âge •• des milliers d'années (officiellement 22 ans)pouvoirs •• hallucination (créer une ou des hallucinations auditives et visuelles chez une ou plusieurs personnes à la fois), mémoire décuplée (arriver à se souvenir d'images, d'histoires et d'éléments complexes en détails) objet magique •• collier en or (collier protégeant des pouvoirs de décèlement quand on le porte) qualités •• créative, intelligente, sensible, observatrice, généreuse, attentionnéedéfauts •• peu de confiance en soi, se définit par son apparence faute de se trouver d'autres forces, dépendante du regard des autres, envieuse, menteusehabitudes •• écouter les conversations des autres, penser qu'on la juge sévèrement, ruminer sur le passé, discuter avec Lucy et Graceapparence •• longs et épais cheveux bruns vagués, teint clair, yeux marrons, de grandeur moyenne, très mince, courbes avantageuses, toujours habillée avec goût en fonction de l'occasion, toujours coiffée impeccablement, ne sort presque jamais sans maquillage_________________________________________
QUI ES-TU?
-Tu sais qu'il ne t'aime pas.Je ne tournai pas ma tête en direction de la voix de Lucy. Elle avait raison: l'homme que je regardais rejoindre sa voiture entre les rideaux ne me considérait probablement même pas comme une vraie personne. Pourtant, malgré moi, je m'étais un peu attachée à lui. Nous nous connaissions depuis près de trois mois et il venait assez souvent passer la nuit avec moi. Il faisait partie de ces rares hommes qui restaient jusqu'au matin et qui ne se contentaient pas de consommer et repartir en courant.
-Au moins, il ne me déteste pas.Le soupir de Lucy retentit dans la pièce.
-Il te trouve désirable, c'est tout. Il n'a pour toi aucun respect et...
-Ça suffit, Lucy.Je me retournai et fixai la place vide d'où était provenue la voix, quelques secondes plus tôt. Bon...je l'avais fait disparaître. Ce n'était pas réellement mon but, mais j'avais perdu le contrôle en m'emportant. Je savais que Lucy ne faisait que mettre en mots ce que je n'osais pas m'avouer à haute voix, mais me sentir aussi petite et seule me faisait perdre la tête. J'inspirai profondément en fermant les yeux quelques secondes. Quand je les rouvris, Lucy était de nouveau à sa place, sur la petite causeuse, en train de se limer les ongles comme si elle ne me voyait pas.
J'aimais présenter Lucy à mes visiteurs. Mes rares amis l'appréciaient beaucoup et mes clients étaient intimidés par elle, ce qui me garantissait une certaine sécurité. Officiellement, cette belle quinquagéaire aux épaisses boucles blondes possédait la maison que j'habitais et en louait les chambres à d'autres femmes. Son charisme pétrifiait beaucoup de gens lorsqu'ils la rencontraient la première fois. J'en étais très fière.
J'abandonnai Lucy en quittant le salon. Je montai à ma chambre mais, auparavant, je sortis sur le balcon à l'étage. J'avais besoin d'un peu d'air frais après cette longue soirée au Velvet Dream et, surtout, après la moiteur de ma nuit. Il y avait près de deux ans que je travaillais à cet endroit en tant que serveuse. Après avoir fréquenté surtout les établissements du quartier Grey, j'avais l'impression d'avoir atterri dans un oasis. L'ambiance y était toujours à la fête et à l'érotisme, et elle me rappelait ce à quoi j'avais autrefois été associée.
J'avais été une déesse célébrée et adulée. On m'avait associée à l'amour et à la séduction et, longtemps, j'avais adoré ce rôle. Je m'y étais abandonnée sans réfléchir, comblée par le désir que je suscitais. Puis, j'avais eu connaissance de l'existence de Vénus, une romaine qui ne devait son existence qu'à l'appropriation de mon histoire par ceux qui la vénéraient. Si l'idée que le Panthéon qui était le mien fusse suffisamment apprécié pour être dédoublé ne me déplaisait pas, être témoin des multiples réussites de celle qui était supposément mon équivalente s'avérait douloureux.
Je me savais depuis toujours volage et séductrice. À mes yeux, connaître le lit de multiples hommes me rendait encore plus charmante. Toutefois, je remarquai vite que Vénus, sans perdre sa réputation, réussissait sur des plans qui m'avaient toujours échappés. J'assistai de loin à son mariage avec Vulcain et j'admirai comment elle avait réussi à trouver un amour durable, ce qui était évidemment plus glorieux qu'ouvrir ses jambes à répétitions.
