identique à la sienne, est livrée. Quitte à lui donner sa chance, autant le faire jusqu’à sa boisson ; surtout qu’elle m’en apprendra plus sur lui. "Dis-moi ce que tu manges, je te dirais ce que tu es" a déclaré Jean Anthelme Brillat-Savarin, ce à quoi je me permettrais de lui répondre "partage-moi ce que tu bois, on le fera peut-être d’autre chose que de la gueule de bois". Evidemment, comme il me faut environ une minute pour purger l’alcool, je n’ai jamais partagé ni l’ivresse ni sa conséquence. D’où un certain désintérêt pour ce genre de boisson. Mais ce n’est pas l’alcool qui importe. C’est l’information. "Les plus observateurs sauront me remarquer tout comme je leur rendrais la politesse, curieuse de voir où cela nous mènera" ; j’ai un coude sur le comptoir, au côté de mes deux verres, et le corps au quart tourné vers celui à qui je m’adresse, que je fixe de mes yeux océan. Que vais-je bien pouvoir faire… Avec toi ? De toi ? Quelle est ton envie ?
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MessageSujet: Re: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptyMar 2 Juil - 4:57

Plongée en eaux troubles

Un son de sabot ferré à l’autre bout du comptoir me sort des considérations météorologiques. Je n’ai pas prévu de parapluie. Là, se situe ma vraie déroute du moment. Je replie ce journal que je n’arrive pas encore à analyser. L’important est souvent ce qui n’est pas écrit, omis. Tout un apprentissage à refaire. Exaltant, fatiguant. Et Macsen aussi volubile qu’un tournesol. Maudit faune et son petit sourire en coin que j’aime bien.

- N’est-ce pas un moyen simple d’avoir la tête dans les nuages ?

La belle dorade s’est avancée. J’ai piqué sa curiosité, m’en voilà flatté. Je suis plus que centenaire et j’attire toujours le beau sexe. Il y a quoi se vanter.

Ou pas.

De prime abord sa réplique pourrait laisser penser qu’elle me reproche mon choix de boisson : celle du mâle suffisant qui s’enivre dès la fin d’après-midi, jusqu’à ce que je remarque que le barman lui sert la même chose. Simple hasard, ou soucis d’harmonie ? J’opte pour le deuxième choix. On ne bascule pas d’un thé au whisky par inadvertance.

- Les nuages ont parfois des choses à dire.


Ou pas.

L’ivresse est une maîtresse possessive doublée d’une ensorceleuse. Si je me suis déjà laissé séduire, ce fut toujours dans un lieu précis, connu et entouré de personnes choisies. Ici, je connais personne, je ne capte pas les enjeux de la ville ni ses dangers. Toujours maîtriser ses lâchers prise si on ne veut point de déconvenues. La sagesse m’ennuie, mais telle est ma situation. La faute aux Caerwyn. Je me tourne de trois-quarts pour regarder la belle qui s’est avancée et assise à mes côtés. Elle a répondu positivement à mon appel du pied, preuve que je reste attractif, pas si désuet, ou alors je suis un grand naïf. Ce n’est point une dorade, mais une belle femme. Une femme de tête, car ni elle ne rougit ni elle ne détourne le regard. Elle assume sa réponse, sa présence ici. J’aime.

Je classe les femmes en différentes catégories. Un classement secret que je garde pour moi, pour ma survie. La plus vaste catégorie englobe la moitié de la population de ce sexe que l’on prétend faible. Une moitié qui prouve que c’est vrai. Des femmes dociles, ou trop timorées pour envisager une autre fonction que celle donnée par leur dominant de mâle. Des mères qui éduquent les enfants sans se plaindre, des maîtresses qui tiennent leur maison à la poussière prés et des amantes qui écartent les cuisses en souriant si possible. Une situation qui leur convient, sinon elles seraient dans l'autre moitié.

Puis y a cette autre moitié. Celles qui donnent des claques, des coups de genoux ou qui brillent par une intelligence que l’on n’aura jamais. J’ai connu des putes de bordel avec une poigne de général, des matrones d’auberge capable de nourrir un régiment d’un claquement de doigt et une scientifique remporter deux prix Nobel. Comme quoi, un simple prénom peut accoucher de choses qui changent drastiquement la face du monde. J’ai vu la charbonnière qui livrait mon immeuble manœuvrer son Berliet à huile lourde avec la précision d’un horloger. Et si elles brillaient par leur absence dans les postes en civil dans la police, il n’en était pas de même au sein des sections secrètes de l’État.

J’ai appris à me méfier du sexe dit faible, à me laisser charmer aussi. Une femme audacieuse cache quelque chose, une histoire mouvementée ou non, un dessein brillant comme le soleil, ou sombre comme la nuit. Un manque d’amour, parfois. La belle qui me toise reste pour l’instant mystérieuse et indéchiffrable. Quoi que je peux déjà la retirer de la catégorie des ménagères dociles.

Je me souviens à temps que je suis aux États-Unis et non en France. Ici, pas de contact, pas de mains serrées et encore moins envers une femme. Pas de baisemain non plus, mais ce geste tombait déjà en désuétude à mon époque. Je me contente donc d’une chaste inclinaison du chef avant de me présenter.

- Josh de Roncevaux. Mes hommages ma Dame.

Je ne cherche pas à cacher mon accent, cela serait stupide car j’en suis bien incapable, même si je n’ai plus parlé la langue de Molière depuis mes aventures avec Macsen. Sauf pour lui dire le fond de ma pensée lorsqu’il m’agace de trop.


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MessageSujet: Re: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptyMer 3 Juil - 4:18

« Les nuages ont parfois des choses à dire. »

Mon sourire est fin comme en accord.

« Ils sont le visage du ciel, capable d’exprimer ses émotions. La joie du passage, la tristesse de l’averse, la peur de l’orage, la colère de la tempête, la surprise de la neige, le mépris par l’absence… le dégout, même, lorsqu’ils sont composés de ces fumées maladives rejetées par l’industrie. »

Les sept émotions de base, simples, dont toutes les autres dérivent. Universelles, selon des recherches faites par Paul Ekman. Universelles, signifiant que toutes les cultures humaines ont présenté les mêmes réactions pour les exprimer. L’anthropomorphisme aidant, j’ai donc tendu vers un universel plus terre à terre tout en parlant des cieux. L’anthropocentrisme aidant, l’interprétation devrait être valable. Et si non, je ne crains pas de passer pour étrange ou pour folle, cela fait parti de ma confiance en moi. L’un et l’autre sont aisés à remarquer.

Et niveau remarquer, le trentenaire l’a déjà fait ce que je voulais qu’il remarque : son cadeau alcoolisé identique à celui qu’il prend pour lui-même. Ma main accoudée se pose, paume contre le bois, entre les verres, l’un chaud et l’autre froid. Sa posture de trois quarts, le dégageant du bar, complète la mienne, d’un quart tournée vers lui avec toujours le comptoir pour dossier. Notre pose est complémentaire, pour ne pas dire chorégraphique ; voici qui m’amuse intérieurement. Chorégraphie qui continue oralement avec une présentation insistant sur l’accent et le nom français, quand bien même cela ne détourne pas mon attention du prénom anglosaxon qui les précède. Tout comme les hommages et le titre, cela est noté et apprécié d’un acquiescement.

Josh de Roncevaux, tu as capté toute mon attention. Qu’importe le couple fuyard, qu’importe les sportifs fêtards, qu’importe l’étudiante hagard.

« Thomasine Océane, réponds-je en le fixant de mon regard océan. Le nom étant orthographié à la française, pour qu’on ne se trompe sur sa prononciation. »

Je n’ai aucun accent, quand bien même je puis en prendre plus que je ne sais énumérer en plus de soixante-dix langues que je ne prendrais la peine de citer ; sans compter celles désuètes. Cependant, je dispose moi aussi d’un prénom anglosaxon qui précède, tel qu’énoncé, un nom à la française. C’est d’ailleurs en français que j’ajoute deux simples mots.

« Cocasse coïncidence. »

Le hasard et les échos qu’il me fait me conduit à sourire un instant. D’autant plus que je ne crois pas au hasard. Coïncidence est plus approprié, non dans le sens d’hasard mais de coïncidence d’éléments et d’évènements causals.

« Sachez m’en enchantée. »

Je ne pousse pas plus avant mon usage du français, ayant suffisamment enseigné les langues pour savoir que l’apprentissage par immersion est le plus efficace pour les apprendre. Sans considérer que l’apprentissage linguistique soit la motivation de Josh pour venir ici, du fait de l’état du monde suite à la Brèche, il n’en reste pas moins que l’on comprendre plus facilement les différences d'expressions orales et écrites d’une langue, les coutumes et la culture d’un pays, en y étant pleinement exposé. Evidemment, s’il n’arrive à se débrouiller seul, j’envisagerai de l’aider. Qu’il essaie d’abord, considérant que mon aide n’est pas gratuite.

Mes yeux quittent Josh pour accompagner ma main se saisir du verre qui m’est offert, le soulevant pour lui accorder un regard tout comme à mon reflet ambré. Puis, tenu du bout des doigts, je le lui tends pour trinquer. Je peux créer des points communs culturels avec l’entièreté des descendants eurasiens, présente sur la totalité du globe depuis la colonisation, mais c’est rarement aussi fortuit qu’aujourd’hui.

« Aux déplacements, aux voyages, aux déménagements et à l’instabilité, qui ont permis aux hommes de traverser les mers et nous ont mené ici aujourd’hui. »

Mon sourire est amusé, moins par l’étrangeté du toast que par la connaissance de sa vraie signification. Le Léviathan préside aux déplacements, aux voyages, aux déménagements et à l’instabilité, ainsi trinque-t-on à ma présidence sous couvert d’une rencontre improbable mais savoureuse. Poétique. Plus que l’alcool, dont la gorgée me brûle, mais c’est là un avis personnel.

