âge  ••  Des milliers d'années (apparence de fin vingtaine, se fait passer pour 25 ans)
pouvoirs  ••  Hypnose (manipulation des pensées d'autrui pour le convaincre d'agir, de penser à une chose ou d'oublier), angélisme (prendre l'apparence physique d'un ange: ailes, aura lumineuse, regard plus clair), transfert d'énergie (faire passer de l'énergie d'un être à un autre par le toucher)
qualités  ••  ingénieux, persévérant, intelligent, cultivé, soucieux du détail, attachant
défauts  ••  hypocrite, manipulateur, sans scrupules, égoïste, arrogant, tendances sadiques
habitudes  ••  se faire passer pour l'être le plus gentil au monde, mentir, profiter des autres, tromper son épouse, faire des conneries et les effacer de la mémoire des gens
apparence  ••  peau claire, cheveux châtains, yeux bleu clair et saturé, de taille moyenne, mince, légèrement musclé, toujours bien habillé, le sourire le plus innocent au monde lorsque nécessaire


Je me levai sans faire de bruit et quittai le lit conjugal, laissant mon épouse dormir quelques minutes de plus. Je n’agissais pas ainsi par préoccupation pour son sommeil, mais bien parce que j’appréciais ces instants de tranquillité pendant lesquels je n’avais pas à supporter sa présence bruyante et agaçante. Parce que, non, je n’aimais pas mon épouse. J’acceptais notre union parce qu’elle me rendait la vie plus simple, rien de plus. Chaque jour qui passait me faisait remarquer à quel point elle était stupide.

Je me gardais occupé et, de cette manière, je réduisais le temps passé en sa compagnie. Même en pouvant l’hypnotiser pour qu’elle m’obéisse, j’arrivais à être dépassé par comment elle était chiante. Seulement, j’avais besoin d’elle comme pilier pour mon entreprise : je n’aurais pas été pris au sérieux en tant que chef d’une grande agence de rencontres si j’avais été célibataire. Les raisons pour lesquelles je demeurais avec Peach – elle avait elle-même choisi ce prénom débile –  plutôt que me trouver une autre épouse étaient plus…compliquées.

J’avais autrefois été connu comme un petit ange dodu et joyeux répandant l’amour sur la terre, flèche après flèche, jusqu’à ce que je grandisse et devienne un adulte. (Notons que cette version de moi-même me poursuivait encore aujourd’hui, des siècles plus tard, dans ce monde tout nouveau à mes yeux.) Puis, j’avais gardé les flèches et les pouvoirs, mais j’étais devenu séduisant plutôt que simplement mignon. J’avais hérité de l’harmonie physique de ma mère et de ses dons pour l’amour. Vénus avait toujours été l’icône de la beauté et j’avais longtemps été secrètement heureux de ne pas ressembler à mon père, Vulcain, pauvre créature défigurée qui, je ne savais pourquoi, avait attiré ma mère. Cet homme m’avait toujours paru faible, dépendant des autres et constamment sur le point de se briser. Bien plus tard, lorsque je m’étais découvert un pouvoir guerrier et que j’avais appris les histoires d’adultère de Vénus, j’avais compris que Mars était mon vrai père, mais j’avais toujours gardé cette certitude pour moi, tout comme j’avais caché mes facultés guerrières. De toute manière, j’étais très populaire en angelot de l’amour.

J’actionnai la cafetière et entrepris d’enfiler les vêtements que j’avais déposés, la veille, sur le sofa. En dehors de la chambre et de la salle de bain, l’appartement était à aire ouverte. J’appréciais la décoration sobre et moderne ainsi que l’impression de grand espace qu’on avait dès qu’on quittait le couloir sombre qui y menait. Cet appartement n’était que l’un des nombreux avantages que mon emploi m’apportait. La richesse et la gloire pouvaient presque tout acheter et je me félicitais souvent d’avoir eu l’idée de cette agence de rencontres.