À partir du mariage de Vénus, j'avais essayé de faire comme elle: trouver l'amour. J'avais abandonné mes jeux de séduction et j'avais commencé à chercher un homme sérieux. J'étais même allée jusqu'à laisser leur chance à des mortels et des hommes hideux. Cependant, tout le monde me connaissait déjà et savait que tout ce qui avait de l'intérêt chez moi était ma beauté. Aucun homme ne tomba amoureux de moi. Je me mariai néanmoins à un dieu similaire à l'époux de Vénus, me convaincant qu'il finirait par m'aimer comme Vulcain aimait son épouse. Cela ne se produisit jamais. Même mes enfants ne me montrèrent jamais ce sentiment intense qu'ils auraient normalement été censés ressentir pour moi.
Les hommes qui défilaient aujourd'hui chez moi étaient toujours bien déçus d'apprendre que j'étais la seule fille de la maison à offrir des...services personnalisés. Quand je leur laissais l'occasion d'apercevoir Grace, ils tombaient souvent sous le charme. D'ailleurs, je m'offris le bonheur de sourire à celle-ci et de dévorer du regard son magnifique sourire, alors qu'elle levait les yeux de son livre, lorsque je franchis la porte menant au balcon. Grace avait 21 ans, des yeux rieurs et une peau sombre d'une perfection digne d'une publicité de crème de nuit. Ses cheveux serrés étaient très courts et soulignaient la beauté de son visage. Elle était généralement assez silencieuse, ce qui me facilitait les choses.
Ma maison était la plus petite de la rue, voire même du quartier. Je me l'étais offerte avec les économies que j'avais accumulées depuis mon arrivée dans ce monde, des économies qui provenaient essentiellement de services rendus à des hommes en manque de contacts humains. Les gens qui y venaient croyaient que je n'étais que locataire, mais je possédais les lieux.
J'avais été très désorientée suite à mon passage par la brèche. Ce qui avait été une chance pour plusieurs dieux m'avait partiellement démolie. J'avais rapidement constaté que mes pouvoirs initiaux avaient tous disparu. De mes facultés pour charmer, il ne me restait rien que ce corps parfait qui n'avait rien de vraiment magique. Je m'étais sentie effondrée en réalisant qu'en ce monde, je ne pouvais probablement pas être la copie d'une autre et que c'était pourquoi je n'étais plus la déesse de quoi que ce soit. Vénus avait franchi la brèche la première et je n'avais même pas eu droit à des restes.
Sans ma séduction magique, je n'étais rien; c'était indéniable. Je m'étais toujours reposée sur cette partie de moi pour me valoriser et voilà qu'elle n'existait plus. Je n'étais qu'une belle femme ordinaire, ni plus ni moins que ces humaines aux photos retouchées dans les revues de mode. Je ne possédais aucune particularité. J'avais donc mis ce beau corps en usage libre pour assurer ma survie. Puis, j'avais découvert le Velvet Dream et j'avais commencé à y travailler en tant que serveuse. Je ne pouvais rivaliser avec le charme et le talent des danseuses, mais je savais sourire aux clients et les servir, tout en observant d'un oeil admirateur celles qui occupaient la scène. Je détestais les pervers qui ne voyaient mes collègues que d'un point de vue sexuel et qui ignoraient leur charisme et la beauté artistique de ce qu'ils et elles accomplissaient mais, en même temps, ces mêmes pervers payaient facilement pour un petit extra de ma part. S'ils étaient prêts à me payer pour m'avoir, cela ne voulait-il pas dire que je représentais une récompense gratifiante pour eux?
De retour dans ma chambre, j'y mis un peu d'ordre. Le reste de la maison était sobrement meublé et la décoration sortait directement de mon imagination. J'avais découvert cet étrange pouvoir d'hallucinations plus d'un an et demi après mon arrivée à New York. Auparavant, j'avais été trop absorbée par mes infructueux essais pour faire renaître mon pouvoir de charme. Depuis, je l'avais peaufiné et je pouvais maintenant, sans effort, me convaincre ou convaincre jusqu'à une quinzaine d'invités que la maison était décorée de cadres et objets en tous genres alors qu'en réalité je ne possédais que quelques meubles, puisque les paiements sur la maison prenaient l'essentiel de mon salaire. Je me souvenais facilement à la perfection de chaque objet et de sa place.