« Quels sont-ils, pour vous demande-je. Si je ne suis pas indiscrète, évidemment. »

Peut-être le suis-je, peut-être ne le suis-je pas. Peut-être suis-je étrange, peut-être ne le suis-je pas. Qu’importe de tout cela. L’occasion m’est donnée de connaitre et d’analyser plus en détail mon interlocuteur. Visage au large front et aux grands organes sensitifs opposé à une bouche et un menton relativement étroits ; profil morpho-psychologique cérébral-émotionnel. Cheveux courts, suffisamment pour ne pas avoir à être coiffés et pourtant conserver une certaine éducation ; pragmatique ou pratique, en plus du style garçon. Yeux occupés, attentifs ; observateur, en apprentissage. Légère barbe et moustache, non de quelques jours mais entretenues ; propre sur lui, attentif à son image. Blouson de cuir au col de simili-fourrure vintage et jeans moderne, très bien entretenus ; classe moyenne mais avec une tendance passéiste, dans le sens classique. Chose qui se retrouve dans son attitude et ses manières. Accent français, anglais scolaire ; récemment arrivé, donc profil intéressant pour l’immigration. Je cligne des yeux. Les détourne.

Quand on regarde trop longtemps l’abîme, on s’aperçoit que l’abîme nous rend notre regard. Sachant que l’abîme est une métaphore employée pour signifier la profondeur sans limite ou la parfaite obscurité de Dieu ou du principe de toute chose et que Joshua, étymologie de Josh comme de Josué, signifie "Dieu sauve"… disons que je n’ai pas envie que Josh développe l’impression de faire face à quelque chose d’incommensurable, une grosse masse invisible comme peut l’être l’océan qui s’étend à l’infini tant son horizon est indissociable du ciel.

Mes yeux s’en vont à ma boisson qui s’en revient à ma bouche, pour une nouvelle gorgée. Ils ne tarderont à revenir à celui qui continue d’avoir mon attention auditive.
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MessageSujet: Re: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptySam 3 Aoû - 12:40

Plongée en eaux troubles

À ma remarque sur le bavardage hypothétique des nuages, la belle me répond par une longue tirade digne d’un auteur classique. Elle laisse un temps reposer sa voix. Je termine d’analyser ses mots, mon anglais est fluide, mais la barrière des nuances reste. Le grand lecteur que je suis repère le chiffre sept. Mais il ne me renvoie pas aux sept émotions de base, endoctrinement catholique oblige. On ne renie pas les croisés de son arbre généalogique. Darwin contre Thomas d’Aquin, vaste programme.

Ma première impression se trouve renforcée. Cette crinière couleur champ de blés mûrs abrite une cervelle agile.

- Thomasine Océane.

Tiens ! Quand on parle de Thomas, il en surgit un autre au féminin. J’aime les coïncidences, les occurrences hasardeuses. Non que j’y trouve un message caché, mais j’apprécie ces simultanéités incongrues pour leur aspect artistique, comme le reflet d’une glace dans un miroir. La force du détail inutile.

- Le nom étant orthographié à la française, pour qu’on ne se trompe sur sa prononciation., précise-t-elle.

Mes lèvres s’étirent en un fin sourire. Encore une synchronie. Elle poursuit dans un français impeccable comme en écho à mes pensées, instillant un trouble certain dans mon esprit.

- Cocasse coïncidence.

Décidément… Cela me rappelle une tirade dont je ne me souviens plus la provenance.

- Une fois : c’est un accident, deux fois : une coïncidence, trois fois : un schéma, répliqué-je en écho.

Est-ce ainsi que l’on détermine les tueurs en série, ou était-ce à propos d’autre chose ? Avec toutes les nouvelles notions que je dois apprendre, ma matière grise sature et s’emmêle. Je laisse là mes cogitations et la regarde se saisir de son verre avec grâce. Le geste me renseigne un peu sur ce qu’elle est, ou plutôt sur ce qu’elle n’est pas : une Américaine lambda aux manières de chiffonniers. Elle porte un toast qui me perturbe.

- Aux déplacements, aux voyages, aux déménagements et à l’instabilité, qui ont permis aux hommes de traverser les mers et nous ont menés ici aujourd’hui.

Je me serais bien passé du grand chaos qui m’a arraché à ma vie. J’hésite, lève mon verre et le tinte contre le sien sans un mot.

- Quels sont-ils, pour vous ? Si je ne suis pas indiscrète, évidemment.

A-t-elle noté mon trouble ? Je réponds à ma façon.

- Aux voyages choisis, au libre arbitre et à la liberté.

Tout ce qui m’a été refusé récemment. Je pensais bien venir aux États-Unis, mais pas ainsi, pas à cette date si éloignée de ma naissance. Je n’ai plus mon libre arbitre par méconnaissance de la société qui m’entoure. Et enfin, je suis attaché à Macsen par nécessité vitale. Il a beau être charmant, la dépendance me pèse.

Thomasine m’observe sans scrupule. Que voit-elle ? Que déduit-elle ? Puis brusquement, elle se détourne. Quelle femme singulière, voire étrange ! Une intrigante ? Machinalement, je sors mon paquet de cigarettes, sors une tige de nicotine, pour la replacer illico dans son paquet sous la conduite d’un raclement de gorge du barman. Interdiction de fumer dans les lieux publics, les bars et même les trottoirs… Macsen m’avait dit que c’est à cause des frais de santé induits que cette loi pourrit la vie des gens. De mon point de vue. Le cancer, ou est-ce le capricorne ? La maladie au nom d’un signe d’horoscope tue plus qu’une guerre, paraît-il. Plus moyen de s’empoisonner tranquille. Pourtant la saveur d’un whisky s’exalte avec la fumée. Je garde le paquet en main, il occupe mes doigts impatients. L’inactivité me pèse.

À mes côtés, c’est le silence. Il est attendu que je relance la conversation. Plus facile à dire qu’à mettre en œuvre sans trahir mes lacunes. Je n’ai pas envie de devenir une attraction.

« Venez voir le grand Hibernatus, Josh R. de Roncevaux, le descendant de l’illustre Roland. »

Pathétique.

Je me secoue intérieurement. Allez, Josh, ce n’est pas comme si tu ne savais pas briller en société.

- Et qu’est-ce qui amène une belle égérie dans ce bar à cette heure improbable entre chien et loup ? Si je puis me permettre une pareille indiscrétion ?

Je pose mes cigarettes pour me saisir de mon verre et le délester d’une gorgée.

- Je ne connais pas encore bien New York et encore moins ses codes de conduite. Pardonnez-moi si je me montre maladroit.

Cela donne parfois un charme... Ou pas. J’affiche sans mal un sourire charmeur. La dame est plaisante à regarder. Son esprit me paraît vif et instruit. J’ai tout à apprendre, sinon passer un agréable moment. Puis ce n’est pas comme si je n’avais pas tout mon temps. Peut-être l’inviterai-je à dîner, si elle ne s’effarouche pas.

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MessageSujet: Re: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptyLun 12 Aoû - 8:39

"Une fois, c’est un accident ; deux fois, une coïncidence ; trois fois, un schéma", voilà qui me fait sourire en écho de celui qui l’énonce. Nous en sommes à deux fois, si mon interprétation est correcte. Si elle ne l’est pas, voilà qui contredit mes dires. Ayant tendance à me fier à ma parole, c’est vers le potentiel schéma que je me tourne mentalement. Entre autres vagues, évidemment. Dont celle d’alcool, sensée brouiller la pensée et faciliter l’expression. Dont celle du toast, polysémique et partant en partie au dessin d’un schéma.  

Le sourire de Josh s’efface face à mes mots. Peut-être l’ai-je perdu, peut-être l’est-il ; perdu. Renfrognement, voici qui est noté. Hésitation, voici qui est observé. Réponse, voici qui est accordée. Cryptique cependant. Les voyages choisis ont ma présidence, là où ma relation à la liberté diffère des normes de cette classe sociale, pour ne pas dire de cette société à cette époque. Le libre-arbitre est plus intéressant. Les deux associations d’idées ont un sens, lequel est clé de la compréhension du sens véritable. La connaissance de son profil psychologique est également utile, puisqu’avantageant intellect et émotion au détriment de l’instinct. L’interprétation intellectuelle est présentement simple, merci le mot "choisi". L’interprétation émotionnelle plus nuageuse, même si l’assombrissement du visage du jeune homme laisse comprendre la connotation négative. Qu’elle fasse ou non parti de ses valeurs, c’est par ironie que Josh de Roncevaux trique à cette trinité. Puis, à son expression en succède une autre, face à mon regard. Si mon analyse s’interrompt, on ne peut dire que je fuis le sien ; de regard.

D’autant que mes yeux ne s’éloignent longtemps, attirés par l’extirpation d’un objet qu’il leur faut identifier. Je m’en reviens à mon verre pour une nouvelle gorgée, laissant-là une coutume récente s’heurter à une autre. L’action du barman ne me conduit même pas à lui accorder plus d’un regard. Un autre pour observer la manuelle manipulation. Pour ma part, cinq doigts se limitent à un verre. Cinq autres pendent, accrochés à un membre dont je n’ai l’utilité pour l’heure. Aucun d’eux ne trahit réellement un sentiment, ou même un mouvement.

« Et qu’est-ce qui amène une belle égérie dans ce bar à cette heure improbable entre chien et loup ? »

Le point commun entre chien et loup, justement : la chasse ; la pensée m’amuse tout autant que le renvoi à l’indiscrétion. Mon regard entraine mon visage jusqu’à ceux de Josh, alors même qu’il se décide à canaliser son énergie autrement que par cette interdiction qui lui a tacitement été faites. Son aveu me fait tout autant sourire que ses compliments, quoique moins amusant que ses expressions verbales comme faciales. C’est à mon tour de répondre alors qu’il s’abreuve, la chorégraphie continuant.