J’avais commencé au bas de l’échelle, alors que les autres dieux ne me prenaient pas au sérieux. De toute manière, pourquoi l’auraient-ils fait? Je n’avais toujours montré que douceur et gentillesse, et ces qualités n’étaient pas celles d’un gagnant. J’avais engagé un homme qui connaissait très bien les systèmes informatisés pour qu’il crée la structure du programme permettant d’unir les gens. Dans ce monde instable et étrange, j’avais préféré me fier à la technologie plutôt qu’à la magie. Je l’avais laissé tout inventer avec un enthousiasme un peu ridicule et, lorsqu’il avait terminé et m’avait tout expliqué, j’avais compris que j’avais affaire à un génie, ce qui m’avait fait sourire, mais ne m’avait pas empêché de l’hypnotiser pour qu’il oublie son implication dans mon plan vers la gloire.

J’avais découvert ce pouvoir d’hypnose rapidement après mon passage par la brèche. Il me permettait de faire agir les gens selon ma volonté et, même, de changer leurs pensées. J’avais vite compris que mes nouvelles facultés n’étaient en fait qu’une version déformée de celui que j’avais été. Ainsi, plutôt que lancer des flèches d’amour, je pouvais convaincre les gens, d’une simple parole, qu’ils étaient amoureux de telle ou telle personne. C’était tout de même nettement plus pratique que me balader avec un arc… Mon pouvoir guerrier s’était mué en une possibilité de transférer l’énergie d’une personne à une autre. Mon père, Mars, arrivait à créer l’énergie de nulle part pour en alimenter ses armées. Et finalement, comme une sorte de clin d’œil stupide de la vie, je pouvais modifier mon apparence pour ressembler à un ange. Je me servais surtout de ce pouvoir pour me moquer des gens ou, lorsque j’étais certain que personne ne pouvait me voir, pour m’envoler et faire des bêtises comme lorsque j’étais enfant.

Une fois habillé, je me versai du café dans lequel je mélangeai un peu d’alcool, histoire de bien commencer la journée.  Je le dégustai dans le noir, songeant à cette entrevue que je devrais faire dans quelques heures. J’étais célèbre, mais je n’étais pas une vedette. La nuance était subtile. Elle tenait surtout en le fait que je pouvais sortir sans qu’on me reconnaisse, tout en étant invité aux évènements importants. J’étais admiré et respecté, mais je ne soulevais pas des foules de groupies.

D’aussi loin que je me souvenais, ma vie avait toujours été semblable : les autres dieux m’appréciaient, principalement parce que je ne représentais une menace pour aucun d’entre eux. Comme si j’avais un quelconque intérêt à vouloir prendre leur place misérable. Je n’enviais ni le pouvoir d’un, ni l’épouse d’un autre. On me croyait pur, innocent, mais j’étais seulement rusé : je préférais de loin n’obtenir qu’un minimum d’estime pour un maximum de sécurité. Personne ne se méfiait de Cupidon, personne ne lui voulait de mal et personne ne lui prêtait de mauvaises intentions. J’avais la paix.

À une époque, j’avais été moins amer qu’aujourd’hui, plus proche de cette définition rose bonbon que les autres dieux gardaient encore de moi. Le passage à travers la brèche m’avait changé. Il m’arrivait encore de regretter secrètement cette époque  avant mon arrivée dans ce nouveau monde. J’étais marié à Psyché, la femme la plus belle que la terre ait portée. Elle était si magnifique que même Vénus, ma mère, la détestait. Elle m’avait chargé de m’en prendre à Psyché, mais je m’étais bêtement piqué avec l’une de mes flèches et j’étais tombé magiquement amoureux de la jeune femme. À partir de ce moment, et jusqu’à ce que je me retrouve à New York, j’avais aimé Psyché au point que ma vie tourne autour d’elle. Je l’avais comblée de mon amour, même en connaissant la désapprobation de ma mère pour cette union, et j’avais été heureux à ses côtés, même en étant conscient des erreurs qu’elle avait commises par le passé et même en connaissant ses défauts. J’avais connu le bonheur le plus ultime à ses côtés. Puis, nous avions passé la brèche, certains de notre chance de commencer une nouvelle vie l’un avec l’autre.