Je pouvais imposer des hallucinations visuelles ou auditives à n'importe qui n'étant pas immunisé contre ce pouvoir. Cela m'avait été utile, entre autres, pour donner l'impression à un étranger qu'une personne de grande taille venait me rejoindre sur la rue pour me raccompagner. Il m'était facile de faire apparaître une personne, mais je peinais à la garder crédible pendant une longue période de temps. Souvent, son visage changeait ou sa voix n'était plus la même après quelques minutes. C'était pourquoi je passais beaucoup de temps à m'entraîner, avec Lucy et Grace.
J'avais trouvé leurs visages en parcourant des registres de personnes décédées suite à l'ouverture de la brèche. Puis, je leur avais choisi des noms et je m'étais amusée à leur inventer chacune une personnalité. Lucy était charismatique, assez bavarde et ne dissimulait jamais ce qu'elle pensait. Grace était réservée, studieuse et toujours de bonne humeur. Avec le temps, j'avais complexifié leur personnalité, me donnant toujours des objectifs plus poussés dès que je m'améliorais.
J'avais fini par vivre avec deux fantômes très crédibles auxquels je m'étais attachée, même s'ils n'existaient pas réellement. Je leur parlais souvent et les faisais me répondre, à la fois par souci d'aiguiser mes facultés mais, aussi, parce que leur présence me permettait de me sentir entourée. J'avais peu d'amis et je n'étais plus à l'aise avec les gens depuis que je ne possédais plus mes pouvoirs de séduction. Je me savais insipide et je n'avais pas envie de prouver ma monotonie au monde extérieur. Mes deux colocataires imaginaires me permettaient de discuter sans craindre de ne pas arriver à tenir toute une conversation avec elles.
Une fois mon ménage achevé, j'enfilai une tenue de sport et filai courir autour de la maison. J'aimais la course plus que toute autre méthode pour garder la forme, car elle me permettait de me vider l'esprit. Je ne quittais pas mon terrain, la plupart du temps, car je préférais la sécurité et l'intimité aux paysages de la ville.
L'eau savonneuse coula sur mon corps ainsi que sur le seul élément que je portais encore: mon collier en or. Hébé me l'avait ramené d'Athènes lorsqu'elle était revenue à New York, il y avait maintenant un an. C'était le plus beau cadeau qui m'ait jamais été fait et je ne le retirais jamais. Il s'agissait du collier que je portais du temps de la Grèce antique et mon amie l'avait trouvé dans les ruines d'un musée. Comme il était abîmé et pas vraiment au goût du jour, je l'avais fait modifier chez Volcano Designs en m'assurant qu'on n'utiliserait que l'or d'origine du collier. Aujourd'hui, il était discret et il s'agençait à presque toute tenue.
Retrouver ce vestige de mon passé m'avait aidée à reprendre un peu confiance en moi, mais n'avait rien changé au fait que je ne possédais plus mon pouvoir de charme. Je découvris d'ailleurs que mon collier me protégeait de tous les pouvoirs de décèlement, ce qui signifiait que j'étais protégée de la télépathie et que les dieux me rencontrant ne pouvaient pas deviner pour identité comme c'était le cas avant que je ne sois protégée. Je trouvais cela sécurisant, même si je ne côtoyais presque aucun dieu. Je n'avais pas envie de me lier avec eux, car je ne me sentais pas à la hauteur. C'était d'ailleurs pourquoi je n'avais pas forcé pour qu'Hébé redevienne mon amie comme avant l'ouverture de la brèche. Elle trouverait mieux; c'était assuré.
Une fois hors de la douche, j'enfilai mon peignoir favori, lequel était duveteux et d'un fuchsia très vif. Je descendis au salon et attrapai un livre de la bibliothèque avant d'aller m'installer sur la causeuse où j'avais fait apparaître Lucy un peu plus tôt. Il me fallait lire souvent si je voulais que Grace connaisse le plus de livres possible. Je la fis d'ailleurs apparaître à mes côtés avec un livre, elle aussi. Elle disparaîtrait probablement au cours de ma lecture, mais j'aimais l'effort que sa présence me demandait alors que je devais me concentrer sur le livre. Il me semblait que je ne valais vraiment quelque que chose que lorsque je faisais vivre mes deux personnages.