« Evidemment que vous pouvez vous permettre pareille indiscrétion. »

J’ai suffisamment voyagé en France pour connaitre les raisons qui ont conduit à considérer ce peuple comme celui du romantisme, ou encore sa capitale comme celle de l’amour. Choses qui n’enlèvent rien au charme de Josh, dont il fait usage à présent. Il connait d’autres codes de conduite que ceux de New York et sait les utiliser au mieux.

« Je ne suis pas de New York non plus, ni ancienne en son sein, reprends-je placidement. J’ai vu les conventions sociales de tant de lieux qu’elles ne m’importent plus que dans leur utilité ; vous n’avez donc de crainte à avoir. »

Je relâche le verre d’alcool pour me tourner vers celui de thé, semblant d’autant plus chaud que le précédent est frai. Agréable sensation, pour un geste symbolique.

« Je suis ici pour le travail, tant dans la cité-état que dans ce bar. Après douze ans à parcourir le monde pour aider ses survivants, je me suis invitée là où ils s’en sont le mieux sortis. Evidemment, ça complique mon œuvre mais je ne rechigne pas à la difficulté. Et puis il y a fort à faire au Quartier Grey. Vous n’êtes pas tombé loin avec l’égérie. »

Le petit rire qui conclut ma déclaration est amusé ainsi que, peut-être, légèrement ironique. Evidemment que ma forme humaine est belle, je ne me serais pas incarnée dans une créature desservant mon action quand bien même je ne rechigne pas à la difficulté. La beauté est également une convention sociale, variable à travers le temps et l’espace ; comme dit, elle m’intéresse donc en tant qu’outil.

Je prends une inspiration alors que ma seconde main se trouve une utilité. Elle s’en va à ma veste denim verte pour la tenir le temps que la première délaisse le thé vert pour s’en aller dans une poche. Elle en sort une fine boite métallique, l’ouvre et présente à Josh l’une de mes cartes de visite.

« Si jamais vous avez besoin de quelque chose d’ordre, disons, à votre discrétion. Tant que vous m’accordez ma pause en cette soirée, cela m’ira. »

Il est plus aisé d’imaginer que je prenne une pause en un lieu comme le Golden Snake que j’y cherche des clients, même si mon action peut le laisser comprendre. Après, la pause est réclamée ; ainsi donc Josh devrait-il me supposer en pause et me laisser libre de continuer à serpenter à mon envie, le temps que je comprenne les siennes.

« Je vous demanderai bien ce qui vous amène, de votre côté. Cependant, j’ai cru comprendre que ce n’était pas réellement votre fait, ni votre volonté. Chose étonnante, considérant combien de personnes seraient prêtes à tout pour venir ici. Croyez-moi, j’en ai croisé. »

Et aidé, à ma manière. La légende d’une ville retournée à l’état "d’avant", où la société thermo-industrielle fleurit de nouveau malgré la catastrophe de 2007, provoque l’Envie chez tant des survivants qui l’entendent. Autrefois, les habitants du sud économique rêvaient de s’intégrer à cette société "avancée". Désormais, même les habitants de l’ancien nord économique veulent retrouver ce mode de vie qu’ils ont perdu. Je préside aux déplacements, aux voyages, aux déménagements et à l’instabilité : évidemment qu’émigration et qu’immigration m’ont toujours beaucoup impliquée. Sans aller jusqu’à dire que les morts en mer, depuis la méditerranée jusqu’au golfe du Mexique, sont des sacrifices m’étant dédiés… disons que nombre de traversée ont été assurées par mes services. M’appartenir après la mort pour avoir une meilleure vie, toujours…

Ma carte rangée, mes mains s’en vont. La première se dépose entre chaud et froid, entre thé et whisky. La seconde, elle, atterrit sur ma cuisse.
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MessageSujet: Re: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptyLun 26 Aoû - 6:10

Plongée en eaux troubles

La belle ne s’offusque pas de ma curiosité. C’est déjà un bon point. Je trouve les américains assez paradoxaux dans leurs relations avec les autres. Ils peuvent passer de la légèreté à une pudibonderie farouche. Je ne sais jamais ce qui est acceptable, tolérable ou inconvenant. Et pour un français comme moi, il semble que je flirte souvent avec cette mince frontière qui vous fait passer pour un gougeât.

« Je ne suis pas de New York non plus, ni ancienne en son sein. »

A la bonne heure ! Je lève brièvement mon verre, pour saluer ce camp fictif auquel nous appartenons. Thomasine affirme avoir vu assez de conventions sociales différentes pour ne pas juger l’approche, mais le fond. Si elle n’est pas d’ici, d’où peut-elle bien venir ? Elle parle le français, son nom s’orthographie à la française, pourtant j’ai le sentiment qu’elle n’est pas ma compatriote. Elle l’aurait déjà dit. Elle abandonne le verre que je lui ai offert pour son thé. Un chaud froid volontaire ? Je reste muet, savoir se taire est un art.

Je suis ici pour le travail, tant dans la cité-état que dans ce bar. Après douze ans à parcourir le monde pour aider ses survivants, je me suis invitée là où ils s’en sont le mieux sortis. Evidemment, ça complique mon œuvre mais je ne rechigne pas à la difficulté. Et puis il y a fort à faire au Quartier Grey. Vous n’êtes pas tombé loin avec l’égérie.

Elle émet un rire, léger, un poil affecté. Je fronce les sourcils. S’il y a une chose que j’ai compris en venant à New York, c’est que se déplacer n’est pas une sinécure. Je dois mon passage à l’importance qu’a la famille Caerwyn. Les moyens de transport sont plus efficaces qu’à mon époque, mais les frontières se sont durcies et les autorisations épluchées avec soin. Une « égérie ? Sur quel genre de feu follet suis-je tombé ? Mon ficus personnel m’avait mis en garde, que ma qualité d’humain pouvait faire de moi, un casse-croûte sur patte, — les vampires existent —. J’avais mis du temps à accepter que Macsen ne se moquait pas de moi. Il y avait aussi les sorciers qui pouvaient vous choisir comme cobayes, sans parler des divinités. J’avais trouvé les vampires plus plausibles, mais Macsen avait répliqué que pour chambouler la terre comme elle l’avait été, il fallait à minima être divin… ou divine. En me réveillant, j’avais dégringolé de la première marche de la chaîne alimentaire. Un peu rude à encaisser pour l’homme fier que je suis. J’ai dû ranger mon arrogance dans ma poche, mais je n’en forge pas moins mes armes. David a vaincu Goliath. La force n’est rien sans intelligence. Ma survie devient un jeu presque politique, où l’art de ne pas ressembler à une proie est délicat.

Alors, quel genre de spécimen ai-je là ? Thomasine a les articulation des genoux dans le bon sens, cela élimine le faune comme Pryedi. Macsen a une apparence humaine, mais il dégage un… A ses côtés, je suis parfois pris d’une furieuse envie de le plaquer contre un mur pour des actes licencieux et tout cela mu par un besoin irrépressible, ce qui au final est bien déplaisant. La belle plante à côté de moi ne l’est qu’au sens figuré du terme. Elle ne dégage pas ce glamour comme Mascen.

Je suis du regard son geste élégant pour sortir un mince porte carte métallique. Elle m’en offre une en la glissant sur le zinc du comptoir. Elle ne ressemble pas à ce que j’ai eu l’habitude de voir, ni à celles que je donnais à mes clients. Là où je m’attendais à un nom, une profession et un point de contact, se trouve un texte.

Besoin de services ou de conseils de la part d’une personne pas trop regardante sur vos activités et vous ? Thomasine Océane, pour vous servir.

Des millénaires d’expérience me permettront d’interpréter librement votre demande pour qu’elle serve mes intérêts mais soyez assurés que vous y gagnerez quand même ce que vous aurez réclamé…
dans l’immédiat ou par la suite !
Les prix sont à négocier durant la rencontre. Ouverte à tous et à toute heure. Joignable par téléphone et dans tous lieux impliquant des courants telluriques. Pour plus de détails, voir au verso.


- Des millénaires d’expérience…. Impressionnant !

Exit les faunes, cela ne corresponds pas à leur longévité. L’indice écrème la liste des choses vivants étranges. Pas une louve garou donc. Une sorcière ? Plus de mille ans ce serait assez remarquable. Une vampire ? Dois-je lui dire que j’ai très mauvais gout ? Non, je vais éviter. Reste le reste… L’Olympe et sa clique de divinité. Il y en a pour tous les éléments, toutes les envies et tous les travers du monde.

« Si jamais vous avez besoin de quelque chose d’ordre, disons, à votre discrétion. Tant que vous m’accordez ma pause en cette soirée, cela m’ira. »
- Je vous en prie.
« Je vous demanderai bien ce qui vous amène, de votre côté. Cependant, j’ai cru comprendre que ce n’était pas réellement votre fait, ni votre volonté. Chose étonnante, considérant combien de personnes seraient prêtes à tout pour venir ici. Croyez-moi, j’en ai croisé. »
- Il suffit d’être sous la protection de la bonne personne.

Je n’aime pas le terme de protection, car si effectivement Macsen me protège, il le fait par dette. Enfin, c’est ainsi que je vois notre association. Je sais bien que le faune a sa propre vision des choses et de ses actions. L’empathie d’un ficus…

J’ai choisi mes mots. Je montre ne pas être tout à fait démuni. Bon si elle a la capacité de me figer comme une Gorgone, rien ne l’empêche. Est-ce une démone ? Sa carte dit que son service doit être à double sens. Les mots sont bien trop vagues et laissent penser à l’arnaque du génie à la lampe. Ces djinns qui interprètent vos vœux comme ça les arrange, se cachant derrière les subtilités de la sémantique et des diverses lectures que l’on peut faire d’une simple phrase.

Prudence est mère de sûreté, toutefois l’ère des hommes s’est achevée. Je n’ai rien d’un ermite qui vivrait en reclus. Il me faut prendre connaissance de ce nouveau monde, faire sa conquête. A ses pensées, je me redresse sur mon tabouret. Cela sonne comme aventure et exploration.