Je fermai prestement les yeux et grognai en portant une main devant mon visage. Peach venait d’ouvrir les rideaux et le soleil m’avait presque arraché les yeux. Je m’habituai lentement à la lumière, l’air mauvais, alors que mon épouse risquait une fois de plus de perdre sa langue tellement elle n’arrêtait pas de parler. Le son de sa voix me donnait envie de me verser de l’eau bouillante dans les oreilles. Je regardai la ville de New York par la fenêtre et je songeai à jeter Peach à travers cette dernière, pour qu’elle s’écrase sur le sol, dix-huit étages plus bas. Je m’empressai de boire mon café en choisissant une excuse pour partir plus tôt. Je n’en avais même pas besoin, car elle me laisserait partir sans créer de problèmes, grâce à mon pouvoir d’hypnose, mais j’aimais me donner l’illusion que nous étions vraiment ensemble.

Dès que j’étais arrivé dans ce monde, j’avais senti que quelque chose avait changé. Bien sûr, mes pouvoirs s’étaient modifiés, mais je n’avais compris qu’après quelques jours à quel point cela allait influencer ma nouvelle vie. Mes flèches n’avaient plus pour seule utilité que celle de trouer les gens. Plus important que cela, c’était comme si elles n’avaient jamais été magiques… Je n’étais plus amoureux de Psyché. Brusquement, j’avais cessé de l’aimer. Dès le moment où nous étions arrivés dans ce monde, dès que j’avais pris cette nouvelle forme physique (même si elle ressemblait à l’ancienne), dès que la brèche s’était refermée sur notre ancienne vie, je n’avais plus aimé Psyché. À mes yeux, elle était devenue une femme ordinaire, comme toutes les autres quoiqu’un peu plus jolie. Je n’avais rien dit, espérant niaisement que les choses changent, mais mon amour pour elle n’était pas revenu, et il y avait maintenant plus de cinq ans que nous vivions à New York. J’avais bien essayé mon pouvoir d’hypnose, mais il ne fonctionnait que sur les autres. Je n’aimerais plus jamais Psyché…ou Peach, comme elle avait choisi de se faire appeler désormais.

J’embrassai Peach et je quittai l’appartement à la hâte, avant qu’elle ne trouve autre chose avec quoi m’ennuyer. Cette femme était stupide. Elle l’avait toujours été. Il avait bien fallu la magie pour que je puisse éprouver des sentiments aussi positifs envers une telle plaie.  Sa vie était tissée d’erreurs pour lesquelles elle ne pouvait blâmer que sa propre imbécilité. Il me semblait qu’elle ne savait prendre que des mauvaises décisions. Alors, pourquoi ne m’étais-je toujours pas débarrassé d’elle pour la remplacer par une autre? Je ne voulais pas la perdre, tout simplement. Elle était le symbole de mon ancienne vie, de celui que j’avais été et qui avait connu l’amour et le bonheur. Si, aujourd’hui, je n’étais motivé que par la popularité auprès de tous, je me souvenais très bien de comment je m’étais senti lorsque je l’aimais. Je ne pouvais tout simplement pas trahir cet ancien moi, et ce, même si le prix à payer était le babillage incessant de cette pie sans cervelle. Et je croyais de plus en plus fermement que personne ne me ferait jamais éprouver cette sensation de vie intense que l’amour m’avait apportée. J’étais persuadé que l’amour n’était qu’une invention, qu’une drogue magique qui me serait pour toujours refusée maintenant que j’avais perdu ce pouvoir qui avait été ma principale raison de vivre.

•• hors jeu ••