- Et bien. Mon souci le plus immédiat serait de trouver à occuper ma soirée. Une expérience millénaire ne me serait point utile, mais la compagnie d’une ravissante personne et sa connaissance d’une bonne adresse… Me permettriez-vous de vous inviter à dîner dans le restaurant de votre choix ?

Je ne sais comment ni avec quel pouvoir Thomacine peut se targuer de satisfaire les désirs de chacun. Mais j’imagine que le paiement de son aide est à la hauteur de service demandé. J’espère que cette proposition de repas ne va pas me coûter mon âme ou je ne sais quoi en échange de sa radieuse présence.

Je pense à mes envies de reprendre mes activités, de ce réseau à refaire, les confiances à gagner. Quel intérêt y aurait il à bâtir une affaire en pipant les dés ? Je ne suis pas naïf, et j’ai déjà trempé dans de l’import illégal, toutefois j’ai une certaine vision de la noblesse d’esprit qui dicte ma conduite. Le monde a changé, je vais devoir m’adapter, mais avant de m’asseoir sur mes convictions, je veux cerner et comprendre les nouveaux enjeux. Je vois cela comme une croisade, indécrottable royaliste que je suis.

Je ne sais pas interpréter le regard que m’envoie la belle blonde. Un dîner pourrait m’en apprendre plus. Peut-être pas sur ses activités, mais sur son fonctionnement. J’ai envie d’en savoir plus, qui est-elle ? Vivre des millénaires ! N’est-ce pas ennuyeux à la fin ? Elle doit connaitre les réactions des gens par cœur.

- Ma proposition est sans arrières pensées. Sans aucune intention d’apporter un marchandage quelconque à cette soirée, sinon le prix du repas et de vos verres qu’un gentleman ne saurait laisser à la charge de son invitée. N’y voyez pas du machisme de ma part, mais un sens exacerbé de la galanterie.

Au pire elle m’envoie balader, au mieux je découvre ce qu’elle est. Je pressens que cela peut être fascinant.

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MessageSujet: Re: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptyMer 28 Aoû - 7:02

Un toast silencieux aux étrangers, c’est une réaction à laquelle je réponds tout aussi placidement que les dires l’ayant entrainée. New York City, tout comme les Etats-Unis d’Amérique ou même la France, se sont historiquement présentés comme des terres d’accueil. "Etranger" n’aurait dû y être pertinent, pourtant cette notion les a accompagnés et rongés. Qui sait jusqu’où cela aurait pu aller, sans la Brèche. Il suffit de voir où cela est allé avec ; New York City, protégée par les rivières entourant Manhattan et par un mur que tous ne peuvent voir, mourant à la nage pour être emportés par les courants. Evidemment, je n’irai toujours pas jusqu’à dire qu’il s’agit-là de sacrifices m’étant dédiés.

Mes flots de paroles continuent, portant la bouée de la curiosité de Josh de Roncevaux. Les questions. La tension. L’observation, réciproque. Qu’y a-t-il à voir sur mes jambes ? Croisées d’aise, l’une a l’une des barres du tabouret dans le creux de son talon et l’autre lui repose dessus en lançant son propre pied en avant. Ajouté à ma posture de trois quarts, cela forme un demi-cercle assez isolant du reste de l’environnement, retenant l’attention de l’humain sur ma personne. S’il est dans ce bar pour pêcher à la ligne, je le fais au filet. Il est donc d’autant plus dur de m’échapper. Surtout lorsqu’on n’essaie pas ; le meilleur moyen de réussir quelque chose est de convaincre autrui que cela sera le cas.

« Des millénaires d’expérience… Impressionnant ! »

Mon regard se fait un instant plus abyssal. Peu de gens prennent au sérieux cette présentation, chose qui n’est pas son but. Marquer l’esprit, me démarquer, introduire la folie qui m’accompagne. Lorsqu’ils réalisent qu’elle ne contient ni mensonge ni métaphore, s’ils le réalisent, mes clients sont déjà, et bien, mes clients. Cela étant, je suis incertaine quant à l’interprétation de Josh : sa réflexion est plus profonde que sa réaction orale. Il pourrait prendre au pied de la lettre ce qui est écrit. Il pourrait déjà savoir. A mon tour d’être curieuse. Enfin, plus curieuse que je ne le suis déjà.

Nos échanges se terminent par une information d’une grande polysémie : il suffit d’être sous la protection de la bonne personne. Vrai. Nombre d’immigrés ont été sous la mienne, même s’ils n’avaient ni le niveau d’éducation ni la bien portance de Josh. Et, comme les humains suscités, l’importance dans l’affaire était "la bonne personne". Qui ?

A mon tour de m’interroger, de réfléchir, d’hésiter. Loki a été la première autorité de New York City, dirigeant même sa reconstruction. Cependant, la protection de Loki n’a jamais été quelque chose de fiable, chose significative venant de la part de quelqu’un comme moi, et elle s’est effacée en même temps que son emprise sur la Mairie. Hera a lancé une grande protection concernant les créatures magiques, chose qui justifierait amplement l’accès à l’une d’entre elle au sein de cette cité dont elle a hérité, qu’importe qu’elle en ait été dépossédée à son tour. Si tel est le cas, Josh n’est pas humain. Voilà qui serait… guère différent d’une rencontre avec un humain, en réalité. Il ne fait pas parti des créatures qui se reconnaissent facilement, chose incluant les divinités, ni de celles qui me reconnaitraient facilement, je pense particulièrement aux dragons et aux démons. Après, viennent les myriades de créatures plus petites et les infinies possibilités de tutelles avec tout ce qui est plus haut qu’elles sur la chaine alimentaire. Inutile de s’y pencher tant que plus d’éléments ne sont pas disponibles, d’autant que la possibilité d’un humain éduqué n’est pas écartée. Tant que Josh a une âme, cela me convient. Et s’il n’en a pas, ma pause est d’autant plus justifiée. Dans tous les cas, il n’est pas réellement une menace.

L’inverse n’est pas vrai, il le sait.

Quelque soit sa bonne personne, il n’a pas l’air certain de sa capacité à le protéger. Ses réflexions s’accompagnent d’une tension et se concluent d’un redressement. Josh fera face. Je dirais bien qu’il me reste à savoir quelle forme de courage est-ce là mais il n’est clairement pas stupide ainsi conclurai-je sur la bravoure. Accompagnée de son verbe, elle est appréciée.

« Et bien. Mon souci le plus immédiat serait de trouver à occuper ma soirée. Une expérience millénaire ne me serait point utile, mais la compagnie d’une ravissante personne et sa connaissance d’une bonne adresse… Me permettriez-vous de vous inviter à dîner dans le restaurant de votre choix ?

- Si vous voulez tenter le diable… »

Six petits mots d’une polysémie aussi importante que la dizaine justifiant son arrivée ici, son absence de choix et son protectorat. Un test, indiscutablement ; s’il appartient à ce monde "surnaturel", s’il cherche réellement à savoir quelle place j’y occupe, voici qui devrait être un indice important. Alarmant. Mes yeux fixes Josh de Roncevaux, leurs pupilles couleur océan entourant leurs iris abyssales. Lorsqu’on regarde trop longtemps l’abîme, je vous rends votre regard. Dans ces cas-là, me faire face c’est comme se tenir face à quelque chose d’incommensurable ; une grosse masse invisible, bien au-delà de la soixantaine de kilogrammes de cette silhouette au mètre quatre-vingt rehausser d’une demi-douzaine de centimètres de talons.

Sa proposition est sans arrière-pensée, précision d’autant plus ironique qu’elle trahit ses arrières pensés et que l’ironie consiste justement à dire l’inverse de ce que l’on pense. Tu as des arrières pensées, Josh de Roncevaux, mais pas celles auxquelles tu penses que je peux penser. J’ai ces mêmes arrières pensés, si tu penses à ce que je pense. Nul marchandage, car à quoi bon négocier une information que l’on peut obtenir par soi-même ? A quoi bon négocier une chose que l’on peut obtenir par soi-même ? Je n’y vois pas de machisme. J’y vois une enquête. Une enquête sous couvert de la galanterie mais une enquête tout de même. Une enquête que je mène également. Cela promet d’être divertissant.

« Votre galanterie vous pousserait-elle jusqu’à me préparer un diner en votre demeure, si cela vous est permis ? "Dis-moi ce que tu manges : je te dirai ce que tu es" ; Jean Anthelme Brillat-Savarin, si vous connaissez. »

S’il pêche à la ligne, je pêche au filet : il cherche à m’accrocher, je cherche à l’amener là où je le veux. A serpenter jusque dans son antre, j’en découvrirai encore plus sur lui et possiblement sur son protecteur. Chose pouvant motiver qu’il préfère rester en terrain neutre, ce qu’est le restaurant par excellence. Chose qui peut être préférée par son protecteur, d’ailleurs. C’est pourquoi j’ajoute, avant de porter mon thé à mes lèvres :

« Cela étant, s’il n’est nul machisme, nous pourrions toujours aller chez moi. Battery Park, au sud-ouest du Port. Par galanterie, vous ferez le diner. »

Polysémie, là encore, alors que mes lèvres embrassent le contenant de ma boisson, celle-ci filant entre elles. Symbolisme, je crois que tu ne cesseras jamais de m’amuser. Dommage que je n’aie nuls crochets à planter contre le verre, sous cette forme. Le liquide, en tout cas, est de la bonne couleur. De la bonne température, bientôt. Reste à éviter de refroidir Josh au point qu’il en arrive à celle du whisky.

« Je me permets de vous prévenir, j’ai un régime majoritairement végétarien. »

Je garde mon verre de thé en main, la seconde s’en allant volontairement replacer une mèche de cheveux derrière mon oreille. Signe de charme pas totalement inapproprié mais biaisant totalement mon invitation. Sur une péniche, il est dur d’élever des animaux en quantité suffisante pour être régulièrement cuisinés. Cela étant, je ramène tout aussi régulièrement de la viande à ma table, reste à savoir si Josh se sentira concerné. Des informations supplémentaires sur sa nature. L’opportunité pour lui de découvrir la mienne. Un pari. Le fera-t-il ?
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MessageSujet: Re: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptyVen 6 Sep - 12:10

Plongée en eaux troubles
- Si vous voulez tenter le diable…  

Je déglutis. Dans un autre temps, un autre lieu… une autre époque j’aurais ri à gorge déployée. Oui, j’aurais ri, ajouté de la malice et poussé le trait vers une débauche sans réel danger sinon de croiser un mari jaloux. Ici, je ne pense pas devoir craindre un quelconque époux. La belle dame n’a d’ailleurs pas d’alliance.

« Tenter le diable » ? Je lance un regard à la silhouette élancée assise à côté de moi. Avec ses échasses, elle me dépasse avec classe. Sans, nous sommes à même hauteur, en apparence. À nouveau, j’ai cette désagréable sensation d’être un souriceau, un gentil lapin dans sa cage, un animal de compagnie si je voulais vraiment devenir amer.

Thomasine n’est pas grosse ni lourde, tout au plus un bon 38 aux hanches, bonnet B pour une poitrine ferme sans subterfuges. Enfin, Macsen m’a dit qu’il ne fallait pas se fier aux apparences. Cependant, j’ai l’impression d’avoir une masse infinie à côté de moi. Si lourde qu’elle en change presque la gravité. Un léger frisson me parcourt. Crainte, excitation, je ne saurais le définir. Les deux peut-être. Sûrement. Je pense à mon épée. À cette simple évocation, j’ai la paume de la main droite qui picote. Durendall est là, dans ce que je suppose être une autre dimension. Il me suffit de la vouloir consciemment ou non et elle se matérialisera dans ma main, légèrement tiédie de cette magie dont j’ignore tout.

Ma seule défense propre. Elle est réputée pour trancher n’importe quel matériau. Mais qu’en est-il des nouveautés et autres entités apparu sur terre ? Si vieille soit-elle, Durendall reste bien jeune comparée à l’éternité de ma compagne de comptoir. Si je devais défendre ma vie et plonger Durendall dans le joli corps assis près de moi, que se passerait-il ? Éloignera-t-elle le danger ou se brisera-t-elle ? Je n’ai pas envie d'avoir besoin de prendre le risque. Puis, ne me monté-je pas la tête sur d’hypothétiques intentions malveillantes de la part de ce visage presque parfait. J’aime bien ses lèvres, son sourire en demi-teinte à la Mona Lisa.

Le diable donc. Une diablesse plutôt. Je la devine assez joueuse pour imaginer qu’elle ne me ment pas. Le diable est masculin, d’après les saintes Écritures. Les mêmes qui ont fait traverser la mer rouge à pied à Moïse, fait marcher Jésus sur l’eau et décrire la terre comme plate. Je lève les yeux de mon verre. A-t-elle connu Moïse ? Et Aristote ! Et… Pour le féru d’histoire que je suis, c’est grisant d’imaginer rencontrer quelqu’un qui peut raconter ce qu’il s’est réellement passé. Car ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire à leur image et pour leur gloire. Et je sais de source familiale que par exemple Charlemagne n’avait pas de fleurs à sa barbe ni une quelconque délicatesse dans sa personne. En fait, il puait le bouc et la transpiration, car à cette époque-là, on ne se lavait pas. Tout à mes pensées, je ne vois pas venir sa prochaine réplique qui fauche ma verve naturelle quelques instants.

- Votre galanterie vous pousserait-elle jusqu’à me préparer un dîner en votre demeure, si cela vous est permis ? "Dis-moi ce que tu manges : je te dirai ce que tu es" ; Jean Anthelme Brillat-Savarin, si vous connaissez.  

J’assimile sa tirade. Depuis le début ses mots sont à double voir triple sens. Réfléchis avant de répliquer mon gars sinon c’est elle qui va te cuisiner. Cela ne me déplairait pas, mais au sens figuré du mot.

- Je possède, ou plutôt possédais une réédition de 1903 de son ouvrage sur la Physiologie du goût : « Ceux qui s'indigèrent ou qui s'enivrent ne savent ni boire ni manger. » L’homme était un fervent d’Épicure. J’aime beaucoup l’idée. Cela vous renseigne-t-il sur celui que je suis ?

Lui faire à manger est dans mes cordes. A Paris c’était mon majordome qui me préparait les repas. Mais je ne mourrais point de faim quand il prenait ses congés ou sa journée sabbatique. Quand on a du temps et de l’argent, faire à manger devient cuisiner. La même délicate nuance qu’il existe entre bouffer et manger.

Par contre, la recevoir dans ma demeure, c’est impossible. Je n’ai pas encore mon indépendance et je me vois mal appeler la fougère devant la belle pour lui demander l’autorisation de ramener une femme dans l’appartement. En plus de me retrouver en bas de l’échelle, me voilà dans la peau d’un adolescent soumis à demander des autorisations. Grinçant ! Elle doit deviner ma déconvenue.

- Cela étant, s’il n’est nul machisme, nous pourrions toujours aller chez moi. Battery Park, au sud-ouest du Port. Par galanterie, vous ferez le dîner.
- Je relève le défi volontiers. Et je veux bien être accueilli. Je ne me sens pas encore l’audace de faire comme chez moi là où je loge. Question d’éducation.

Je ne sais pas où je mets les pieds. Je pressens un danger latent. Mais ce n’est pas parce que vous côtoyez un danger que celui-ci vous saute à la gorge. La flamme de mon briquet brûle, pourtant il ne m’a jamais blessé. Je suis cerné par des êtres hors normes. Me terrer n’est pas dans ma nature. Je ne vais pas me réclamer chevalier comme l’ont pu être nombre de mes ancêtres. Mais j’ai déjà « guerroyé » à ma façon. Sous couvert de faires des affaires au comptoir de la compagnie des Indes à Pondichéry, j’espionnais les Britanniques pour le compte du gouvernement français. Mes armes : tenir l’alcool et ma capacité à faire parler les autres. Pas certain que mon expérience me serve aujourd’hui, mais ma curiosité l’emporte sur la prudence ennuyeuse.

- Je me permets de vous prévenir, j’ai un régime majoritairement végétarien.  

Ai-je poussé un soupir de soulagement ? J’incline la tête et souris d’un air entendu.

- Une nouvelle mode alimentaire. Personnellement, je reste un viandard, mais je sais m’adapter.

L’alimentation avait considérablement évolué en un siècle. Végétariens, végétaliens et autres rongeurs de carottes. Autant je concevais ce genre de nutrition atrophiée de protéines animales quand l’environnement fait force de loi pour des raisons de climat ou d’économie. Mais choisir volontairement de modifier sa nutrition pour des considérations qui sont à mes yeux farfelus me dépasse. Je n’aurais pas parié sur cette tendance chez Thomasine. Soudain, je me demande si je ne fais pas d’archaïsme. Depuis quand virer la viande de son assiette est-il de mise ?

- Je vous propose de faire notre marché en chemin, quand votre « pause » sera terminée.

|||

Dehors la luminosité m’agresse après l’ambiance feutrée du Golden Snake. Je laisse ma compagne d’un soir me guider sur le chemin à prendre. C’est en bon touriste que je suis. Une grande partie de la ville m’est encore inconnue. Je n’ai aucune idée de ce que je vais lui cuisiner. Je compte sur l’inspiration du moment devant les étals.

Nous venons de traverser une large avenue lorsque je repère une enseigne qui me paraît familière, car écrite en français : Boulangerie. Je la désigne à Thomasine qui s’en amuse.

- Un Français sans pain est un français malheureux.    

Mis en joie par la vision de ce bout de France, j’attrape sans calcul la main de Thomasine et m’élance à traverser la rue en évitant les voitures. Nous arrivons sains et saufs sur le trottoir d'en face, après quelques remontrances sonores de klaxons.

- Pardon, je me suis emballé comme un enfant.    

Ma gêne est virtuelle. En fait, cela m’amuse. Le challenge de lui préparer un dîner qui lui convienne occulte le reste. Dans la boutique, je m’enivre du parfum de pain chaud. Je commande en français ce que je souhaite. Mon instant de béatitude se fissure. Ici, on ne parle qu’anglais.

- Tss.    

La belle semble se moquer. Je lui montre que je suis doué pour imiter le chiot battu.
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MessageSujet: Re: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptySam 7 Sep - 15:59

Comme je m’y attendais, ma déclaration a créé une tempête dans l’esprit de Josh.

Il a dégluti, m’ayant prise au sérieux ; confirmant sa connaissance du monde occulte, même s’il reste à déterminer son appartenance.

Il a regardé à mon annulaire, réaction bien plus inattendue que la précédente ; surprenante. Cependant, l’alliance de mariage du diable est la tromperie, nul besoin d’anneau.

Il m’a détaillé, passant de la main à la silhouette puis s’attardant sur les formes ; bassin, poitrine. Guère question d’attirance sexuelle, même s’il n’y avait répulsion. Il a enfin perçu au-delà de ce que ces sens lui apportent, découvrant quelque chose en moi qui n’est pas présent dans les trois dimensions que perçoit tout être humain mais qui y transpire tout de même.

Il s’est détourné, abandonnant la peur et l’appréhension pour se plonger dans les flots agités de son esprit ; concentration. Concentration à s’y perdre. Concentration que j’interromps. Va-t-il tenter le diable, acceptant de m’offrir à souper chez lui ?

Josh réfléchit, de nouveau. Il sait sa situation aussi délicate qu’elle n’en parait pas. Il envisage surement les choses dans des dimensions inhabituelles ; la quatrième, le temps, et peut-être les suivantes. Sa réponse est complète, multiple. Une réédition de 1903 de la Physiologie du goût, citée dans la question. Une citation de l’un des vingt aphorismes débutant le livre, cité à l’instant. Un commentaire témoignant de la connaissance plus profonde de l’œuvre. Une information assumée sur lui-même. Et une question : cela me renseigne-t-il sur qui il est ? Par trois fois. Un sourire entendu me sert de réponse muette.

Sa réponse se passe également de mots, ma lecture de son physique suffisant. Le diable chez lui, protecteur ou pas, est une idée qu’il refuse. Question de bon sens. Et de dépréciation, également. Cela pose donc la question du propriétaire du bon sens suscité : lui ou sa bonne personne ? La seconde, m’est avis. Ainsi mon alternative est acceptée, Josh "relevant le défi volontiers". J’en pose mon thé, me redressant pour faire face avec amusement. Sa volonté d’être accueillie est d’autant plus brave qu’il admet ne pas avoir l’audace de pouvoir le faire là où il loge. Heureusement, il tourne cela à son avantage en parlant d’éducation.

Est-ce son éducation qui le pousse à aller au-devant du danger que j’incarne par curiosité et jeu ? Avoir un livre réédité au début du XXe siècle lorsque l’on est trentenaire signifie soit un penchant pour la collection, chose qui n’est pas impossible, soit que sa trentaine n’est pas plus significative que la mienne ; quoi qu’elle fonctionne probablement à l’inverse, considérant que dans une demi-douzaine de jours je l’aurais délaissée pour la quarantaine. La connaissance du livre ne me renseigne pas plus que l’appréciation d’Epicure mais ses manières le font : Josh ne dépareillerait pas au XXe. Moins qu’actuellement.

Mon appartenance à "une nouvelle mode alimentaire" le rassure beaucoup, ou endort sa méfiance. Intéressant therme qui, plus que prouver cette dépréciation qu’il me confirme l’instant suivant, m’incite à le considérer comme d’une éducation prônant la viande à tous les repas. Personnellement, je ne me définirais pas comme "viandarde", considérant que ma principale nutrition vient des âmes. Cela étant, ma grande limitation dans l’ingestion d’animaux en tient à mon incapacité de les élever et de les chasser moi-même. L’élevage ne risque pas de changer mais je dois avouer avoir une certaine hâte de pouvoir libérer ce qui est responsable de mon aura. La chasse recommencera alors…

« Je vous propose de faire notre marché en chemin, quand votre "pause" sera terminée.

- Si vous trouvez une viande qui vous conviennent, n’hésitez pas. Je ne poserais de réserve que vis-à-vis de ce que je possède déjà chez moi. Vous comprendrez mieux mon adaptation, une fois là-bas. »

Pour ne pas dire qu’il comprendra mieux qui je suis. Ou tout du moins le croira. La partie ne fait que commencer.

***
Ma pause n’a pas duré plus que mes deux boissons, ce qui sera surement moins que le chemin. Les risques d’orages secs et l’indice de pollution cinq dont parlaient le journal de Josh sont toujours présent. Le fait que le ciel lui tombe sur la tête reste en suspens ; ou en suspend. Les cieux grondent, obligeant les installations de la ville à apporter une lumière artificielle qui, sans les nuages suscités, serait visible jusque dans l’espace. La présence de l’Homme sur la Terre, comme les boutons d’un exéma s’étendant toujours plus. Retrouver l’électricité après la Brèche était un défi plus aisé que retrouver les carburants fossiles, du fait des capacités de production locales de la plupart des pays. Cela n’en restait pas moins un défi, d’autant plus secondaire que les Etats devaient déjà réussir ceux de la sécurité physique, morale et alimentaire de leurs membres. Celle de Josh est sensément assurée par sa bonne personne. Pour l’alimentaire, je n’en doute pas. Pour les deux autres, je peux remettre en doute ; à voir. Je lui accorderai cependant qu’elle fait de son mieux : après tout, les besoins primaires de Josh, nutrition, santé et logement, semblent assurés. C’est plus que ce que beaucoup d’Etats faisaient avant la Brèche et font encore aujourd’hui. Qu’importe l’état du monde, celui de Josh change également.

La luminosité artificielle de l’éclairage urbain l’agresse. Sans apprécier ces choses tout en reconnaissant à certaines leur utilité, je suis largement habituée à ne plus pouvoir voir les étoiles. Lui, la transition est plus difficile. Alors que je mène la marche comme je mène la danse, j’y réfléchis. Tout immortel a eu le temps de s’habituer à cette luminescence, à l’exception peut-être des créatures les plus isolées. Catégorie à laquelle Josh appartient, tant dans l’espace que dans le temps. Me voici, à mon tour, à considérer plus que les trois dimensions physiques. Force est d’y revenir lorsque mon compagnon du soir y attire mon attention.

"Un Français sans pain est un français malheureux".
Mon amusement pourrait être cynique en se disant que le malheureux arrivera tout de même lorsque le Français découvrira la nature décongelée du pain, voire sa qualité potentielle.
Mon amusement pourrait être vrai face à l’attitude espiègle qui commence à s’emparer du Français et à l’amabilité avec laquelle Josh m’aide à le percer à jour.
Mon amusement pourrait être malveillant vis-à-vis d’à quel point la naïveté de Josh reprend le dessus une fois qu’il est mis en confiance.
Mon amusement est sans doute un peu de tout cela. Il est surtout interrompu. La joie de Josh est disproportionnée.

Son geste aussi.

Je n’y avais jamais pensé mais on me fera remarquer par la suite qu’il y a quelque chose de froid, d'aquatique, au contact de ma peau. Très pertinente considération. Un indice de plus me concernant, pour ceux ayant la sensibilité de le saisir. Quant à me saisir comme Josh l’a fait, voici qui est non seulement inattendu mais également inédit. Surprenant, une fois encore, mais d’une surprise émotionnelle, non intellectuelle.

Une surprise qui me traine jusque dans l’enseigne, bravant par idiotie le courant de véhicules. Intéressant ; plus que les lumières, la manière de traverser de Josh est également datée. Pourtant, tout comme les lumières, les véhicules datent. Traverser n’importe comment aussi, les deux sont liés, mais c’est un indice sur lui.

« Pardon, je me suis emballé comme un enfant.

- Effectivement. »

Même mes enfants ne m’ont jamais trainée ainsi. D’un autre côté, je n’avais nul membre pour le faire ou alors c’était celui d’un dragon inspiré de la forme que je présentais dans la voute céleste. Rien que Josh n’aurait pu bouger. Rien qui ne l’aurait amusé. Je ne partage pas son amusement.

Je ne partage pas non-plus la gêne qu’il feint, complétant son attitude enfantine. Je le fixe, interdite d’abord du fait de la surprise. Puis la seconde s’écoule et mon cerveau reprend le rythme, dissimulant ma dépréciation de cette brusquerie derrière l’amusement précédent. Tel le serpent, je peux être tactile et intime mais, comme tout animal sauvage, l’intrusion non invitée m’agresse.

Mains dans les poches pour verrouiller mon buste et limiter son éventuelle trahison envers mon sourire, je suis Josh dans sa caverne merveilleuse. Sa réaction émotive contraste avec la profonde indifférence que me procurent le lieu, ses gens et ses produits. En revanche, le désenchantement du Français lorsqu’il découvre que la façade française est creuse me déclenche un sourire plus vrai. L’emballement enfantin a perduré plus longtemps que prévu. Il le sait. Il en joue. Afin de m’épargner l’implication des témoins, je réponds en français.

« Tenteriez-vous d’être à croquer ? »

Félicitation, Josh de Roncevaux. Je t’envie. Ton innocence, ton charme, ton insouciance, ta capacité à t’embarquer dans une aventure qui te dépasse complétement et à te satisfaire d’un défi ayant pour but de te donner la maitrise d’une activité afin que tu ais l’impression d’avoir celle de la situation. Tu tombes si bien dans le piège qu’on en vient à te tendre la main pour t’en sortir, ce qui peut être une stratégie. En tout cas, je comprends l’intérêt d’une bonne personne envers toi. Peut-être t’apprendrais-je à faire ton pain, ce n’est guère difficile une fois les ingrédients rassemblés. Reste à savoir ce que j’y gagnerai.

S’il est l’aliment de base dans de nombreuses cultures par la suite, à l’époque qui m’a vue vénérée, c’était l’Egypte qui était seule détentrice du pain au levain. Les dynasties pharaoniques n’étaient pas encore établies que déjà les Égyptiens avaient compris qu'ils pouvaient fabriquer du pain en mélangeant du grain écrasé, ou moulu, à l'eau du Nil, particulièrement riche en limons. En étant incapable, les Sumériens consommaient une grande variété de biscuits et de galettes ; faites d’une pâte non levée et cuites en les appliquant sur les parois brûlantes d’un four. Il existait plus de deux centaines de "pains" différents, selon les farines, les modes de pétrissage, les ingrédients, les cuissons et les présentations. L’un d’eux, le "pain cuit sous la cendre", était "pétri pour la déesse" ; une offrande sacrificielle datant d’un temps où il n’y avait encore qu’une seule déesse. Une Déesse Mère, pour qui les sacrifices d’enfants auraient été inappropriés. Ou pas.

Qu’importe, considérant le sacrifice de libation effectué par Milda, tous les pains seront supérieurs. Cela étant, le sacrifice justifiant que je ne la dévore pas n’était qu’une formalité avec l’apprentie sorcière. Ce qui m’intéressait réellement chez elle était de savoir ce que je pouvais gagner à lui apporter quelque chose. La Déesse des Sorcières…

Qu’importe, considérant le sacrifice d’immolation et le présent d’Alistair, peu d’offrandes pourront les égaler. Evidemment, le démon-faune avait pour intérêt de s’attirer mes bonnes grâces. Ce qui m’intéressait réellement chez lui était de savoir ce que je pouvais gagner à lui apporter quelque chose. Le Dragon du Chaos…

Josh, n’attend encore rien de moi. Actuellement, il me dévoile un nouveau visage. Une jeunesse de l’âme qui le montre bien moins ancien qu’il semble l’être, et l’est parfois. Un second visage pour le moins intéressant, même s’il est possiblement moins révélateur que le précédent. Possiblement. Quel visage découvrira-t-il, de son côté ?

« Alors, y a-t-il un pain pour correspondre à votre goût ? »
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MessageSujet: Re: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptyDim 15 Sep - 15:15

Plongée en eaux troubles

De la publicité mensongère ! La boutique devrait s’appeler « La baguette au plâtre » ou « Aux délices virtuels », ou encore « A la miche congelée. » Bref, ce n’est pas mieux que ce que je trouve à une rue de l’appartement du ficus. C’est simplement mieux présenté, et habilement mis en valeur par une décoration « campagnarde » qui, a y regarder de plus près, est aussi une intox. La ville des illusions… New York me déçoit autant qu’elle m’émerveille.

- Tenteriez-vous d’être à croquer ?

Je soupire, regarde les miches et autres baguettes, puis contemple Thomasine.

- C’est ceci, dis-je en montrant l’étal, qui devrait être à croquer, pas moi. Je suis filandreux, dur comme de la carne avec un arrière-goût de vieux fromage français.

Un signal d’alerte s’est enclenché dans ma cervelle. Ses doubles sens commencent à devenir pesants si ce n’est menaçant. J’imagine bien que ce n’est pas le fumet d’un maroilles ou celui d’un munster qui fera fuir un démon. Mais j’exprime avec les polysémies qu’elle affectionne ma volonté de ne pas me faire mâchouiller sous quelques formes que ce soit. Qui parle comme ça d’ailleurs, si ce n’est les démons et les dieux, mis à part les vendeurs d’assurance, ce qu’elle n’est évidemment pas. Vendeuse de non-assurance plutôt. Comment se défend-on d’un démon ? Quand cela ne se bat pas pour un trône aux enfers où je ne sais pas quelle place dans un coin de la géhenne ? Hum... Trône aux enfers cela rime avec…

Pourquoi je pense à l’émission que je viens de terminer sur le téléviseur de Macsen : « Game of Thrones » ? Mon cerveau zappe. Zappe du verbe zapper, néologisme qui est né après moi comme bien d’autres. Un mode de vie où on s’intéresse à tout et surtout à rien. Une pensée en appelle une autre et ouvre tout un tas de tiroirs emplis de synapses blindées de souvenirs plus ou moins bien rangés. Plutôt moins que bien, depuis mon réveil. À ma décharge, le gros capharnaüm qui règne en cet instant dans ma tête a été provoqué par un bon gros dodo d’un siècle associé à une catastrophe planétaire.

Cersei Lanister ! Yep ! Belle, classe et réfrigérante. La blonde qui tue tout le monde et couche avec son frère. Voilà le résultat ce que me sort ma cervelle pendant que la caisse enregistreuse crache mon ticket de caisse. Je prends mes achats puis coule un regard vers la mienne de blonde. Est-elle aussi calculatrice que Cersei ? Ou une vraie fausse gentille comme Daenerys ? J’offre un beau sourire à ma compagne et sors de la vraie fausse boulangerie.

- J’ai une astuce pour donner l’illusion d’un pain frais. Poursuivons.

Je prends la direction que m’indique Thomasine tout en continuant mes réflexions. Si on transpose, le siège de maire m’apparaît un peu comme le trône de fer que les « familles » se disputent. Que suis-je dans ce jeu de géants ? Pas grand-chose, c’est certain. Il faudrait que je fasse comme Bronn. Il s’en sort bien malgré quelques déboires et il sait se battre à l’épée. Comme moi. Je me rassure comme je peux sur mon potentiel de ne pas me faire… Je souris à Thomasine et acquiesce à sa remarque sur la circulation. Elle me ferait quoi d’ailleurs ?

Une épicerie dont l’étal envahit le trottoir me ramène à ma quête initiale : préparer un bon repas pour Cersei, euh, Thomasine… Reste concentré, non d’un pois chiche.

- Il y a de quoi nous préparer une entrée sympathique. Au moins, ces pousses d’épinard ne sont pas en plastiques… En velouté glacé, c’est exquis. Vous avez des épices classiques sur votre péniche ?


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MessageSujet: Re: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptyMar 17 Sep - 13:46

« C’est ceci qui devrait être à croquer, pas moi. Je suis filandreux, dur comme de la carne avec un arrière-goût de vieux fromage français. »

Le geste me détourne de lui, mes yeux le suivant sans résistance. Mon esprit n’en fait pas tant, capable de multiples courants. Reste à savoir ce qui est le moins vendeur : le pain ou l’homme ? Chacun a ses défauts, c’est donc aux qualités qu’il faut les mesurés. Evidemment, le premier ne sera pas aussi terrible que le second s’annonce l’être ; on ne parle de ranci ni de moisi non plus. Cependant, le second s’est-il déjà goûté pour en témoigner ? Le sperme ne compte pas. Le sang, oui. Est-ce que le sien ne fait-il qu’un tour, quoi que long et lent ? Je n’en ai pas l’impression. Quand je reviens à lui, Josh réfléchit. Logique, considérant le rappel du danger qui plane sur lui. De là à savoir ses conclusions, son astuce reste mystérieuse ; tout comme celle de l’illusion d’un pain frai, qui la conclus. Curieuse de voir cela, cette possible recette de grand-mère. "Poursuivons" est une conclusion expéditive à une époque qui ne l’est pas moins.

« L’illusion est première dans cette société de l’image. »

L’expéditif de mon commentaire dissimulé par mon flegme, même si je continue de regarder Josh pour voir sa réaction à cette réplique. Il est ailleurs mais je ne doute pas de sa vivacité d’esprit afin d’appréhender les doubles-sens. Il commence à s’intégrer en usant d’illusion, d’une image de lui ; même s’il s’agit en l’occurrence de celle du pain. S’arrêter ici alors qu’il réclame de poursuivre est donc fortement intéressant pour moi.

Finalement, c’est un sourire qu’il m’offre. Puis un acquiescement. Inexpressive, je le regarde. L’arrêt à l’épicerie requiert son attention, d’autant que je ne suis d’une grande aide. J’observe, je commente, j’étudie. Je l’étudie. Je l’évalue, même. Une émission de cuisine, sans caméras mais avec un vrai enjeu. Première étape après le filler qui suivra tout au long du repas : l’entrée. Je crois volontiers sa capacité à faire une entrée sympathique, même si je n’apprécie pas son commentaire sur les épinards et le plastique à sa juste valeur. Sans le savoir, il fait pratiquement mouche. Je n’aime pas le plastique. D’ainsi prendre des pousses à l’étale, Josh s’épargne le sachet.

« En velouté glacé, c’est exquis. Vous avez des épices classiques sur votre péniche ?

- Disons qu’il est plus aisé d’y cultiver épinards et oignons que poivre et curry. Je suis certaine d’avoir du sel, cela dit : la mer en regorge. »

Le velouté d’épinard glacé… là encore, Josh ne mesure pas la portée de ce qui se trame autour de lui. L’épinard provient de Perse, exporté bien après que Cyrus ait mené campagne contre Babylone. L’Ordalie de Marduk ayant eu lieu quelques décennies auparavant, j’étais de nouveau "libre"… Ainsi, il n’est pas faux de dire que l’épinard est un de mes vieux compagnons de voyage, d’autant plus appréciable qu’il peut fleurir en été et au printemps. Ainsi donc, il y a une preuve que Josh est meilleur à faire l’assiette qu’à l’occuper. Une idée qui me tire un fin sourire.

« Avez-vous le loisir de cultiver un jardin ? Tant l’appréciation de l’activité que la possibilité de l’accomplir, s’entend. »

Je le laisse choisir les épices, voire les épinards s’il tient à en prendre ici – décision potentiellement plus sage si l’orage se décide à tomber avant la récolte, et l’accompagne en joignant mes mains dans mon dos. Je suis curieuse de sa recette, même si c’est une curiosité secondaire. Curieuse de ce que l’environnement newyorkais lui inspirera comme prochaines étapes, jusqu’à ce qu’il quitte ce monde ordinaire pour mon nouveau monde où il devra les réaliser. Une illusion de fraicheur, une entrée prometteuse… notre rendez-vous s’annonce bien. Suffisamment pour qu’il ne soit nécessaire d’y ajouter quelque chose au menu, au sens propre bien entendu.
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MessageSujet: Re: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptyDim 22 Sep - 12:35

Plongée en eaux troubles

- Disons qu’il est plus aisé d’y cultiver épinards et oignons que poivre et curry. Je suis certaine d’avoir du sel, cela dit : la mer en regorge.

Je regarde ma compagne. Certes, la mer regorge de sel, et je ne me fais plus d’illusions sur la provenance de celui que j’achète dans cette ville. Mais qui n’a pas goûté à la fleur de sel, ne peut comprendre la subtilité d’un marais salant à une bête évaporation d’eau marine filtrée. La belle vient de perdre de l’éclat à mes yeux. La mer, cette soupe primaire qui aurait vu l’émergence de la vie. Un bouillon où forniquent les poissons, et crachent les huîtres, des abîmes où il est aisé d’y effacer l’existence d’une vie. Une odeur d’iode me sature les narines, à moins que ce soit mon imagination. Je n’imagine pas une femme de la classe de Thomacine de sentir le thon ou ni la morue. Je lave mes pensées en me focalisant sur les épinards. C’est que je risquerais cher si la belle se montrait capable de lire en moi comme dans un livre ouvert.

Elle semble valider mon entrée et en connaître quelques ingrédients. J’entre un peu plus dans l’épicerie qui devient presque un temple dans cette ville de surgelés et de conserves. Je cherche une épice pour relever mon velouté et laisse flâner mes sens pour l’inspiration. Une branche de céleri en main, je me tourne vers Thomasine qui me pose une question.

- Avez-vous le loisir de cultiver un jardin ? Tant l’appréciation de l’activité que la possibilité de l’accomplir s’entend.
- C’était impossible dans mon appartement au centre de Paris. Et, si j’en avais eu la possibilité, cela serait resté à l’état d’envie, ou plutôt de belle image. Je ne suis pas de ceux qui se plaisent à travailler la terre. Le seul jardinage dont je peux me vanter avec un beau succès est l’entretien d’un Kotate-mochi. Un lent travail de soin apaisant pour l’exalté que je suis. En vrai, ma tâche constituait surtout à éloigner noiraud qui appréciait ce pauvre bonzaï comme litière.

J’aime les félins pour leur impertinence et leur audace. Et la dame, qui me suit, les mains jointes dans son dos, me fait l’effet d’une lionne, bien qu’elle me semble plus d’affinité marine. Un lion de mer alors ? Je visualise l’animal, regarde mon hôtesse, lui souris poliment. Je viens d’établir un fait certain : elle ne lit pas dans mes pensées, car il est évident que ma joue aurait souffert de mes grossières comparaisons. Ce n’est pas que Thomasine soit grosse, mais… n’est-ce pas le plancher que j’entends gémir sous ses pas ? C’est dense les démons ?

Je tourne dans l’épicerie bien en mal de me décider. « Plutôt végétarienne », mais pas exclusive. Oserai-je la viande ?  J’ai envie de lapin, mais évidemment, ici c’est considéré comme animal de compagnie. Pas question de les manger. Animal de compagnie ? Mes synapses rebondissent d’idées en liens, de causes à similitude. Je me redresse, le dos bien droit. Évitons la mignonnerie. Quoique… on ne boulotte pas son animal de compagnie… Quels compromis ne faut-il par accepter dans ce monde pour rester en un seul morceau ?

Des pommes de terre ? Non. Typiquement masculin, surtout que j’ai décidé de me lancer dans une viande. Un autre féculent pour l’équilibre alimentaire ? Non, ce n’est pas l’objet de ce repas. J’ajoute du paprika et de l’origan à mon panier. Puis je me décide devant des champignons de couche aux chapeaux duveteux. J’y ajoute un oignon, un poireau, quelques pommes et repose la flasque de cognac que Thomasine dit avoir en stock.

Dehors, le temps tourne. Le ciel s’est teinté d’un voile jaunâtre qui n’augure rien de bon. L’orage approche et il sera mauvais.

- Je propose d’accélérer le mouvement.

C’est moi qui vais lentement, mais je connais maintenant mon menu. Je lui demande de nous faire passer devant une boucherie.

*

Filet mignon en poche, nous filons d’un pas pressé sur le trottoir. Quelques gouttes commencent à embrasser le sol et la poussière. L’odeur de l’orage commence à être perceptible. La circulation s’est intensifiée, nous sommes plus rapides à pied. Un éclair déchire le ciel, aveuglant, il ionise désagréablement l’atmosphère. Je tressaille malgré moi. Le tonnerre suit dans une poignée de seconde qui donne la mesure de la menace. Nous avons à peine le temps de nous abriter sous la marquise d’un hôtel de luxe. La pluie crépite soulevant la poussière avant de l’emporter dans les caniveaux. Les passants s’affolent, courent vers leur destination accrochés à leur parapluie. Hormis les voitures, la rue se vide de vie. Dans notre dos, le chasseur de l’hôtel se racle la gorge. Le message est clair : nous gênons. Je concerte Thomasine, sa péniche n’est pas très loin, mais assez pour que nous ayons le temps d’être trempés en chemin. Il est trop tard pour regretter l’oubli d’un parapluie. Je pose mes courses à mes pieds, retire ma veste et la tends à Thomasine.

- Abritez-vous avec la dessous. Je vais quant à moi courir devant et vous attendre dès que je trouve un abri.

J’imagine qu’avec ses échasses, il lui est impossible d’avancer rapidement. Me tromperais-je ? Vingt mètres plus loin, ma chemise blanche colle à ma peau dans une transparence que je me serais bien évité.

- Je n’aurais pas à laver le poireau ni le céleri, dis-je pour dédramatiser ce déluge.


Enfin, je vois apparaître la silhouette de la fameuse péniche à travers le rideau de pluie.




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MessageSujet: Re: Plongée en eaux troubles [Terminé] Plongée en eaux troubles [Terminé] EmptyLun 23 Sep - 10:27

« Je suis certaine d’avoir du sel, cela dit : la mer en regorge. »

Josh me regarde. J’ai l’impression d’avoir dit une grossièreté, quoiqu’un juron l’aurait peut-être fait rire. Là, non. Un reniflement. Puis Josh repart. Je le regarde un instant, tranquille dans mon incompréhension. Est-ce une victoire pour lui ? Je dirais plutôt une défaite pour moi, subtile nuance. Suis-je devenue une paysanne ? Il n’y a rien de mal à l’être. Surtout qu’on m’a dégradé bien plus que cela, socialement et mythologiquement. L’écume de cette réaction est cependant noyée dans l’eau. Salée, on en revient au postulat de base. Cela dit, voici une nouvelle raison de connaitre l’approche de Josh de la cultivation.

En métropole, c’était impossible. Et si cela ne l’avait pas été, Josh se serait contenté d’imaginer. "Pas de ceux qui se plaisent à travailler la terre"… comme si elle avait besoin de nous pour le faire. L’histoire de l’entretien réussi d’un bonzaï me fait cependant plus sourire, légèrement d’abord puis un peu plus au commentaire de "l’exalté" et couronner d’un pouffement lorsqu’intervient l’antagoniste et son plan.

« J’aime les chats, ils sont tendres. »

Si la paysanne cultivant son jardin de majoritairement végétarienne me vaut de telles déceptions de la part de Josh, retournons-en aux polysémies carnassières. D’autant que je n’aime pas les chats. Vraiment. Histoire de serpents, dont Bastet témoignerait mieux que moi. Josh me sourit, poliment. Une autre piste qui s’essouffle, vraisemblablement, à moins que ce ne soit les courants de son esprit qui ne l’emmène vers des sourires et des gênes secrètes.

Peut-être le choix du repas en est-elle une. Je ne dis rien pendant les tours et les retours de Josh. Moins que continuer de lui déplaire, il s’agit de ne pas le déconcentrer. Il s’applique, se frustre, réfléchit. Se redresse, à une réalisation. Puis repart. Récupère plusieurs choses que j’ai déjà, et déjà énoncées comme tel. Je laisse faire. Cela ne saurait gâcher ma surprise le concernant. Pas toutes, néanmoins.

Josh propose d’accélérer le mouvement, tout comme les nuages l’ont fait. Mes mains se séparent, l’une l’invite. La boucherie, à loisir. Au sien comme au mien.

***

Une goutte heurte le trottoir. Ma chaussure à talon en fait de même. Une autre la rejoint. L’autre aussi. Puis je ne peux plus tenir la route. Contre la pluie. Josh marche vite. Je fais de grandes enjambées pour garder la cadence. Mon visage est néanmoins tourné vers le ciel. L’odeur de l’orage. La lumière de l’orage. Le bruit de l’orage. J’aime cela. Mon compagnon, beaucoup moins. A sa suite, j’arrive dans cette protection où nous sommes rapidement signifiés aussi indésirables que l’orage pour Josh. Mes pas s’arrêtent, le déluge commence. Les gens fuient. Ceux les plus protégés roulent sur les flaques nouvellement formées pour éclabousser sans pitié ceux qui n’ont pas leur "chance". L’Humanité.

L’un de ses représentants, derrière nous, se signale. Doucement, je me retourne. Les nuages sont le visage du ciel, je l’ai déjà dit. La peur de l’orage. La colère de la tempête. Mon regard, sur le portier qui se prend pour un videur. Je suis aussi pesante que tout ce qui se tient au-dessus de sa tête, non-pas grosse puisque mon mètre quatre-vingt garde svelte mes soixante kilogrammes mais accompagnée de cette aura incommensurable. Un dragon de plusieurs kilomètres dans une humaine.

« Nous sommes au Helheim, confirme-je à Josh lorsqu’il me demande si l’on est bientôt arrivé, avec moi d’enfance qu’il n’a pu en faire preuve. C’est à son sud. »

Mes sourcils se relèvent lorsque Josh pose ses courses, s’ôte de sa veste et me l’offre. L’explication ne les fait pas se rabaisser d’un poil. Mon sourire est fin. Je prends une inspiration, le panier et la veste pour compléter celle que j’ai déjà. Que de bienveillance à m’offrir un cuir étanche là où mon haut et mon pantalon sont de jean, tissu autrefois porté par la marine génoise plus car il peut se porter même mouillé que par ses capacités hydrophobes ; point m’allant, et différant du blouson d’aviateur qui m’est offert, dont le cuir est étanche.

« Si vous voulez être seul participant au concours de t-shirt mouillés, je vous accorde cette victoire, dis-je avec un sourire exclusivement amusé, là où la politesse réclame de la gratitude. Merci. »

Comment ressentir de la gratitude, cependant, lorsque l’on sait que les larmes qui accompagnent la tempête coléreuse furent autrefois miennes ? Plus intéressant cependant, la galanterie de Josh de Roncevaux est à l’égale de son nom : ancienne. Non-pas qu’on n’essaierait plus de se protéger mutuellement aujourd’hui mais, justement, on essaierait de se protéger mutuellement. Josh, lui, se sacrifie pour autrui. Une mentalité rare au XXIe siècle, où la question de renoncer à son confort pour le bien commun s’est posée et où la réponse newyorkaise a été de dresser un mur magique comme de s’armer contre "l’invasion" immigratoire et le reste du monde.

Pour ma part, veste d’aviateur en cape et panier de course dans le creux du coude, je lève les yeux vers les cieux. Alors que j’avance, je laisse ses larmes devenir miennes, comme il y a si longtemps…

RP Terminé
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